Chapitre 1: The beginning.

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Mia

Ma main voyage le long de l'étagère en bois parfaitement nettoyée alors que j'admire tous les bibelots qui sont posés dessus. La position des uns par rapport aux autres a l'air d'avoir été préméditée. Je peux même dire qu'ils ont tous été placés au millimètre près sur le bois ciré. Je reste presqu'en admiration devant cette parfaite harmonie qui règne entre les petits objets décoratifs.
Ils ont tous l'air très délicats et d'une fragilité incomparable. Ils sont tous différents, c'est certain, mais je leur devine un point commun : leur authenticité. 
Mon regard s'arrête soudainement sur un des bibelots. Il semble avoir attiré mon attention. Je fronce légèrement les sourcils, me concentrant sur le petit objet. Je ne sais pas pour quelle raison mais il m'a l'air unique. Plus que les autres. 
Je tends timidement ma main vers la précieuse statuette et passe doucement mes doigts sur le bibelot d'argent, avide de connaitre sa texture. Le métal est doux, bien qu'un peu froid sous mes doigts curieux. Je souris à cette découverte. Je redessine minutieusement chacune de ses courbes du bout des doigts, comme fascinée. Ses lignes ont été soigneusement sublimées, j'en suis certaine. Je repose précautionneusement la figurine argentée à sa place initiale avant de me redresser. Je replace une de mes mèches foncées derrière mon oreille avant de dire :
 
« La décoration est plus sobre, je trouve, plus épurée. C'est une bonne idée d'avoir ouvert votre cabinet à domicile.»
 
Je me retourne calmement et me retrouve face à face avec mon interlocutrice. Elle me regarde intensément de ses prunelles claires. Elle hoche doucement la tête, alors qu'un petit sourire apparait sur son visage pâle. Elle se redresse sur le gros fauteuil matelassé dans lequel elle est assise puis elle griffonne quelques mots sur son carnet, déposé sur ses genoux. Je tourne rapidement sur moi même, passant en revue l'intégralité de la pièce avant d'ajouter :
 
« Ce cabinet est plus grand que l'ancien, je me trompe ? »  dis-je, éloquente.
« En effet, il est légèrement plus grand », répondit-elle doucement. 
 
Je m'écarte de la grande commode que je viens de scruter et je déambule dans la pièce jusqu'à arriver devant l'imposante bibliothèque qui domine l'ensemble de la pièce. J'observe les étagères du meuble massif, impressionnée par leurs contenus. Tous les ouvrages qui les occupent parlent de médecine ou de psychiatrie. Certains, vu leur épaisseur, doivent faire plus d'un millier de pages. Je relève certains des titres qui décorent la tranches des livres : "Bénéfice Bipolaire",  "Troubles Bipolaires" et "Les Borderlines" sont ceux qui retiennent le plus mon attention. Je recule d'un pas de la bibliothèque pour la voir dans son intégralité et demande :
 
« Vous les avez tous lu ? »
 
Elle étouffe un léger rire et j'entends la mine de son crayon gratter le papier de son carnet.
 
« Oui, tous au moins une fois », répondit-elle sur un ton incroyablement calme.
 
Je me retourne, surprise de sa réponse.  Je la regarde, envieuse de la patience qu'elle a du avoir pour lire tous ces pavés. 
 
« Pourrais-je vous en emprunter un ? 
-Bien sûr, prend celui que tu veux. »
 
Je lui adresse un sourire, reconnaissante de sa réponse. J'extirpe hâtivement de l'étagère le gros livre intitulé "Troubles Bipolaires". La couverture du roman est de couleur bleue et elle est recouverte d'une fine couche de poussière. J'apporte le bouquin près de ma bouche et souffle un grand coup dessus pour chasser l'intégralité de la matière grisâtre. Les fines particules volent dans l'air avant de retomber en voltigeant sur le parquet.
 
Je place le livre sous mon bras et continue de zieuter les étagères où reposent tous les registres psychiatriques. Mes yeux s'arrêtent sur celle où sont alignés les dossiers des patients. Je les compte rapidement et j'aperçois le mien. Il est bien plus volumineux que la plupart des autres. Ça ne m'étonne pas vraiment étant donné que je suis patiente ici depuis un bon bout de temps maintenant.
 
« Votre patientèle a l'air d'avoir beaucoup augmenté, peut être même doublé »,constatais-je. 
« Effectivement, j'ai beaucoup plus de patients que l'année dernière. Mia, te souviens-tu du nombre de patients que j'avais avant ? »
 
Mon visage se durcit, ma mâchoire se contracte vivement et mes yeux se ferment instinctivement. Je me tourne lentement vers elle, les poings serrés. 
 
« Bien sûr. Je me souviens de tout. Absolument de tout et dans les moindres détails. Je me rappelle, par exemple, du nombre exact de fois où je suis venue à un de ces rendez-vous dans votre ancien cabinet. Je me souviens également de tous les médicaments que j'ai dû avaler tous les jours durant ces trois dernières années. Je me rappelle de beaucoup de choses vous savez. Trop de choses, peut-être même. D'ailleurs, savoir toutes ces petites choses futiles peut paraître inutile et sans intérêt mais elles sont gravées dans ma mémoire. Sûrement gravées à vie... » je soupire. « Croyez le ou non, mais si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais déjà éradiqué toutes ces pensées de mon esprit. »
 
Je m'arrête un instant, me coupant dans mon récit. Je fais glisser mes doigts le long de la tranche du gros livre bleu. Un léger sourire apparaît sur mon visage lorsque je me rends compte qu'elle est devenue silencieuse. Incroyablement silencieuse. Je me retourne soudainement et m'approche de la femme aux yeux clairs. Je m'assois en face d'elle, sur le fauteuil réservé aux malades avant de replacer - encore- cette mèche rebelle derrière mon oreille. 
 
« Mais il y a une seule chose que je ne veux pas oublier », repris-je. « Oui, une seule. Je veux me rappeler que c'est à cause de vous que j'ai du aller dans cet institut spécialisé. »
 
Je sais que j'avais sûrement semblé incroyablement calme lorsque j'avais tenu ces propos, mais mon état intérieur était le parfait opposé. Je fulminais et devais faire preuve d'un self-control incroyable pour ne pas me mettre à hurler.  
 
« C'était pour ton bien, Mia. Tu ne prenais plus tes médicaments, tu ne faisais plus aucun effortOn devait te placer dans ce centre pour ton bien », rappelle-t-elle gentiment.
-« Pour mon bien ? » m'énervais-je. « M'enfermer dans une salle avec pleins d'attardés était censé me faire du bien ?  
-Oui, et ça a marché. Regarde-toi ! Tu vas beaucoup mieux maintenant. Ça t'a aidé à te changer les idées et à reprendre du poil de la bête ! Crois-moi, Mia, cette année là-bas t'a réellement aidé à avancer. »  
 
J'ai presqu'envie de lui rire au visage. Pense-t-elle sincèrement que ça m'a aidé à me changer les idées ? Pense-t-elle sincèrement que ce centre a eu un effet miraculeux sur moi ? Si c'est le cas, elle est la femme la plus naïve que je n'ai jamais rencontrée...
 
Je détourne rapidement les yeux, incapable de soutenir une seconde de plus le regard glacial de la femme. Elle ne sait pas ce qu'elle dit. Elle ne me connait pas, elle ne peut pas affirmer ces choses sans me connaitre. Je me lève du siège et me dirige, cette fois, vers le bow-window qui donne sur la cour de la jolie maison. L'extérieur est charmant. En regardant par la fenêtre, je peux clairement voir que le mois d'octobre est bien entamé. Les arbres sont nus, dépourvus de leurs feuilles qui jonchent, à présent, la pelouse, la colorant de multiples couleurs. Je prends une grande inspiration avant de dire :
 
« Je vous ai manqué, cette année Mme... 
-Non, appelle-moi Amy », me coupa-t-elle. 
« Je vous ai manqué, Amy ? » me corrigeais-je.
 
Je m'écarte rapidement de la fenêtre et je retourne m'asseoir en face d'Amy. Je vois les traits de son visage se décontracter lorsqu'elle s'aperçoit que je suis de nouveau face à elle.  Elle a toujours détesté que je bouge dans toute la pièce durant les rendez vous, c'est pour ça qu'à chaque fois que je me pose dans ce fauteuil elle semble soulagée. Au début, elle m'obligeait même à rester figée dans ce siège durant toute la séance, mais elle a vite compris que cela ne servait à rien de me forcer à faire quelque chose que je ne voulais pas exécuter...
 
« Oui, tu m'as manqué », répondit-elle enfin.
 
J'esquisse un léger sourire. Je suis presque sûre qu'elle ne le pense pas. De toute manière ça m'est complètement égal, puisqu'elle, elle ne m'a absolument pas manquée. Après tout, c'est elle qui m'a envoyé dans ce centre horrible. C'est à cause de cette femme que j'ai perdu une année de ma vie.
 
Une alarme retentit soudainement dans la pièce, me sortant de mes pensées. Je tourne la tête vers l'endroit d'où provient le bruit et j'aperçois le minuteur de la femme posé sur son bureau. L'heure est écoulée. Elle écrit quelques mots sur son carnet avant de se relever. Elle tire sur sa jupe grise pour faire disparaître tous les plis qui s'étaient formés dessus lorsqu'elle était assise. Je me relève à mon tour et ferme ma veste. 
 
« J'ai l'impression que cette année au centre a été positive pour toi. Tu as l'air d'aller beaucoup mieux qu'avant. Je suis ravie que cela t'ait aidé », conclue-t-elle. On se voit la semaine prochaine à la même heure, n'oublie pas. »
 
J'hoche rapidement la tête avant de me diriger rapidement vers la porte, pour m'échapper de cet endroit. J'ouvre la séparation et m'apprête à sortir mais Amy retient mon bras. Je me retourne et elle me dit :
 
« Pense bien à prendre tes médicaments, Mia. C'est vraiment important.
-Ouais, j'y penserai », promis-je.
« Et n'attends pas de ne plus en avoir pour aller en racheter. 
-Je passerai à la pharmacie demain après les cours. » 
 
Mes yeux se posent une nouvelle fois sur la statuette argentée. Je la regarde intensément comme pour m'en souvenir dans les moindres détails. Je dois presque m'obliger à détourner le regard, j'ai l'impression d'être envouté par cette figurine. Je dépose mes yeux sur Amy et je lui dis au revoir. Je sors rapidement de la grande maison et me retrouve dans le beau jardin. L'air extérieur est froid, et le vent fait danser mes mèches sombres. Je fourre mes mains dans mes poches et sors de la propriété par le portail entrouvert. Je regarde une dernière fois la demeure, et j'aperçois la femme brune me regarder par une des fenêtres de l'étage. Je la fixe quelques instants avant de continuer ma route vers l'arrêt de bus. Je ne peux m'empêcher de sourire en me rappelant de sa conclusion. Elle pense que je vais mieux, que l'année que j'ai passé enfermée dans son centre m'a aidé. Et bien, elle se trompe sur toute la ligne...
 

Free MeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant