Pulsions

Cinq

   Maman.

 

   Je n'arrive plus à dire, à penser ce mot de la même manière. C'est comme une brûlure indélébile qui me pourrit les lèvres.

   Tu me manques tellement… Comment as-tu pu nous quitter aussi brutalement ? Je ne m'y attendais même pas, je n'étais pas préparé à ça ! C'est trop dur, en ce moment...  Je ne contrôle plus rien ! J'ai peur, j'ai si peur, pour moi, pour papa ! Noël n'aura plus le même goût qu'avant… Et je n'ai plus la force de sortir. Enfin, je suis sorti une ou deux fois, en mettant papa au courant (mais je reviens toujours peu de temps après, je n'aime pas le savoir seul), et c'était pour aller la voir.

   Elle.

   Carter.

   Elle m'aide. Elle m'aide à surmonter tout ça. À surmonter ta disparition. Je me sens comme orphelin maintenant, même s'il me reste papa. Il en souffre. Moi, dans tout ça, je nage dans une mer houleuse et sombre. En plus d'avoir mal parce que tu n'es plus là, Carter aussi a mal. Et ça me fait souffrir encore plus.

   Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je veux dire, je m'attache à elle. Ça me fait peur, parce que je n'ai pas envie de revivre ce qui s'est passée avec Fiona. Cette histoire m'a détruit, toi-même tu en as été témoin. Mais à chaque fois que je la vois, c'est bizarre. J'ai une sensation étrange qui me met le ventre dans tout les sens, j'ai des picotements dans tout le corps, et mes doigts me démangent de la toucher. Je suis… comment exprimer ça… comme perdu, sans elle. J'ai peur d'avoir des sentiments pour elle. J'ai surtout peur qu'elle soit comme Fiona, mais je sais qu'elle n'est pas comme ça. C'est carrément impossible. Il se peut que je me trompe, mais au fond de moi, c'est inimaginable de sa part. Je ne veux pas la perdre, c'est la dernière femme vivante à qui je tiens. Récemment, elle… comment dire ça… Elle s'est "brûlée" les jambes. J'ai téléphoné parce que j'avais besoin de lui parler, mais ce n'est pas elle qui m'a répondu. C'était une autre fille, complètement désespérée, qui m'a sorti toute une histoire comme quoi elle s'immolait avec un briquet ou je ne sais quoi… Je suis arrivé, sans réfléchir, j'ai défoncé la porte. Avant qu'elle ne se cache, j'ai eu le temps de voir ces affreuses marques sur ses jambes. Elle était en pleurs, elle souffrait, endurait cette douleur. Je n'en pouvais plus de voir à quel point elle allait mal. Je veux lui parler, mais j'ai trop peur que papa ne fasse une bêtise… Il est devenu très instable, émotionnellement.

   Maman, que dois-je faire ?

 

   Tu saurais quoi faire. J'aimerais tellement comprendre Carter… Savoir ce qui se passe dans sa tête, ce qu'elle ressent, ce qui la pousse à s'infliger ça… Je ne comprends plus rien, je suis au bout du rouleau. C'est tellement cliché ce que je vais dire, mais… Elle est différente. Carter, elle dégage quelque chose de mystérieux. C'est peut-être ça qui m'attire à elle comme du fer à l'aimant. Je ne peux pas (ou ne veux pas) être amoureux d'elle, même si elle hante mes pensées jusqu'aux recoins de mes orteils. J'aimerais savoir qui elle est vraiment.

   Toi, tu saurais quoi faire. Tu m'aurais conseillé. Papa ne serait pas dans cet état si tu étais encore là. Mais pourtant, tu as sombré. Tu as sombré dans cette drogue liquide que tu t'étais promis de ne pas toucher. Mais pourtant, c'est l'alcool qui t'as tué. Et dire que, quand tu nous faisais croire que tu allais voir des amies, que tu allais faire du shopping, que tu avais des réunions le soir… En fait c'était pour aller te soûler, te payer une bonne cuite ! Et voilà où ça t'a mené ! Voilà où est-ce que tu as atterri ! Dans un cercueil, à dix pieds sous terre, avec les asticots, les vers de terre et la poussière !

 

   Pardon, pardon…

   Je ne voulais pas écrire ça… Pardon maman.

 

   Je t'aime, et je ne t'oublierais jamais.

   Gabriel. ♥

                                                                                           ~

(Les mots en gras sont censés être barrés).