Chapitre 4: L'inconnu

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"The perfect sky is torn"
Inconnu

L'adolescent fixait le plafond blanc. C'étai triste, le blanc, il n'y avait rien à contempler, rien que de la peinture pâle et défraîchie, rien que de lourds aplats hâgards qu'une main fatiguée avait étalé sans passion. Le vide, le blanc, l'absence.... Il détestait les hôpitaux. Le plafond lourd et écaillé qui masquait le ciel. Les murs immenses et solennels qui effaçaient les parcs. Les draps, comme des linceuils, qui volaient les couleurs.
Les hôpitaux étaient des voleurs d'émerveillement.
On frappa à sa porte, puis une infirmière entra sans attendre de réponse.
"Bonjour", murmura-t-elle dans le vide. Il ne répondit rien, elle ne s'en offusqua pas. De toute manière, elle ne s'adressait pas vraiment à lui. Sans doute saluait-elle les nombreux fantômes qui hantaient cette chambre. La vieille femme déposa un plateau repas devant lui, ses rides fatiguées se tendant sous l'effort. Puis, elle frissonna et se hâta de quitter la pièce. Alors seulement, l'adolescent réalisa à quel point il avait froid. Il écarta son plateau sans y toucher, et se recroquevilla sous ses draps, tremblant. Sa main effleura sa joue, et il sentit qu'elle était humide. Il avait pleuré dans son sommeil.
Comme d'habitude.
Mais une fois encore, il ne se souvenait plus de ce dont quoi il avait rêvé.

Un peu plus tard, il appela une infirmière. Il avait envie de fumer. On l'y autorisa, non sans un regard accusateur, et il sortit s'abîmer les poumons devant le bâtiment.
Il fumait depuis un moment déjà, jouant avec les volutes grises s'échappant de la cigarette, lorsqu'un homme passa devant lui. Il semblait jeune, 23 ans tout au plus, si l'on se fiait à ses traits et à sa peau, jeunes quoique tirés. Mais sa taille, maigre, trop maigre, et son corps chétif, mais ses yeux cernés de noir et son visage fatigué, tout en lui semblait nouveau et ancien, comme s'il avait en même temps sept et cent ans. On aurait dit un enfant-vieillard, un vieux sage prisonnier dans un corps de jeune homme chétif comme un enfant. Aussitôt, il se sentit violemment happé par ces yeux hâgards.
Aussitôt, il se sentit triste.
L'autre, qui le regardait fixement, secoua la tête comme pour se ressaisir, et partit.
Il n'était plus là.
Il l'avait laissé seul.
Sa cigarette, éteinte, tomba au sol et s'effondra, inerte, dans un nuage de cendres.

Un fragment d'éternité plus tard, quelqu'un frappa à nouveau à la porte. L'adolescent ne dit rien. On frappa à nouveau, encore et encore, et ce vacarme épouvantable finit part l'épuiser.
"Entrez", souffla-t-il, agacé.
La porte s'ouvrit doucement, et un étrange individu fit son apparition.
Ce qui frappa tout d'abord l'adolescent, ce fut son odeur, des vapeurz de chocolat noir et intense emmêlé aux feuilles de chêne et à quelque chose d'autre, de plus sombre, de plus amer aussi peut-être. Puis, il battit des paupières et écarquilla les yeux devant l'accoutrement du nouvel arrivant. Des bottes brunes et longues montaient le long d'un vieux jean involontairement troué et tâché d'encre. Un large bandeau de cuir épais, exagérément serré autour d'une taille mince, ceignait une chemise de bucherôn à carreaux noirs et rouges au moins trois tailles trop grande pour lui. Au dessus de celle-ci, une veste de motard paraissait déplacée, qui eut effrayé autre part. L'homme portait également une boucle d'oreille, un anneau simple de métal gris, orné d'un cristal noir. C'était vraiment une tenue pour le moins inhabituelle et malgré tout celà, l'adolescent ne parvenait pas à le trouver laid, ou risible. Ces vêtements trop grands et abîmés sur ce corps petit et mince, cette tenue dépareillée appuyaient au contraire l'aura charismatique et autoritaire de l'homme comme s'ils soulignaient son intelligence. Celle-ci, palpable, se dégageait de chaque portion de lui, de son regard insondable, de son demi-sourire, de ses traits marqués, et de sa mâchoire carrée. Le petit homme, qui ne devait pas avoir plus de 28 ans et ne pas peser plus de 50 kilos, imposait autour de lui son aura débordante. Lumineux, il éveillait sur les parois de la chambre des ombres incertaines.
"Bonjour Louis", salua-t-il d'une voix puissante, claire et grave.
L'intéressé sursauta, surpris que l'on vienne troubler le silence, puis se ressaisit et répondit d'un hochement de tête.
"Comment vas-tu aujourd'hui?"
Là, Louis lui adressa un regard noir. Il avait 19 ans, il travaillait, était-ce trop demandé que de le vouvoyer?
"Hum, je vois, murmura l'autre en s'asseyant, sans demander la permission, sur le lit du jeune homme.
"Je m'appelle Viktor Kerz, tu peux m'appeler Viktor, ou M. Kerz, c'est comme tu veux. Je sais que tu as 19 ans mais je préfère toujours tutoyer les gens, c'est plus agréable. Si ça te dérange, tu peux demander à ce que l'on se vouvoie, mais sache que je ne veux pas te manquer de respect, d'accord?"
Il hocha la tête en fronçant les sourcils. Qui était cet inconnu qui semblait lire dans les pensées?
"Eh bien, hum, Louis, nous disions. Je m'appelle Viktor Kerz et je suis psychologue."
Immédiatement, l'autre eut un mouvement de recul. Il allait bien. Il n'était pas fou. Il n'avait pas besoin de psy...
"Je sais que tu dois penser que je n'ai rien à faire ici, que les psychologues s'occupent des fous," poursuivit l'autre impassible.
Lisait-il vraiment dans les pensées? Non, c'était impossible. Un tel talent n'existait pas.
Connard de psy de merde.
"Je sais, tu dois m'en vouloir, tu dois penser que je ne suis qu'un abruti, qu'un connard de psy de merde, continua-t-il, faisant sursauter son patient, mais écoute-moi bien."
Louis assentit à regrets : il n'avait rien d'autre à faire de toute manière.
"Je suis ici parce que tes parents m'ont engagé pour t'aider. Pas parce que tu es fou, juste parce que tu ne vas pas bien et que des gens qui tiennent à toi s'inquiètent. Qu'en pense tu, Louis? Ont-ils raisons de s'inquiéter? Dis-moi Louis, sais-tu pourquoi tu es ici?"
L'adolescent baissa les yeux et hocha lentement la tête. Il s'était envoyé à l'hôpital. Il avait cru mourir. Il aurait pu mourir. Il aurait... dû?
Ça par contre, il n'en était pas sûr. Le voulait-il vraiment? Qui le regretterait? Ses parents? Non, sa mère s'était remariée et avait fondé une famille à laquelle il n'appartenait plus. Ses amis? Il n'en avait pas. Le visage de l'inconnue de la veille, Hope, lui revint à l'esprit, mais il le chassa d'un revers de la main. Elle rayonnait de joie, et jamais elle ne pleurerait pour quelqu'un comme lui. Quant à l'inconnu de tout-à-l'heure, l'enfant-vieillard, il ne le connaissait même pas. Pourquoi même avait-il pensé à lui? À cet instant, Louis se sentit très seul. Il sut ce qu'il voulait, et compris enfin pourquoi il avait avalé tous ces médicaments.
Il toussota, la gorge sèche.
"J'ai essayé de me suicider."
Sa voix paraissait abîmée, à ses propres oreilles.
L'autre posa sur lui un regard indéchiffrable, d'une intensité brûlante.
"Écoute Louis, je suis là pour t'aider...
-Je n'ai pas besoin d'aide! cria-t-il, tout à coup paniqué à l'idée que l'on lui vole sa dernière échappatoire.
-Si. Et j'ai discuté avec tes parents, si ti refuses mon aide, c'est l'hôpital psychiatrique.
-L'hô-l'hôpital... Mais... Je n'ai pas..."
Stupéfait, l'adolescent en perdit ses mots. Il ramena ses jambes contre son torse et verrouilla ses bras autour de ses genoux. Jamais il n'irait en hôpital psychiatrique, c'était hors de question. Il détestait les hôpitaux. Et puis, il n'était pas fou.
"Non...
-Je suis désolé.
-Quelle est l'autre option?
-Eh bien, c'est très simple. Tu me laisses t'aider, tu m'aides, et tu t'aides toi-même.
-Et comment je fais ça?
-Hum, tout d'abord tu acceptes de me parler, c'est déjà bien. Ensuite, pour ce qui est de m'aider... Disons que j'aimerais que tu me rendes un service.
-Quel genre de service?
-Que tu viennes en aide à quelqu'un pour moi.
-Hey, je ne suis pas assistant social, et c'est ton travail, ça, d'abord!
-J'ai mes raisons d'avoir du mal à l'aider. Réfléchis bien, Louis, c'est ça ou l'hôpital psychiatrique.
-J'accepte, soupira-t-il, agacé. Comment s'appelle-t-il?
-Elliot Kerz. Sauve Elliot Kerz pour moi, s'il-te-plaît.
-Kerz?
-Oui. Sauve mon petit-frère, Louis. Je t'en prie.

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