7.

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Le temps passe et efface.

On continue de vivre comme si rien n'était arrivé. On se regarde chaque jour le matin, et je pense qu'on est de bons ignorants tous les deux.

De bons menteurs aussi.

À agir comme s'il n'y avait pas eu le moindre rapprochement. Je l'oublie en journée et j'y repense le soir, quand vient le moment de m'endormir.

Je sors un peu plus depuis que j'ai une nouvelle tête. Je me sens un peu plus normal, plus personne ne me regarde comme si je venais d'un autre monde. Plus personne ne me regarde tout court à part lui, et à chaque fois que j'y réfléchis, je me demande si ça me rend triste d'être invisible aux yeux de la majorité du monde.

Je ne connais plus la tristesse, je passe mon temps à sourire et à me sentir léger. Mardi, quand Damien est rentré et qu'il a vu que, malgré son humeur maussade, je restais très positif, il m'a regardé droit dans les yeux. Il avait l'air surpris. Puis il a filé dans sa chambre et s'y est enfermé pendant une partie de la nuit avant de me laisser la place à nouveau.

Je ne suis pas si débile, ni aveugle, j'ai vu qu'il y avait de nouvelles feuilles sur son bureau, mais fidèle à mes habitudes, et respectueux envers le bleu, je n'ai encore une fois pas touché à ses écrits.

Il est si fatigué qu'il ne remarque pas quand je retire une canette de bière du frigo. J'ai décidé de faire ça le samedi soir, juste après notre étreinte. J'ai décidé que je ferai ça pour lui, tout comme j'ai décidé d'attirer son attention sur moi plutôt que sur sa boisson.

Je sais, j'influe terriblement sur son mode de vie, et s'il venait à l'apprendre, il serait sans doute furieux. Mais tant pis. Tant que mes intentions sont bonnes, je ne dois pas avoir tout à fait tort de faire ce que je fais... si ?

Bref, nous sommes samedi, et comme je lui ai fait promettre jeudi de m'apprendre à jouer à plus de jeux sur son ordinateur, il n'a pas eu l'occasion de sortir la veille. Nous avons passé une soirée animée en rire et en blague, où il a eu énormément de mal à me faire bien comprendre le fonctionnement de ce type de jeux. J'avais du mal à assimiler les touches sur clavier, mais quand il m'a laissé pour aller se coucher, vers trois heures du matin, je me débrouillais déjà bien mieux, et j'ai d'ailleurs continué pendant une bonne heure, tout seul.

Il est midi passé quand je me réveille. Damien est sur son ordinateur, des écouteurs dans les oreilles. Ainsi, quand je me redresse et m'étire, il ne réagit pas... logique puisqu'il ne m'entend même pas.

Profitant de son inattention, je récupère mon jeans qui est encore au sol, me lève et l'enfile. Ensuite je vais jusqu'à lui et m'assieds sur une chaise que nous avons utilisée hier et que nous n'avons pas rangé. Il tourne la tête vers moi, et moi je regarde son écran avant de bailler longuement.

Il fait un mouvement au niveau de son oreille et je devine qu'il a dû retirer un de ses écouteurs.

-Salut Thomas, bien dormi ?

Je souris légèrement avant de hocher positivement la tête. Puis je le regarde. C'est bien la seule chose que nous faisons en plus depuis le samedi dernier, nous nous regardons. De temps en temps, je ne peux m'empêcher de baisser la tête, mais la plupart du temps je le regarde dans les yeux.

Ses jolis yeux bleus.

Il me sourit en retour.

-Maintenant que j'suis habitué au canapé, ça va.

-Tu dis ça depuis le début. Pourquoi tu viens pas dormir dans ta chambre ?

-Parce que tu dors dedans.

-Et ? Tu dors bien avec moi quand t'es saoul.

-Ouais, mais je couche avec n'importe qui quand je suis saoul aussi, c'est pas pour autant que ça me donne une raison de le faire en étant sobre.

Je prends quelques secondes pour réfléchir, puis je propose une autre idée :

-Je pourrai dormir dans le canapé sinon.

-Ça par contre c'est exclu.

-Oui donc, en gros, y'a aucune de mes idées par rapport à ça qui te conviendront.

-En gros, c'est ça. Cherche pas, le canapé ça me va très bien.

Je soupire légèrement puis ne redis rien pendant assez longtemps pour qu'il reprenne son écouteur. Au moment où il l'approche de son oreille, je réponds :

-Mais moi, je préfère quand tu dors avec moi.

Là, je sais très bien qu'il me regarde à nouveau, mais mon attention s'est déjà dirigée vers ce qu'il y a sur son écran. Je ne lui laisse donc pas le temps d'approfondir le sujet :

-C'est quoi ça ?

-De quoi ? Ça... ?

Il paraît surpris, mais je ne sais pas pourquoi. Parce que je ne connais pas ou parce que j'ai changé de sujet sans transition ?

-Ça c'est twitter. Un site où tu peux mettre des trucs assez courts, parler à des gens. C'est assez cool, tu devrais t'inscrire !

Je fronce les sourcils.

-Pour parler à des gens ?

Il hoche la tête et je garde le silence quelques instants avant d'ajouter :

-Et tu as des amis là-dessus ?

-Quelques-uns, mais il y a surtout des gens que je ne connais pas.

Je suis sceptique, vu comment il me l'explique, je n'ai pas forcément envie de m'inscrire sur ce site. Pourtant, loin de moi l'envie de lui dire non.

-Je pourrai aller voir après ?

Je n'attends pas sa réponse et me lève.

-On doit aller faire des courses aujourd'hui ?

Je demande ça tout en me dirigeant vers la salle de bain. La porte grande ouverte, j'essaie de coiffer mes cheveux comme je peux sans que ça me donne l'air d'un abruti. Je vois dans le reflet que le grand brun se met dans l'encadrement de la porte et qu'il me regarde.

-Comme tous les samedis, oui.

Je souris.

-T'en fais pas Dami, c'est plus facile de sortir pour ce genre de truc quand on a pas la gueule de bois. Et puis je t'accompagne !

Il sourit et tapote la surface de bois sur laquelle il est appuyé du bout de ses doigts.

-Ouais. Bon allez, finis de coiffer ta belle chevelure blonde et va mettre tes chaussures, on y va bientôt.

-Mais j'suis pas blond...

Il s'en va comme si de rien était en riant. Je n'ai pas vraiment compris sa blague, et je ne sais même pas si c'était supposé être une blague. En tout cas, je suis content qu'il puisse rire comme ça, tout seul. Il n'y a pas si longtemps, les seules fois où j'avais le plaisir d'entendre un rire franc émaner de lui, c'était quand je riais moi aussi.

Je finis de me coiffer et reste un instant face à mon reflet. Je souris très légèrement en sentant mon cœur cogner avec force dans ma poitrine.

Les jours sont beaux, ma vie aussi. Un jour, je le sais, j'aurai le courage de laisser un simple merci à Damien.

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Je suis en examen pour un petit moment, ce qui ne m'empêche pas de poursuivre ce récit, évidemment.

«Le temps passe, je te l'accorde, mais il n'efface pas. Pas tout en tout cas. Il modifie, ternis et colorie les souvenirs.»

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant