Chapitre II

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II

– Et comment t'es-tu donc retrouvé à errer seul dans la campagne, alors que la mort de l'Infâme devait sceller ton tombeau ?

Dietr sourit à la question d'Hannah.

– Ça me fera toujours bizarre de l'entendre se faire appeler « infâme ». Je lui ai presque sacrifié ma vie. Je ne sais combien de fois je me suis mis à genoux devant elle, combien de fois elle m'a ordonné et je l'ai remerciée de me prêter son attention. Je sais qu'elle n'est plus de ce monde, mais tant que je vivrai, le lien qui m'unit à elle sera toujours. Je n'étais certes pas le plus soumis de ses valets, mais j'accordais tout de même une grande importance aux valeurs dans lesquelles Uri m'avaient élevé. Quoi qu'il en soit, dès que nous avons appris la nouvelle, nous nous sommes réunis autour du grand pentacle de la salle centrale. Nous étions un cercle parfait, chacun avec notre poignard à la main. J'ai compris que mon heure était venue ; je n'avais pas d'autre choix que de mourir. J'avais accepté ce destin dès l'instant où j'avais quitté ma maison en suivant Uri. D'ailleurs, Uri, lui, était déjà mort quelques années auparavant, après avoir été une nouvelle fois un peu trop indulgent. Je n'avais pas de regrets, plutôt un reste de rage de vivre qui s'insinuait en moi et qu'il m'était difficile de combattre. Je te l'ai déjà dit, mais on m'a moins inculqué mes devoirs que les autres, et j'avais bien moins de facilité à surmonter mon instinct de survie purement humain. Je n'étais plus un simple homme, j'étais un Homme en Violet. Ces règles ont été très bien conçues ; l'idée de voir tous mes compagnons mourir au même instant que moi avait quelque chose de réconfortant, d'encourageant. Au moins, on ne se sentait pas seuls, et on était là pour se forcer les uns les autres à respecter notre pacte. On allait passer à l'acte – nos poignards étaient déjà levés. Et puis, le Chancelier Varvadon est arrivé. Il avait besoin de quelqu'un pour liquider la sœur de la reine – je crois que tu n'as jamais dû entendre parler de cette affaire, c'était un secret d'état. Marigold Mac Bullock étaient retenue prisonnière en secret dans une partie reculée du palais. J'ai vu cela comme une porte de sortie ; je me suis levé. Oskr m'a jeté un regard assassin en me traitant de traître ; c'est le dernier mot qu'il m'a dit. Je suis parti ; je n'ai pas vu les derniers instants de mes confrères. Seulement, quand nous sommes arrivés dans les appartements de la princesse, elle s'était pendue. Je pense qu'elle avait dû pressentir la mort de la reine et vouloir la poursuivre en enfer. C'était quelqu'un de très résolu et qui a souffert presque toute sa vie – et je pense qu'au fond, c'était vraiment une personne bien. On n'a pas toujours de la chance. À cet instant-là, j'ai su que je ne voudrais pas mourir. J'avais déjà trahi les miens ; me tuer maintenant aurait été stupide. J'ai senti mon cœur s'accélérer ; ses battements m'ordonnaient de vivre. Varvadon avait deviné mes intentions ; lui, je trouvais qu'il n'avait plus sa place dans ce monde. J'allais l'étriper ; il a été plus rapide et m'a envoyé un vilain coup de pistolet dans l'épaule. Je me suis effondré, mais je n'étais pas tout à fait mort. Il n'a pas vérifié et il est parti. J'ai contenu les saignements du mieux que j'ai pu et je me suis enfui le plus loin possible. On m'avait appris beaucoup de choses ; j'ai pu m'enfuir avec mon cheval et ne m'en tirer qu'avec une vilaine cicatrice. J'ai vécu dans une grotte reculée, seul des années. Je connaissais même quelques sorts à dresser pour être sûr qu'il soit impossible de me retrouver. Je me suis ouvert plus encore aux épreuves du corps et à la méditation... jusqu'à l'appel qui m'a conduit à toi.

Hannah resta silencieuse un moment, considérant l'ensemble de la vie de celui qu'elle aimait.

– Au fond, je suis la raison de la mort de tous tes amis, dit-elle finalement. Je suis... désolée.

Elle avait vraiment murmuré le dernier mot de façon à s'attendre à peine elle-même.

– Ce n'étaient pas mes amis, je te l'ai dit. Je n'ai pas d'amis. Et je refuse que tu t'excuses. Il se sont tués eux-même, ça n'a aucun importance qu'ils y ait été forcés. Ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-même de n'avoir pas tout fait pour éviter cette situation : c'est le principe du suicide rituel. De la même façon, je n'ai jamais eu de ressentiment pour Uri après la mort de ma mère. J'ai compris que c'était une passe nécessaire et ça m'a aidé à surmonter ma peine. Je ne l'ai presque pas pleurée.

Les Derniers (Les XXIs, livre IV)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant