18.

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Je n'ai pas retrouvé le chemin pour rentrer. Mais la police m'a trouvé par contre. Quand j'ai été déposé devant l'immeuble, Jordan était là, tout pâle, fatigué, mais toujours dans un meilleur état que le miens. C'est pas comme si c'était compliqué en même temps. Il a dû signaler ma disparition à la police, et au vu de la situation, il n'est pas très étonnant qu'ils aient accepté de me chercher.

Il m'enlace en soupirant :

-T'es entier... Dieu merci.

Dieu ne m'a pas sauvé. Qu'il existe ou non. Si il existait, je le détesterais comme jamais je n'ai su détesté. Parce que si il existe, il a créé la vie, il a créé les Hommes. Si il existe, il m'a laissé à l'agonie. Comme un mauvais maître abandonnerait son gentil chien dans une forêt  pleine de loup.

Dieu, peu importe si il m'a sauvé aujourd'hui. Peu importe si il existe, je déteste l'idée qu'il puisse être réel.

Jordan tremble contre moi, me serre un peu plus.

Je ne le serre pas en retour.

Il me relâche pour parler rapidement à la policière qui est encore dans son véhicule. Puis il revient vers moi et elle part.

Nous rentrons, montons les escaliers sans un mot.

Je repense à ce soir-là, où j'étais ralentis à chaque fois que le bleu tombait devant moi, déstabilisé par l'alcool.

Mon cœur se serre.

J'avance vite.

Il n'est pas là.

Je passe la porte de ce qui est devenu mon chez moi définitif il y a déjà quelques mois.

Rien n'a changé, il est toujours aussi impersonnel en dehors de la chambre, toujours aussi parfaitement rangé, toujours aussi propre.

En fait, tout est pareil, même dans les plus petits recoins. Je n'ai pas besoin de vérifier pour en être sûr. Ce n'est pas comme s'il m'avait lancé des trucs quand nous nous sommes disputés, hier matin.

La dispute. J'y pense avec un goût amer au fond de la gorge, comme un aliment avarié que je ne cracherai jamais, et que je n'avale pourtant pas. Les larmes qui me montent déjà aux yeux.

Je veux me plaire à penser que c'était ma faute et mettre un point final à ce côté là de la réflexion, mais impossible. Ce n'était même pas lui.

Depuis que nous cohabitions, il n'y avait pas eu la moindre dispute entre nous. Pas une seule, même pas pour des broutilles. Je ne me fâchais jamais par peur qu'il se transforme sous mes yeux, et il ne se fâchait jamais vraiment parce qu'il était foncièrement gentil.

Mais c'est toujours ça, quand il n'y a jamais la moindre engueulade. La première venue est toujours pire, comme s'il fallait rattraper tout le temps perdu.

Enfin, j'imagine que nous étions un peu sur les nerfs tous les deux, stressés par le fait que le procès contre Alice durait un peu trop. Depuis que j'avais dit son nom complet, il s'était bien passé trois mois J'avais bien passé la moitié à broyer du noir, ne parlant que pour de grandes nécessités. Damien et Jordan avaient eu tout le mal du monde à me tirer du lit pour aller au poste de police, et ça s'était passé dans les cris et dans les larmes. Je m'étais tant débattu qu'ils avaient abandonné l'idée de me prendre avec là-bas. Du coup, ils avaient pris des photos de moi : des preuves que j'étais forcé de porter, surtout.

Au bout d'un moment, j'ai bien été obligé d'y aller. L'affaire ne pouvait pas avancer si je n'allais pas en parler moi-même. J'ai bien passé une semaine à me convaincre qu'il le fallait, ça n'empêche que j'eu encore besoin de deux bonnes heures d'encouragements de la part du bleu avant de pouvoir me lever. J'ai difficilement expliqué mon histoire, me forçant un maximum à ne rien oublier.

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant