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En un clin d'œil, Adja se redonna des vêtements et se prépara à devoir faire fuir de nouveaux intrus. C'est moi qui les ferai partir, Sylvana est trop expéditive. Elles échangèrent un regard, mais leurs envahisseurs n'étaient pas des adolescents surexcités.

« Maman ? » souffla Adja en haussant les sourcils.

Elle s'éclaircit la voix, prête à parler à travers la spirit box. Sa mère alluma l'appareil et le plaça devant elle. Toute trace de tristesse avait disparu de son visage.

« Adja, est-ce que tu m'entends ? Est-ce que tu es dans cette pièce ?

— Oui, hésita-t-elle, incertaine. Il se passe quelque chose de grave ?

— Ton père est en train de demander un prêt immobilier pour racheter cette maison et la transformer en attraction à touristes. »

Adja écarquilla les yeux et interrogea Sylvana du regard. Est-ce que c'est une bonne idée ? Est-ce que tu as envie de passer du temps à effrayer des adolescents ? Persuadée de faire face à une crise nerfs, elle fut presque surprise de voir Sylvana sourire jusqu'aux oreilles.

« C'est l'occasion de faire mieux que la dernière fois ! » s'exclama-t-elle, les yeux brillant de joie.

Adja avait vu Sylvana mélancolique, encourageante, en colère, mais jamais remplie d'espoir à l'idée de rendre son avenir plus excitant que prévu. Son bonheur était si communicatif qu'elle en oublia l'angoisse et les nombreuses questions qu'elle brûlait de poser à sa mère. Comment est-ce que vous comptez rembourser une maison pareille ? Vous voulez faire dormir des gens dans le lit où on a posé mon cadavre ? Ça va prouver au monde entier que le paranormal existe, est-ce que c'est une bonne idée ?

« C'est génial ! fit Adja, souriant poliment comme si sa mère pouvait la voir.

— Nous allons nous installer ici aussi, pour gérer la maison et... »

Une ride soucieuse apparut au milieu de son front.

« Pour te retrouver après, si tout se passe bien.

— Maman...

— Et tout se passera très bien. »

Adja s'assit par terre en tailleur, sonnée. Elle avait peu réfléchi à son futur dans la Maison Dormeaux, en-dehors de Sylvana et d'une éternité pour la connaître, séparée de sa famille pour toujours, acceptant son destin avec mélancolie.

« Profites-en. »

Sylvana lui souriait.

« Je n'ai pas profité très longtemps de la présence de mon grand-père ici, et je pense que tu as de la chance de pouvoir être entourée de ceux que tu aimes.

— Ça ne te dérange pas de partager la maison avec des inconnus ?

— J'apprendrai à connaître tes parents et ta grand-mère, Adja. Tu me prends pour une sauvage !

— Du moment que tu ne te mets pas à faire de crises de jalousie quand ma mère parle de mes cousins... »

Sylvana ouvrit la bouche pour émettre une réplique cinglante, mais son regard s'assombrit et se perdit dans le vague. Adja hésita avait de la sortir de sa torpeur, inquiète.

« Sylvana ?

— Ma famille n'a jamais été celle que j'imaginais. Des années passées à leurs côtés, et puis... »

Elle posa une main sur sa poitrine, là où son père l'avait poignardée.

« Il n'y a rien, avant moi. Personne de tangible, de réel, du moins. Ma mère est morte quand j'avais quatre ans, je me souviens à peine d'elle, et c'était sans doute la seule qui m'ait aimée sans finir par me prendre pour un démon. »

Adja voulut la consoler, mais sa mère commençait à tapoter la spirit box pour vérifier qu'elle fonctionnait.

« Maman ?

— Oh ! s'exclama-t-elle en sursautant. Oui, ma chérie ? Est-ce que tu es d'accord ?

— C'est une excellente idée ! Quand est-ce que vous allez vous installer ici ?

— Oh... Eh bien, dans au moins un an, voire deux ! Cette maison n'est ni achetée, ni rénovée, ni habitable... »

Après quelques formules de politesse, sa mère repartit avec un grand sourire.

« Elle fait comme si tout était absolument normal, murmura Adja. J'espère qu'elle n'est pas en état de choc et qu'elle ne va pas craquer...

— Elle t'aime et ne veut que le meilleur pour toi, sans doute. » dit Sylvana en haussant les épaules.

Pour ne pas s'appesantir sur le sujet et embarrasser Sylvana, Adja lui demanda :

« À ton avis, qu'est-ce qu'on pourrait faire pour effrayer les gens qui viendront dormir ici ? Sans les faire fuir pour toujours, bien sûr.

— Écrire des messages dans la poussière ?

— Le ménage sera fait, quand même !

— Alors... Écrire des messages dans la buée sur les fenêtres ? »

Adja éclata de rire et acquiesça. Le soir venu, elles avaient trouvé tant de techniques pour rendre le paranormal aussi amusant qu'angoissant qu'elles se sentaient vidées de toute intelligence, de toute réflexion. Elles n'échangèrent pas un mot et firent semblant de dormir dans le lit de Sylvana. Adja se sentait beaucoup mieux lorsque le soleil se leva, elle crut même qu'elle avait trouvé le sommeil.

Avec l'aide de Sylvana, elle sortit le gros album qu'elle avait feuilleté sans avoir le moindre contexte, au début de son exploration. Elle lui sourit et pointa du doigt le premier cliché.

« Raconte-moi tout. Ta famille existait avant ce drame. »


« Dors. »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant