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Il est largement passé minuit quand Damien referme la porte de l'appartement derrière nous. Nous sommes restés sur le toit avec Jordan un moment, il faisait déjà nuit depuis un moment quand nous avons décidé de redescendre, et là notre hôte a insisté pour que nous restions un peu.

Il m'a fait un thé. Un demi litre de thé en fait. Je tiens à deux mains le thermos qu'il m'a passé, et je l'ai à peine entamé. Il n'a rien dit au bleu, pas que je sache du moins.

Quant à notre baiser, c'est pour l'instant le seul que nous avons échangé pour l'instant.

C'est idiot, mais ça me manque déjà.

C'est idiot, mais durant cet échange si spécifique, j'ai été incapable de penser à Alice et à toutes ses conneries. J'ai été incapable de ressentir le mal qui plane dans ma tête et qui envahi mon cœur.

Si j'avais le courage, je l'embrasserais encore.

Mais non, j'ai peur que ce baiser ne veuille rien dire pour lui. Il ne m'a pas dit qu'il m'aimait, qu'est-ce que j'en sais ? Je n'arrive même pas à me poser la question.

-Tu veux aller dormir ?

Je me tourne vers lui, il a l'air détendu. Toujours comme si rien n'avait changé.

-Je suis pas vraiment fatigué. Mais vas-y toi si tu veux.

-Je suis pas fatigué non plus.

Je m'agite très légèrement sans rien dire. Lui non plus ne semble pas savoir quoi dire, ça m'étonne un peu de sa part.

-Je vais aller prendre une douche, reste pas planté là à rien faire non plus... enfin, tu fais ce que tu veux.

Je hoche positivement la tête, c'est ma seule réponse évidemment, je ne vois pas trop ce que je pourrais dire d'autre. Il esquisse un sourire qui me paraît un peu forcé, puis il s'en va vers la salle de bain.

Je me laisse tomber quelques secondes plus tard dans le canapé, puis je ramène mes jambes vers moi afin de les mettre en tailleur et je pose le thermos au sol.

Les questions que je me posais avant de passer plusieurs heures sur un toit sont toujours là, accompagnées par d'autres.

Je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas vraiment qui il est non plus. Je connais son fonctionnement et ses habitudes, je sais reconnaître sa couleur, son essence. Je sais qui il est mais il reste un inconnu à mes yeux. Peut-on aimer quelqu'un en sachant si peu de lui ? Est-ce que c'est une bonne idée au fond ? Ce baiser en valait-il la peine ? S'il me dit que c'était juste comme ça, ou que je refuse une suite, je me serai senti bien pendant un instant pour rien. Est-ce que c'est vraiment comme ça que ça marche ? Je sens que c'est important pour moi que ce genre de geste ne soit pas juste "comme ça". Je sais que j'ai aimé, mais lui ? Ça n'a pas dû lui déplaire tant que ça, ça ne peut pas être un plaisir unique dans notre situation.

J'effleure ma lèvre inférieure d'un geste distrait. Je me pose sûrement trop de questions. Le pire c'est que je ne sais pas comment obtenir des réponses.

Par rapport à elle, Jordan a semblé se douter de quelque chose directement. Et puis il m'a dit que quelqu'un lui avait fait très mal à lui aussi, mais il avait l'air d'aller bien mieux que moi. Si je me souviens du chemin, dans les jours qui suivent, j'irai le voir. Avec de la chance, il pourra m'aider pour Damien aussi.

Je soupire et ferme les yeux, les doigts toujours sur ma bouche.

La chance.

J'y crois toujours après tout ce que j'ai vécu apparemment.

Un bruit se fait pas loin de moi et Damien arrive. Il s'arrête dès qu'il rentre dans la pièce. Il tient son t-shirt dans sa main gauche et se gratte l'arrière de la tête de l'autre. Je souris.

Je souris parce que je le regarde différemment encore, et que je le trouve vraiment beau. Je souris parce qu'il n'a pas vraiment changé mais qu'il n'est tout de même pas le même que lorsque je l'ai rencontré.

Je souris parce qu'il a oublié de racheter de la bière ce matin. Je souris parce que cette nuit il est encore avec moi au lieu d'être seul à un bar.

Je souris parce qu'il est lui, et que je sais que je m'en fiche de ne pas le connaître entièrement. Je souris parce qu'il n'a pas l'air de réaliser tout ce qu'il est.

Il repousse un peu ses cheveux sur le côté. C'est rare de le voir coiffé de la sorte. Peut-être parce qu'en fait, il n'est juste pas coiffé... ? Quand il ne se coiffe pas, ses mèches brunes retombent de façon hasardeuse sur son front, mais comme je l'ai dit, c'est rare de le voir comme ça, surtout qu'il se lève presque toujours avant moi.

Il a l'air gêné, et je pense l'être un peu aussi. Oui, parce qu'évidemment, quand je finis de détailler son visage, mon regard descend sur son torse nu. Il n'est pas musclé, ni vraiment gros. Mais en fait, sa morphologie m'importe assez peu, c'est simplement le fait de le savoir partiellement dénudé face à moi qui fait courir des frissons le long de ma colonne vertébrale.

J'apprécie, et pourtant je ne proteste absolument pas quand il remet son t-shirt. Je me remets rapidement à penser à ce qui me fait sourire, et je sens une larme couler sur ma joue. Il penche légèrement la tête sur le côté.

-Thomas...

Je l'essuie d'un revers de main, mais une autre suis rapidement. Pourtant mon sourire ne s'efface pas.

Il me rejoint, ses doigts caressent mes joues. Je me détends subitement.

Ses mains sont chaudes et douces, et je pose ma main sur l'une d'elle juste avant qu'il ne l'ôte.

Je sais que c'est bizarre.

Mais ma présence sur ce canapé n'est-elle pas le résultat de tout un tas de situations bizarres qui ont suivies le moment où nos regards se sont croisés ?

Bleu et brun alors. C'est ça. C'est nous. Deux couleurs qui se côtoient depuis quelques temps. C'est lui et moi.

Je réalise la simplicité de la chose. Nous ne sommes que deux couleurs. Et d'après ce que je sais, on cherche tous les deux à s'entremêler en silence.

-On fait quoi Thomas... ?

Il ne connaît vraiment pas la réponse à cette question. Ça m'étonne, lui qui a toujours l'air confiant, là il doute.

Moi aussi. Un peu.

Pas énormément.

-Embrasse-moi encore.

J'ouvre les yeux. Je le vois sourire. Ce sourire-là, je ne l'ai jamais vu. Pas d'aussi près en tout cas. Mais je suppose que lui non plus n'a jamais vu le sourire que j'arbore de si près.

Il ne doute pas quand je lui demande de m'embrasser. Il le fait à nouveau sans réfléchir, et c'est presque encore mieux que la première fois.

Je bouge mes jambes pour m'approcher encore de lui.

Le bleu et le brun, quand on les mélange, ça ne donne pas vraiment une couleur incroyable. Ça donne plutôt une autre variante de brun. Mais est-ce que c'est grave ? Est-ce grave que notre relation encore sans nom ne ressemble à rien ?

Tout ce qui m'importe, c'est ce que je ressens maintenant.

Alors quand on se sépare, je sais que ce n'est pas notre dernier baiser. Pas le dernier de cette nuit. Pas le dernier de cette vie.

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Voilà, vous avez aimé le dernier chapitre, et celui-ci a pour but de vous achever, j'espère donc qu'il vous plaît tout autant. (ou même plus !)

«Je suis du genre à me poser tout un tas de question et à m'énerver quand personne ne sait me répondre. Pourtant je suis aussi de ceux qui ne savent pas souvent quoi répondre.»

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant