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Adja se laissa tomber sur le parquet de la chambre de Georges Dormeaux en regardant fixement la porte – le seul point où elle ne pouvait discerner du coin de l'œil son propre corps confortablement installé dans le lit. Elle sentit le bois sous ses jambes, mais d'une manière inédite. Je sens ce qu'il y a autour de moi, mais pas à l'intérieur. Sa légère douleur permanente aux intestins avait disparu, son estomac ne criait plus famine. Lorsqu'elle touchait ses poignets, aucun pouls. Pas non plus la tension de ses muscles quand elle bougeait. Adja toucha ses yeux et comprit que ce qu'elle avait pris pour des larmes n'était que son imagination : il n'y avait aucune humidité dans son enveloppe corporelle. Pas d'eau, pas de sang, pas de bile.

« Tu peux faire apparaître ce que tu veux. » lui dit soudain Sylvana en s'asseyant à genoux devant elle.

Elle leva une main vers son visage et se concentra. Des larmes se mirent alors à couler sur ses joues et celles d'Adja, qui plaqua une paume contre son nez qui commençait à dégouliner.

« C'est le moins que l'on puisse faire pour se sentir vivantes, expliqua Sylvana. Si rien ne vient de notre imagination, nous ne sommes plus rien. Par exemple, je suis certaine que tu ne t'es pas aperçue que tu n'avais pas de vêtements. »

Adja s'affola en essayant de se cacher avec ses bras, mais elle comprit rapidement qu'il n'y avait rien à voir : elle ne discernait même pas son propre corps.

« Rien n'existe tant que tu n'y penses pas, Adja. Imagine-toi une tenue, fais comme bon te semble, et tu pourras te voir. En attendant... »

Adja se retrouva soudain affublée de la même robe en dentelle que Sylvana et fit glisser le tissu plus vrai que nature entre ses doigts. Je suis quelqu'un... Pas juste un fantôme invisible, je suis toujours moi...

« J'ai dû recréer des sensations humaines pour ne pas devenir folle, avoua Sylvana d'un air gêné. Je peux pleurer, rougir, me mettre très en colère en sentant le sang battre jusque dans mes oreilles... Parfois, je me donne mal au ventre pour avoir l'impression d'être normale, même si je sais que je suis décédée. Il faudra sûrement que tu le fasses aussi, Adja, sinon tu vas finir comme ces âmes perdues qui racontent n'importe quoi quand on leur tend une spirit box. »

Sylvana fit une pause et ajouta :

« Enfin, j'imagine.

— Je crois que tu n'as pas dit ça par hasard, soupçonna Adja.

— Plus de secrets entre nous, n'est-ce pas ? soupira Sylvana. J'ai analysé ton téléphone le premier jour, j'ai vu des centaines de choses en même temps... Il y a tant de vidéos montrant des esprits fous qui ne sont plus capables de communiquer avec les appareils que tu utilises...

— Tu peux passer par internet et regarder ce que tu veux ? Je ne pense pas que ça puisse nous servir pour le moment. Léon pourra toujours nous donner les informations dont nous aurons besoin.

— Léon ne reviendra jamais, Adja. »

Sylvana la toisait d'un air sévère et ses joues rosissaient à vue d'œil.

« Il aura trop peur pour enquêter, la vision de ton corps lui percera le cœur à chaque visite.

— Qu'est-ce que tu as fait pour me tuer, Sylvana ? » demanda Adja en ne se gênant pas pour changer de sujet, fatiguée par les insinuations jalouses de la jeune femme.

Sylvana faillit lui adresser une grimace, mais elle parut prendre conscience qu'elle était en tort dans toute cette histoire. Elle attrapa un pan de sa robe et le tordit nerveusement.

« Dors. »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant