Huit

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   J'essayai de me relever en crochetant mes doigts aux grillages, mais mes jambes ne répondaient pas, ne me portaient plus. Je voulais inspirer, mais je n'y parvenais pas, je sentais ma gorge se resserrer sur elle-même. Mes poumons ne se soulevaient pas. Les images défilèrent à vitesse grand V derrière mes paupières, je revoyais les disputes avec ma sœur, les moments de solitude avec la tête de Nightmare sur mes genoux, les étreintes affectueuses qu'on se donnait avec ma mère, les sourires taquins de mon père après l'une de ses blagues qui avaient le don de m'agacer profondément… Ces souvenirs qui me hantaient, qui me faisaient tellement mal, qui me déchiraient le cœur, qui me reprochaient encore de les avoir abandonné… Je voulais sortir de cette tornade de souvenirs, mais elle m'emportait, encore et encore, m'élevant de la réalité, pour après me noyer dans cette atroce tempête. Je souffrais, je voulais crier, mais rien ne sortait de ma bouche, les pleurs ne venaient pas, la torture me laminait mon esprit. Je sentais un tourbillon noir, obscur, se former au plus profond de moi, et m'aspirer, moi et la rafale de souvenirs, dans des ombres inconnues et irrespirables. J'avais l'impression d'inspirer du sable. Mes poumons me faisaient mal, et je me sentais tomber, encore et encore, toujours plus bas…

   Puis le noir complet m'enveloppe, et plus rien.

   J’entendis des paroles, dans le lointain. Une voix rassurante, que je ne reconnus pas, mais dont j’étais sûre de connaître. Elle était implorante. Je ne perçus que des brides de phrases, à peine compréhensibles :

   - Réveille-toi… J’ai tant besoin de toi…

   Une lueur aveuglante m'éclairait. Je fus instantanément rassurée, et en même temps plus inquiète : serais-je revenue dans la lumière pour payer mes actes, pour payer le prix de toutes les âmes qui j'ai tué ?

   Une main se glissa sur la mienne et la serra. J'ouvris mes paupières, une à une. Juste un plafond blanc terne, et cet éclairage lumineux. J’inspirais. J’avais deux petits tuyaux plantés dans les narines. Je portais une blouse blanche stérile. Oh mon Dieu, ne me dites pas que je suis à l’hôpital…

   Pourtant, c’était ça. J’étais sur un lit, avec de petites perfusions. J’étais protégée par des murs blancs. J’entendis des pas derrière la porte, tantôt légers, tantôt lourds et traînants, tantôt rythmés et rapides… À cela s’accompagnait des bruits de sonneries de téléphone et de voix, et du glissement des roues contre le sol. Ma vue mit du temps à s’adapter et à retrouver sa netteté. Ce signe m’inquiéta davantage. Je me redressais vivement, comme une folle à lier qui voudrait s’enfuir de l’asile. Je regardais partout autour de moi. Pas de doute. La panique me prit d’un coup. Je crus que j’allais encore m’étouffer, mais aucun étau ne se referma sur ma gorge.

   La main qui était sur la mienne la serra encore plus.

   C’était Peter qui était là, Gabriel qui me tenait la main.

   - Chut, glissa Gabriel. Tu n’as rien à craindre.

   Il n’était pas encore au courant.

   Mais j’avais tout à craindre ! Et s’ils découvraient qui j’étais ? Je serais condamnée à être un cobaye, et ce scénario était envisageable seulement si j’avais de la chance ! On m’expédierait illico presto chez Dieu, pour me faire châtier ! Ou pire : il pourrait m’envoyer au bûcher, comme chez les médiévaux, pour être sûr que je ne revienne pas d’outre-tombe !

   Ma lèvre inférieure trembla, et mes mains se crispèrent. Gabriel s’en rendit compte et me caressa le bras. Il se leva pour être à ma hauteur et se rapprocha. Je fixais le vide, complètement paniquée. Je ne pouvais pas partir, avec les perfusions que je ne savais pas enlevé sans me faire mal, et Gabriel me serrait le bras.

PulsionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant