Mariage à Corti (1ère partie)

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L'année 1940 s'était enfin terminée au grand soulagement d'Elisabetta et elle ne voyait pas comment l'année nouvelle pourrait être pire.

La jeune fille n'en parlait pas avec ses frères mais elle voyait que depuis la mort de son père, la doyenne du clan Casaleccia n'était plus que l'ombre d'elle-même. Alba n'avait, en effet, jamais imaginé qu'elle survivrait à son fils et si, dans un premier temps, elle avait gardé la tête haute, à présent, elle restait souvent dans sa chambre pour faire de la couture ou elle s'isolait dans la cuisine pour réaliser quelques préparations à base de plantes pour la pharmacie familiale.

L'hiver était à présent bien installé en Corse en ces premiers jours de janvier 1941. La neige et le gel rendaient les déplacements difficiles mais malgré tout, Elisabetta continuait à se rendre une fois par mois à la Santa Riparata pour respecter la volonté de sa grand-mère.

Cette fois, bien qu'il fasse très froid, la jeune fille resta sur la colline un très long moment car elle avait besoin de réfléchir.

Elle avait à nouveau constaté une différence entre les registres qu'elle tenait avec Matteu et les réserves patiemment constituées en coppa, lonzu, saucisson et prizutu. Craignant un moment s'être trompée et doutant de l'honnêteté de Leandru Venazzi, Elisabetta avait recommencé une liste mais seule, sans en parler à aucun de ses frères.

Elle devait l'examiner dans la journée et elle se demandait ce qu'elle allait y trouver.

Elisabetta n'avait également pas envie de devoir admettre que les Venazzi n'y étaient pour rien. En y réfléchissant bien, elle ne connaissait aucune famille dans le besoin dans les différents hameaux de Merusaglia. Il est vrai que l'île peinait à se remettre des difficultés économiques du début du siècle mais ils étaient nombreux au village à avoir un potager personnel et Elisabetta était convaincue qu'aucun d'entre eux ne commettrait un geste aussi malhonnête.

La jeune fille avait également beaucoup songé à l'attitude de Leandru Venazzi à son retour du continent et elle l'avait trouvée très étrange. Elisabetta se rappelait d'un jeune homme au regard dur, à l'attitude arrogante et méprisante mais quand elle l'avait aperçu à son retour à Merusaglia, elle avait été surprise par ses traits tirés, ses épaules voutées et la disparition totale de cette condescendance à son égard.

Le soir venu, Elisabetta se plongea dans l'examen de ses registres bien au calme dans sa chambre. Au bout d'une heure, elle fut contrainte de se rendre à l'évidence : les chiffres de Matteu et les siens étaient différents. Déstabilisée, la jeune fille essaya de trouver une logique rationnelle à cette différence mais sans succès.

Elle finit par se coucher totalement épuisée mais sans avoir trouvé la moindre solution.

Les jours suivants, Elisabetta observa attentivement ses frères : ils habitaient les maisons avoisinantes de celle de leurs parents et ils y passaient donc régulièrement.

Aucun d'entre eux ne semblait nerveux : ils discutaient sereinement des aménagements à faire dans les deux plus importantes châtaigneraies que possédait le clan et ils vaquaient tranquillement à leurs occupations.

Elisabetta, malgrè les températures fraîches, s'occupait du potager familial. Elle enlevait les mauvaises herbes, elle récoltait les légumes d'hiver et elle veillait à l'entretien des clôtures qui délimitaient les lieux. De là, elle avait une vue parfaite sur tout le hameau et les allées et venues incessantes de ses frères.

Un soir, à la fin du mois de janvier, alors qu'elle venait de se coucher, un bruit fit sursauter Elisabetta. Discrètement, elle s'approcha de sa fenêtre et regarda à travers les volets qu'elle n'avait pas pris la peine de fermer complètement.

Cum' un cantu di libertaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant