12.

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Mardi. Je sors de la maison, mon sac presque vide bougeant au rythme de mes pas sur ma hanche. Je suis en train de me diriger vers chez Jordan, pour lui rendre son Thermos.

Encore ce matin, on pouvait voir le ciel bleu, malgré la présence de quelques nuages. On entendait plus le chant de quelques oiseaux que le bruit de la pluie battante. Et pourtant là, la soirée est déjà un peu entamée, et le ciel est sombre, la pluie tombe sans la moindre interruption et l'orage gronde. Je ne m'en plains pas, bien que j'ai perdu l'habitude de m'allonger par terre dans ces temps-là, j'aime toujours ça. Sentir les gouttes tomber sur moi, lever la tête vers les hauteurs que personne n'atteindra jamais, et sentir mon visage devenir humide en quelques secondes.

Ah, elles sont bien plus belles, les larmes du ciel.

Damien m'a offert un téléphone hier. Il a dit que c'était pour pouvoir l'appeler si quelque chose n'allait pas. Je le soupçonne plus d'avoir fait ça pour que lui puisse m'appeler. Parce que hier soir quand il est rentré avec ce cadeau, il avait l'air épuisé d'une manière assez différente des autres fois. Il n'a pas beaucoup parlé, il avait l'air triste. Il a bu d'ailleurs, et ça m'a rendu triste aussi. J'espérais qu'il arrête vraiment. J'espère toujours, parce que l'espoir fait vivre, et que je suis plus trop sûr d'avoir envie de mourir.

Quand je lui ai dit qu'il n'avait pas à m'offrir un truc pareil, il s'est contenté de hausser les épaules en expliquant que de toute façon, il avait largement les moyens. Et puis il m'a aidé à le configurer, à mettre des applications et des musiques dessus. Il a évidemment ajouté son numéro et celui de Jordan dans les contacts. Ça ne m'en donne pas plus de deux. Ça non plus ça ne me dérange pas, même si je sais que la plupart des gens de mon âge ont bien plus de gens à qui parler, je m'en fiche.

C'est donc la capuche sur la tête, les mains dans les poches de mon gilet et les écouteurs dans les oreilles que je marche en direction de l'appartement de Jordan. Le bleu dit qu'il travaille de nuit, donc il passe la plupart de ses journées à dormir. Mais même si il ferme la porte d'entrée à clé quand il dort, les personnes qui ont le plus besoin de son aide ont le double des clés de chez lui. Damien en a, et il me les a laissées ce matin avant de partir, quand je lui ai dit que je voulais aller le voir. Ça me fait juste me demander pourquoi le brun devrait avoir à ce point besoin de l'aide de Jordan.

J'arrive rapidement à destination, et il ne me faut pas non plus énormément de temps avant d'entrer dans l'appartement. Je rentre avec la clé, sans prendre la peine de toquer.

Qu'est-ce que ça change de toute façon ?

Il dort.

Assis dans le canapé, je regarde vers sa chambre. Elle est ouverte, et je sais que c'est sa chambre puisqu'il est dedans.  Je le vois, étalé sur un lit deux places, une couverture noire mise de travers sur lui, couvrant tout ce qui aurait possiblement pu me gêner un peu.

Son appartement est plutôt bien rangé pour quelqu'un qui vit seul. Je ne sais pas pourquoi ça m'étonne. Tout le monde n'est pas désordonné après tout.

Tout le monde n'est pas Damien.

Je plisse les yeux et penche la tête, pensif comme toujours. Bien sûr que tout le monde n'est pas comme Damien.

Je sais le dire, même si je ne connais personne. Parce que même si mes souvenirs sont décousus, même si je recommence déjà à avoir un voile flou sur la partie de vie d'avant Damien, je me souviens de son regard, dans ce bar pas si rempli que ça. Je me souviens de notre première discussion, un moi complètement paumé et un lui complètement bourré. Mais même bourré, qui invite quelqu'un qu'il ne connaît pas chez lui, sans penser à ce qu'il puisse y avoir de quelconques rapports sexuels ? Qui laisse cette personne prendre place dans sa vie de tous les jours ?

Damien le fait. Juste Damien.

C'est une bien jolie histoire, magnifique pensée volatile qu'est celle de se dire que ce qu'on a à vivre, à raconter, est simplement unique. Ça rend léger à l'exagération souvent. Ca vend du rêve, qu'il y en ait ou pas. C'est les papillons d'un amour naissant qui cachent ce qui n'ira pas plus tard. Inutile de penser au départ de ses papillons, inutile d'arrêter de rêver. Inutile de devenir plus lourd. Inutile de revenir vers le fond alors que ça serait bien plus beau de toucher les étoiles. L'impossible,  dans une certaine mesure, fait rêver.

Ça devient compliqué quand une relation perd de son sens, par contre c'est toujours plus simple si elle n'en a jamais eu. À ce moment-là, il n'y a plus de titres. Rien pour décrire une effusion de rires, rien pour décrire une discussion ordinaire, rien pour décrire un baiser, ni rien d'autre.

Y'a de la liberté, peut-être trop des fois.

Je me perds tant dans mes réflexions, que je n'entends ni ne voit Jordan se lever et s'habiller. Ce n'est que lorsqu'il passe derrière moi en me donnant une légère tape sur l'épaule, que j'émerge.

-Salut, dit-il d'une voix encore endormie.

Il n'a pas l'air surpris de ma présence sur son canapé, ça doit arriver souvent qu'il se réveille avec quelqu'un chez lui.

-T'veux un café ? Thé ?

-Non, ça va. Je venais juste te rendre ton Thermos...

J'entends le bruit de la machine à café de lancer derrière moi, dans la cuisine je suppose. Quand je me retourne, le brun est appuyé sur son plan de travail. Il n'y a pas de porte entre nous, détail inutile que j'ai vite fait de remarquer, bizarrement.

-Mh, t'es pas venu juste pour ça.

Et pourtant c'est ce que je croyais en partant.

-Comment tu vas depuis l'autre jour ?

Pas une question en l'air. Je sais que cette question l'est souvent. Question dont on n'attend jamais vraiment la réponse, plus une simple politesse à laquelle on devrait toujours répondre oui. Mais là, non. Il me demande ça pour avoir autre chose qu'une réponse muette, pour faire autre chose que le sourd.

-C'est bizarre. Je me pose des questions sans avoir la moindre réponse, et une fois ça me dérange, l'autre j'y pense même pas.

-Tu te pose des questions sur quoi au juste ?

-Moi et Damien. Je sais pas si c'est évident, mais je l'aime vraiment. On s'embrasse des fois, et je sais pas si il apprécie ou pas. Enfin, pas les baisers. Je me demande s'il apprécie qu'on soit comme ça.

Il récupère sa tasse rouge, à présent remplie de café, puis il vient s'asseoir à côté de moi.

-J'vais te dire mec, c'est compliqué de répondre. Pas parce que j'ai pas de réponses, jamais je saurai pas vraiment te donner d'explications. Crois-moi t'as pas choisi le mec le plus simple pour tomber amoureux. Et il a pas mieux fait que toi à ce niveau-là.

-Il est pas si compliqué... c'est juste... différent.

Il dodeline de la tête, l'air pas tout à fait d'accord. Cependant il ne me contredit pas et poursuit :

-Y'a des choses je ne peux pas te dire, tout comme il y a des choses que je ne peux pas lui dire à lui, tu vois ? Mais fais lui confiance, si il appréciait pas du tout, il le ferait pas.

Encore ça. On me demande de lui faire confiance, comme si c'était pas évident je le faisais. Je hoche légèrement la tête, silencieux.

J'ai confiance en Damien.

Mais lui ? Est-ce qu'il a confiance en moi ?

Une relation qui n'a jamais eu de sens, de la liberté. Que se passe-t-il s'il y en a trop finalement ?

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Je sens que j'ai besoin de continuer cette histoire, même si c'est compliqué. Du coup voilà. Changement de titre. (Et de couverture, faite par mes soins pour une fois !)

«Le problème c'était pas le fait d'être indécis ; au fond, on savait ce qu'on voulait. Le problème c'est qu'on le savait bien trop.»

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant