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Il est au téléphone depuis une bonne dizaine de minutes. Je ne connais pas le sujet de son appel, je ne m'y intéresse même pas d'ailleurs, je l'entends juste parler depuis la chambre.

Il crie à moitié, je me demande bien ce qui peut le mettre à ce point en colère. Enfin, je me demande, mais je n'écoute toujours pas.

Étant assis sur son lit, je contemple le sol, jonché de vêtements, de boîtes de nourriture à faire au micro-onde, de canette de bière.

Puisque j'ai eu le temps de passer rapidement dans toutes les autres pièces, je sais déjà très bien que celle-ci est la seule à ne pas être impeccable. Aussi, c'est la seule qui semble le représenter. Par les photos sur le mur et le bordel qui y règne.

Je m'assieds par terre à un moment donné, dans l'idée de tout ranger. J'ai à peine commencé que le bruit de fond, auquel je m'étais habitué depuis quelques minutes, s'interrompt. Il doit avoir fini.

Mais alors que je m'attends à ce qu'il revienne, je l'entends plutôt claquer une porte, puis plus rien.

Inutile que je me lève pour aller constater les faits, je sais déjà ce qu'il vient de faire. Il est parti, tout simplement.

-C'est sa maison.

Je dis ça simplement pour moi-même. Pour calmer mon esprit en ébullition. Il a peut-être oublié que j'étais là, mais il n'abandonnera pas sa maison. Sinon il n'en aura plus, et il deviendra malheureux. Pas comme moi.

Moi je n'ai plus rien ici et c'est mieux que d'avoir tout là-bas. Donc je suis heureux.

Parce que je ne me souviens pas.

Je reprends mon activité patiemment, et au bout d'environ une demi-heure, il y a quatre tas face à moi.

Vêtements sales. Canettes et bouteilles. Emballages de nourriture et paquets de clopes vides. Et puis des feuilles. Énormément de feuille.

Ces dernières sont roulées en boule ou déchirées, contrairement à celles sur le bureau. Sur le bureau, elles sont simplement froissées. Je n'y touche pas, j'ai peur de regarder ce qu'il y a dessus et qu'il revienne et voit que je m'infiltre lentement dans sa vie privée.

Forcément, il serait furieux, il me hurlerait dessus, me donnerait des coups ou même me lancerait des trucs...

Non. Je ne suis pas chez moi et lui c'est un inconnu. Pas elle.

Je me lève, un peu tremblant. Je retourne à la cuisine pour trouver une poubelle, quelque chose pour mettre ce que j'ai trié. Si j'ai oublié des choses, je sais encore faire le ménage. L'habitude.

Le temps passe et je m'ennuie à mourir. J'ai faim en plus.

Quand est-ce qu'il reviendra l'inconnu bleu ?

Qu'est-ce que je fais s'il ne revient pas ?

Et puis voilà que j'ai peur d'être tout seul pour toujours. Il vaut mieux être seul que mal accompagné à ce qu'il paraît, mais moi je préfère être accompagné par n'importe qui. Peut-être que je retournerai là-bas s'il ne revient jamais. Pour ça, il faudrait déjà que je me souvienne du chemin que j'ai pris.

Je me mets à pleurer, je suis tout seul et j'ai oublié le chemin de cette maison. J'ai, à mon avis, oublié le chemin de ma vie aussi.

J'ouvre une fenêtre du salon et me hisse sur l'appui de fenêtre en béton avant de passer une jambe dehors. Il fait beau comparé à la veille, mais il fait surtout chaud. Puis une brise légère agite doucement mes boucles et je lèche mes lèvres. Salées, mes larmes les ont déjà atteintes.

Au bout d'un moment, je me mets à rire au travers de ma tristesse. Je n'ai pas à être triste s'il revient. Et il reviendra. Je me souviens y avoir déjà pensé, comme j'ai pensé à mon prénom il y a quelques minutes.

Thomas ?

Un sourire, et une larme supplémentaire. Je ne contrôle plus ma tête ni quoi que ce soit et ça me donne pratiquement envie de rire. 

Je suis content d'avoir retrouvé qui je suis.

Je suis content d'être parti.

Je suis content d'avoir rencontré cet homme complètement saoul dans un bar miteux.

Je suis content de vivre, heureux d'être libre.

Parce que c'est ce qui compte le plus non ?

Pile au moment où je me dis ça, la porte d'entrée s'ouvre. L'inconnu n'est pas saoul et au fond ça me fait plaisir ; hier soir, il l'était, et il avait juste l'air triste.

Je ne dis rien, pas besoin ; je souris encore et je pleure toujours autant.

-T'es encore là ? s'étonne-t-il en posant un sac en plastique dans le couloir.

-J'avais peur que tu abandonnes ta maison.

-Appartement.

Il rectifie, comme si ce n'était pas supposé être un peu pareil.

-Attend, tu pleures ? Pourquoi t'es si proche du bord ? Si tu tombes, tu risques un peu de crever, rentre.

Je m'exécute dans la seconde, je n'avais même pas pensé à la possibilité de tomber.

Il referme rapidement la fenêtre.

-Qu'est-ce que je peux faire ?

Sa question me perturbe. Elle n'a qu'un sens, mais s'applique à tous. Et je ne sais pas trop.

-Tu es triste.

Je secoue négativement la tête. S'il savait à quel point je suis loin de l'être.

-Bon écoute, je te forcerai pas à me déballer ton histoire non plus.

Et voilà qu'il se détourne pour reprendre son sac et l'emmener dans sa cuisine. J'essuie mes joues et ravale un dernier sanglot avant de respirer un grand coup.

-Tu trouve ça bizarre que je sois pas parti ?

-Ouais, complètement.

-Pourquoi ?

-Les gens comme toi partent. Ou ne rentrent jamais chez moi.

-Les gens comme moi sont comment ?

Il rit.

-Bah, comme toi en fait.

Ce n'est pas ça ma question, et il le sait. Il vide le sac en plastique sur la table, en retirant de la nourriture, des packs de bières et autre broutille. Puis il reprend :

-Je dis ça comme ça. J'suis pas vraiment sûr qu'il y ait une foule de gars comme toi. Un gars complètement amnésique qui est prêt à séjourner chez quelqu'un qu'il ne connaît pas... Ça court pas les rues.

Satisfait de cette réponse, je m'installe à table.

-Je m'appelle Thomas.

Il est dos à moi pour mettre la moitié de ses courses dans son frigo, mais il se tourne à nouveau vers moi et ne se gêne pas de m'observer.

-Je sais.

Un petit sourire en coin prend place sur mes lèvres. Il ne se présente même pas à son tour. Je me demande si les gens sont comme lui, si les gens sont comme moi. Si tous les deux nous sommes des exceptions ou si nous n'en sommes pas du tout.

-Moi, j'aimerais bien que tu sois pas qu'un inconnu.

Moi-même je ne sais pas ce que cette phrase veut dire, ni ce qu'elle pourrait signifier.

-Damien.

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Et là se termine la réelle introduction de cette histoire.

Merci à ma MADeleine_Sara qui m'a fourni une jolie couverture.

«Y'a des gens qui partent, d'autres qui restent ; et puis il y a ceux qui ne font rien et qui attendent de vivre toute leur vie, comme des cons.»

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant