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Trois semaines que je suis chez lui.

J'ai compris sa routine, pourtant je ne le connais pas plus que lorsqu'il m'a dit son prénom.

Je sais qu'il boit beaucoup, je ne comprends pas pourquoi. Je n'ai jamais compris ça chez qui que ce soit je crois, mais c'est pas grave, il est gentil avec moi et c'est ce qui compte.

En semaine, il est très peu chez lui, alors des fois je cuisine parce qu'il a toujours l'air très fatigué. Je sais cuisiner, c'est évident. J'ai dû apprendre il y a un moment. En général, il se détend au fur et à mesure du temps dans la soirée, et il se préoccupe de ce que je fais de mes journées, m'explique des choses que je ne comprends pas. Ces choses ne le concernent jamais. Au moins une fois par semaine, il est trop fatigué pour se détendre. Dans ces jours là, il ne veut pas manger, il ne veut pas être gentil et parler avec moi. Et je ne cherche jamais à lui en faire dire plus, je ne comprends pas pourquoi je devrais puisqu'il est simplement fatigué. C'est ce qu'il me dit, je le crois.

Le vendredi soir ou le samedi (parfois les deux), il sort. Il revient à chaque fois complètement saoul. Dans ces moments là, il dort avec moi, dans son propre lit. Quand il est sobre il préfère me laisser sa chambre pour me laisser de l'intimité. Je préfère qu'il reste avec moi en fait, mais je ne dis rien parce que c'est sa maison.

Je sais qu'il écrit aussi. À chaque fois que je remet sa chambre en ordre, je trouve de nouvelle feuille au sol. Je ne les lis jamais. Je ne sais même pas quand est-ce qu'il écrit, je ne le vois jamais faire. Mais je ne pose pas de question, parce que c'est pas ma maison ici.

Nous sommes vendredi. Je ne cuisine pas pour lui puisqu'il risque fort de rentrer en plein milieu de la nuit.

Il m'a montré sa console et tous ses jeux, m'a dit que je pouvais les utiliser. Il m'a aussi donné le mot de passe de son ordinateur. De temps à autres, je les utilise, mais je n'aime pas jouer tout seul et je n'aime pas la chaise de bureau de Damien, alors je ne m'en sert pas vraiment. Il pleut à nouveau aujourd'hui, mais il fait tout de même chaud, pas étonnant puisque nous sommes en plein mois d'août.

Damien s'en fiche de savoir si il m'arrive de sortir de chez lui, il va faire les courses puisque je n'ai pas d'argent et est si peu présent qu'il n'est pas là pour constater. Il ne me demande pas, et je ne lui raconterai pas ; je sors à chaque fois que la pluie tombe.

A tous les coups j'ai l'air étrange, pieds nus et peu couvert, à faire des allés et retours dans la rue, le visage vers le ciel. Comme je l'ai déjà dis, j'adore la pluie. De nuit ou de jour, on peut me retrouver dehors dans ces instants humides.

C'est ce qui explique le fait que je sois dehors à nouveau cette nuit. Je suis allongé sur les pavés sales de la rue depuis quelques minutes, les yeux fermés. C'est une rue piétonne, pas de risque avec les voitures. Pas de risque avec les gens, parce que même si je m'en fiche, il est assez tard pour que personne ne traîne dehors.

Damien est si gentil. À chaque fois qu'il prend du temps pour m'expliquer des choses, il m'explique aussi ce qu'il pense comprendre à mon sujet. Il pense que j'ai des gros problèmes à gérer mes émotions. Je ne sais toujours pas si c'est grave. Mais c'est vrai. J'ai beau faire de mon mieux pour qu'il ne regarde pas dans les moments où Ca se voit, mais des fois quand je ris, une larme coule sur ma joue et je sais qu'il voit. L'alcool et la cigarette sont peut-être tout doucement en train de lui griller le cerveaux, mais pas ses yeux.

Ses jolis yeux bleus.

Des fois, je le vois baisser la tête quand il passe devant le miroir dans son couloir. Il évite son regard, tout comme il évite le miens, et comme j'évite le sien aussi. Moi, je fais ça pour qu'il sache qu'il est supérieur à moi. Normal non ? C'est chez lui que je vis. C'est à lui que je dois mon confort.

Mais lui, il ne se regarde même pas, on ne peut pas être supérieur à soit même, si ?

Cette pensée fait vaguement remonter quelque chose en moi. Quelque chose qui ressemble vaguement au passé. Quelque chose de vaguement elle. Puis je ferme les yeux dessus, parce que c'est le seul souvenir dont je ne veux plus, et que c'est le seul qui tente de revenir.

Des rires se font entendre, ce qui me pousse à m'asseoir. Il y a deux personnes qui avancent vers l'immeuble de mon bleu. Là où ils sont pour l'instant, la lumière n'est pas assez bonne, et je ne comprend pas tout de suite de qui il s'agit.

Quelques secondes suffisent, et je regarde Damien plaquer une jeune femme rousse contre le mur juste à côté de la porte d'un autre immeuble. Je reconnais ce comportement bestial et un frisson me parcours. La fille proteste après quelques glapissements, puis ils continuent leur route vers la maison. Je me lève, aucun des deux ne m'a vu, alors je les suis.

Dans les escaliers, ils sont trop concentrés sur eux même pour faire attention à moi. De plus, je suis toujours très silencieux lorsque je me déplace.

Le brun tombe à quatre pattes de temps à autres, ça les fais marrer tout les deux. Pas moi. De toute façon, si c'est une blague, elle n'est destinée qu'au deux bêtes prêtes à passer à l'acte. Pas à moi.

Ça n'interpelle pas le bleu que la porte ne soit pas verrouillée, pas étonnant. À chaque fois qu'il rentre bourré, il semble à nouveau étonné de me voir. Quand il est sobre, il l'est moins. Ou en tout cas, il se tait. À croire qu'il n'a pas beaucoup de difficultés à m'oublier. Ce n'est pas gênant pour moi, tant qu'il est gentil et qu'il m'héberge.

Ce qui est plus gênant, c'est quand la porte se referme, et que j'ai le temps d'entendre un bruit de verrou qui se ferme avant de l'atteindre. Je sais ce que ça signifie, mais à tout hasard, je tente d'ouvrir.

Dehors. Il vient de m'enfermer dehors. Est-ce que c'est volontaire ? Est-ce que je le dérange ? Je pourrai partir à la recherche de quelque chose d'autre si il ne veut plus jamais que je rentre.

Moi qui avait peur qu'il abandonne sa maison, j'ai maintenant peur qu'il m'abandonne.

Je parle à un mur, à une porte. Aux voisins, au couloir ou aux escaliers. Je parle à Damien tout en entendant les cris de la fille. Je parle au bleu parce qu'il mérite d'entendre même qu'il ne veut pas écouter. Je murmure tout ce que je pense.

Je lui murmure ma tête et mon cœur, assis contre sa maison.

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Je suis heureux de savoir que ce récit à l'air de beaucoup vous plaire. J'y met vraiment du cœur.

"Des fois, je me pose un instant et je me demande ce qui a changé. Parfois je me dis que rien n'a changé, appart absolument tout."

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant