Lorsqu'Elliot s'était évanoui, Louis n'avait pas réfléchi, composant simplement le premier numéro qui lui était venu à l'esprit. Aussitôt, Viktor avait déccroché, la voix paniquée, et s'était dépêché de venir à l'appartement. Il s'était agenouillé devant son frère qui, endormi dans les fleurs éparpillées, et avait vérifie fiévreusement que son coeur battait toujours. Angoissé, Louis tordait ses longues mains blanches contre son coeur, faisant craquer ses doigts.
"Pars", avait demandé Viktor d'une voix blanche. Il avait d'abord refusé, terrifié, mais lorsque l'homme avait posé sur lui ses yeux marron trempés de larmes, il avait obtempéré.Puis, lorsqu'il avait rouvert la porte quelques heures plus tard, il avait trouvé Elliot assis sur le canapé, parfaitement éveillé et lisant un livre. Viktor était parti. Lorsqu'il vig son ami, vivant, la lumière de la lampe dansant sur son visage, le jeune homme se sentit soulagé. Soulagé, si soulagé qu' il ne songea pas un instant que ce pourrait être gênant ou déplacé. Il ne réfléchit pas, il était trop soulagé pour réfléchir, alors il se jeta dans ses bras, enfouissant son visage dans le cou de l'autre, parce qu'il avait eu peur, oh, il avait eu peur, il avait eu peur, et il ne devait plus jamais lui refaire ça, hein, il avait eu tellement peur...
Elliot ne se vexa pas, ne se raidit même pas. Cette proximité, qui l'eut fait se pétrifier de terreur chez un autre, lui sembla tout à fait naturelle avec Louis, et il se contenta de sourire doucement en caressant les cheveux de son ami. Ils s'endormirent, comme ça, sur le canapé du salon, leurs mains froides emmêlées sous la chaleur de la lampe, dans le parfum des fleurs.
Les jours passèrent, et certaines choses changèrent un peu, doucement. Un peu de l'angoisse gênée qui régnait dans l'épais silence de l'appartement avait disparu, et chacun prenait quelques libertés sur leurs lois invisibles. Parfois, Louis faisait exprès de fumer devant Elliot, quand l'air devenait trop lourd, juste pour qu'il ouvre la fenêtre, et laisse l'air pur entrer par vagues de lumière. Ces jours-là, le soleil brillait dans le cendrier.
D'autres jours, Viktor venait rendre visite à son frère. Il se conduisait en parisien exemplaire, pestant à l'encontre du soleil, de la pluie et de la ville en général, passant l'aspirateur et nous suppliant d'engager une femme de ménage, parce que l'appartement devenait vraiment difficile à supporter. Mais bien sûr, les deux hommes refusaient toujours. Après son entrée tumultueuse, l'homme se préparait un café ou un thé, et les deux frères s'attablaient à la cuisine pendant plusieurs heures, échangeant des mots étrangers d'un accent hésitant. D'après Elliot, son aîné lui apprenait l'allemand, qu'il avait oublié. Louis ne comprenait pas pourquoi. Mais après tout, celà faisait longtemps qu'il avait renoncé à comprendre. Il écoutait simplement, quand les mots glissaient par le trou de la serrure, et c'était rude et doux et exotique et amer et sucré et familier et c'était joli.
Puis, Viktor repartait, deux heures plus tard, avec un rire sonore et une blague de mauvais goût qu'Elliot ne comprenait pas et qui faisait sourire Louis. Il quittait la maison en claquant la porte, un vieux manteau marron flottant derrière lui, et chacune de ses visites laissait dans l'appartement une odeur de forêt qui demeurait jusqu'au soir.
C'est à cette époque que Louis recommença à travailler, apportant à la boulangerie des esquisses de sourires et un visage plus léger. Il continuait de rendre la monnaie, le nez dans ses éclairs et ses religieuses, et cela lui convenait parfaitement. Il ne regardait plus les clients, cela le déprimait. En revanche, il passait ses journées à penser à Elliot, aux fleurs qu'il lui apporterait, et à combien Décembre était devenu beau. Son patron même avait remarqué sa bonne humeur naissante, et lui avait demandé en riant s'il avait trouvé l'amour.
Louis aurait voulu répondre, il aurait voulu s'écrier d'un air enthousiaste que non, il n'avait pas trouvé l'amour, qu'il ne savait même pas ce que c'était, l'amour, mais que désormais le matin il n'était pas fatigué d'ouvrir les yeux sur le plafond qui craquait. Il avait envie de lui dire que le jour se levait et que c'était joli, et que l'appartement sentait le café et la forêt et les livres et que c'était agréable, et qu'il aimait la silhouette de la ville et les religieuses à la vanille et le murmure du vent entre les arbres, et qu'Elliot lui rapportait des fleurs tous les jours et qu'il lisait si bien les histoires, tellement bien, avec sa jolie voix. Il aurait voulu lui dire que tous les soirs, le front appuyé contre le verre de sa fenêtre, il regardait le soleil se coucher et il lui disait au revoir, au revoir le soleil, reviens demain s'il te plaît parce que c'est tellement beau, le soleil qui éclabousse le béton, et puis bonjour la lune, bonjour, tu es belle ce soir. Il aurait voulu lui dire cela et lui dire encore le goût du chocolat et l'odeur de l'air pur et le soulagement et la joie de savoir que l'on respire encore, parce que ce n'est quand même pas donné à tout le monde, de respirer, et qu'il s'était senti comme une statue qui portait de la pierre sous la chair et du goudron dans la gorge, mais que ça allair mieux, parce que Elliot était là et il disait tout le temps ça va, Elliot, même si ça n'allair pas, tout va bien parce que c'était un menteur mais un gentil menteur qu'il voulait croire, et oh, Elliot il disait ça va aller, tu vas voir, tout va s'arranger et quand il disait ça il avait un grand sourire qui sentait le sucre, les fleurs et le soleil, oui, ça va aller parce que la lune se lève et on respire encore regarde je t'ai ramené des fleurs et puis merde, tout simplement, la vie est belle tu sais.
Mais Louis n'avait pas répondu cela, parce que l'autre rigolait d'un rire gras et qu'il le félicitait et lui parlait de sa femme Madeleine, de leurs deux enfants et de son chien Tulipe qui était tellement beau, gentil et drôle. Louis avait trouvé ça touchant, parce qu'il n'avait jamais vu les yeux de son patron briller de cette manière, alors il n'avait rien dit, parce qu'il ne se sentait pas le courage d'expliquer qu'il était vivant et que c'était déja beaucoup.
Alors il avait souri et il avait hoché la tête, et son patron était retourné fabriquer des tartelettes à la fraise et à la myrtille dans l'arrière boutique. Il avait plu, mais le jour brillait derrière les nuages. Toute la boutique sentait le pain chaud, le sucre-glace, le béton mouillé et le soleil de la fin d'après-midi. Louis rentra chez lui.
Il se demandait quelles fleurs Elliot avait bien pu acheter, cette fois.
VOUS LISEZ
The Ashtray
RomanceElliot a peur. Il se cache. Il se cache de l'automne, il se cache de l' hiver, il se cache hors du temps. Il pense que personne ne le retrouvera jamais, Elliot. Mais il a tord. Louis ne se cache pas, lui, Louis n'a peur de rien. Louis ne ressent rie...