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Je suis paumé, complètement.

Dans un terrain vide, immense et sans couleur. Je ne sais plus ce que je ressens, je ne sais plus si je dois pleurer, rire ou crier. Je ne sais plus. Plus rien sauf les souvenirs que j'avais préféré oublier.

C'est ironique, et dans une autre situation ça m'aurait fait rire. Parce que j'suis un ignorant dans une société où il faut savoir un maximum pour s'intégrer. Ouais, hier ça m'aurait fait rire, et Damien m'aurait encore pris pour un dingue avant de se mettre à rire à son tour. Hier, j'étais léger, hier je ne me souvenais pas, et je préférais ça.

Le temps a un peu passé et je me suis allongé sur le bleu. Toujours comme si tout était normal, comme si je faisais ça chaque jour.

Il ne dort pas, je n'ai pas besoin d'ouvrir les yeux pour le savoir, il s'agite de temps à autre. Ça me va, son silence me va. Parce que je suis sûr de ne pas vouloir parler de ce qu'il s'est passé. Si je parle, ces souvenirs dépasseront mes pensées, ils deviendront la réalité de quelqu'un d'autre et je ne pourrais plus les plonger dans l'oubli confortable dans lequel ils étaient, au fond de mon crâne.

Je ne veux pas me sentir comme ça. Mon bonheur libre et léger a été enfermé dans un placard, à cause d'elle, encore une fois. Moi qui l'avais fui pour que ça n'arrive plus jamais, voilà que je me rends compte qu'elle n'a même pas besoin d'être là pour me poursuivre.

Je ne sais plus quoi penser.

Je l'aime. Elle ou lui ?

Peut-on encore aimer quelqu'un qui a brisé notre vie et tout ce que nous étions par le passé ? Peut-on aimer la première personne venue qui répare les dégâts ?

Puis-je encore aimer Alice malgré moi ? Puis-je aimer Damien si vite ?

Un sanglot, d'abord solitaire, vient agiter mon torse et je pose mes mains sur mon visage. Je n'arrive pas à remettre de l'ordre dans ce que je pense, dans ce que je ressens. Très vite, je me remets à pleurer. C'est la deuxième fois depuis que je suis allongé sur lui, alors ses bras viennent à nouveau encercler ma taille, et sa main droite caresse doucement mon dos afin de me rassurer.

-Ça va aller Thomas. Évacue un bon coup, tu te sentiras un peu mieux après... et puis je reste avec toi, t'es pas tout seul.

Ces mots brisent le silence, et j'ai presque envie de lui dire. "Faut que je t'avoue, j'ai peur". Si c'était si facile de parler après avoir été réduit au silence de si nombreuses fois. Si seulement c'était si facile d'exister après avoir été personne.

C'est après que mes sanglots se soit apaisés que je l'interromps. Il n'a pas cessé de parler, un peu dans le vide ; je l'admets, je ne l'écoutais pas du tout. Ma voix est fébrile, presque étouffée par le fait que je parle contre le bras de mon inconnu :

-Damien... je suis quoi au juste ?

Un silence relativement long sépare ma question de sa réponse. Durant ces quelques secondes, je me rends compte que j'ai tout aussi peur du fait qu'il ait une réponse que du fait qu'il n'en ait pas.

-Y'a pas de questions sur ce que tu es. Tu es quelqu'un Thomas, et de ce que j'en sais, tu es pas quelqu'un de mauvais. Donc y'a pas de "je suis quoi". Demande-toi plutôt qui tu es. C'est pas simple, surtout dans ton cas... j'ai vingt-cinq ans et il m'arrive toujours de me poser la question, toi tu te souviens même pas de ta vie d'avant alors c'est normal que t'aies pas du tout de réponse.

J'ouvre les yeux et me redresse difficilement pour le regarder. Ce serait si beau qu'il se passe quelque chose de plus.

-Mais je suis qui pour toi alors ?

Il me regarde droit dans les yeux, et pour une fois, ce que je n'ose pas faire, c'est détourner le regard. J'ai aimé ses yeux le premier jour. Ils ont changé maintenant que je vis avec lui, mais ils restent très beaux. Pas les plus beaux du monde... ? Peut-être pas non. Mais sans doute les plus beaux pour moi.

Le bleu c'est mieux que le vert maintenant.

Damien est mieux que Alice.

Lui c'est la vie. Elle c'est la mort.

Avant c'était l'enfer, aujourd'hui c'est le monde, et demain peut-être que ça sera le paradis.

-Pour moi, tu es Thomas. Et crois-moi, ça veut dire beaucoup.

Ce serait si beau qu'il se redresse à l'aide de ses coudes, ou que je me penche sur lui. Ce serait si beau qu'il m'aime. Qu'il m'aime différemment. Ce serait si beau qu'il soit plus qu'un simple inconnu. Même un inconnu qui me câline et me laisse sur un baiser unique, ça m'irait.

Il sourit légèrement.

-J'ai une idée.

Il s'agite un peu de manière à me faire comprendre que je dois me bouger, ce que je fais sans protester, malgré le fait que je n'en ai pas envie.

Il ôte son téléphone de sa poche, le déverrouille, puis pianote quelques fois son écran.

Le temps passe toujours, je crois que j'ai tendance à l'oublier. Il s'est assis normalement, les pieds au sol et le dos sur le dossier du fauteuil. Moi je suis assis, les jambes ramenées vers moi et je suis tourné vers Damien, ce qui me permet de ne pas avoir d'appui.

Le silence est long, j'ai l'impression qu'il n'a pas de fin. Je me plaisais dans son silence il y a quelques minutes, mais là je ne veux plus qu'il se taise. Même s'il se met à me harceler de questions auxquelles je ne veux pas répondre ni même avoir de réponse.

Quand j'y pense, le pire c'est de réaliser que tout ça était vrai. Ma vie d'avant, ce matin, n'était plus qu'un cauchemar que je faisais de temps en temps et qui n'affectait pas plus que ça mon tempérament joyeux. J'ai peut-être les marques sur moi qui sont supposées me rappeler jour après jour que si j'étais presque en paix, la violence, je l'avais connue... J'ai peut-être ces fichues traces, mais j'oubliais jusqu'à ce que mes pas me mènent dans cette rue. Maintenant que je me souviens un peu, je suis terrifié et mon cœur me fait mal.

Je suis torturé, déchiré entre le fait de lui montrer ce qu'elle a fait ou le fait d'éviter la question jusqu'à la fin de mes jours.

Comme je l'ai dit, je ne sais plus rien. Je ne sais plus quoi faire, alors je ne fais rien.

Son téléphone émet un petit son de clochette, et il le regarde un instant avant de se tourner vers moi. Son sourire est bienveillant, j'apprécie vraiment.

-J'ai un endroit à te montrer.

Je ne dis rien, me contente de pencher la tête sur le côté tout en le questionnant du regard.

-J'espère que tu n'as pas trop le vertige.

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J'ai pris du temps à l'écrire, mes examens me fatiguaient beaucoup mentalement. Mais j'ai passé mon dernier examen aujourd'hui, donc je reprendrai très vite l'écriture, que ce soit pour ce récit ou pour les autres.

«Le silence n'est pas toujours plus facile. Parfois, c'est une solution, mais je pense que ce n'est jamais la meilleure au fond. Pourtant, le silence , c'est la solution que j'utilise depuis presque toujours.»

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant