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Lila

La nuit est tombée et je suis toujours chez mes parents. Je préfère tout de même être là plutôt que chez Charles. Je ne suis pas sortie de ma chambre depuis que j'ai quitté la table ce midi. Je me suis replongée dans un livre comme je le faisais avant. Avant de fuir Charles et cette ville.  Mon livre préféré  quand j'étais plus jeune : Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier. Je connais ce livre pas coeur et j'ai la sensation que jamais je ne pourrai m'en lasser. Cette histoire est magnifique et pleine de sens. Elle m'a toujours transporté à chaque fois et j'aime le fait d'être toujours autant embarqué par Robinson. Il m'est souvent arrivé de penser que j'étais Lila "Crusoé", échouée à Porquerolles, et que Val, Nikko et CJ étaient mes "Vendredi". Ils me manquent... Dans la précipitation, j'ai en plus oublié mon téléphone. Je ne peu donc pas prendre de leur nouvelles et ça me rend triste. Quelque part, je me dis que c'est sûrement mieux ainsi. Parler à mes amis m'aurait sans doute dévastée un peu plus. Mais je garde espoir... J'irai bientôt les retrouver. Je ne sais pas encore trop comment tourner la situation à mon avantage, mais j'y arriverai.  Charles n'aura plus le contrôle de ma vie.

"La pauvreté prive un homme de toute vertu : il est difficile à un sac vide de se tenir debout."

Étrangement, cette citation de Vendredi ou la vie sauvage me rappelle Charles. La pauvreté de Charles réside dans son absence de morale, son absence de cœur et d'empathie. Comment cet homme tellement vide de sentiments peut-il encore se satisfaire de cette vie ? Comment arrive-t-il encore à paraître grand et puissant alors qu'en réalité, je pense qu'il a seulement peur d'être insignifiant et banal.  Peur de ressembler à Monsieur tout le monde. Est-ce que ça serait mal ? Je préfère cent fois être comme je suis que d'être comme lui même le temps de quelques minutes. Mais ça, il ne pourra jamais le comprendre. Pour Charles, je serai éternellement la petite Lila fragile qui n'ose pas dire ce qu'elle pense, qui a besoin de lui pour exister. Mais là où il fait erreur, c'est qu'il pourra bien me faire ce qu'il veut, je ne me laisserai pas faire. Pas cette fois ! Depuis que mon père m'a avoué que Charles ne ferait rien à Rafael, plus rien ne me retient d'envoyer cet homme se faire foutre. Il est hors de question que Keller soit mon nouveau nom samedi. Je m'appelle Lila Gauthier, et j'ai bien l'attention de le rester encore !

La porte de ma chambre s'ouvre 22h00 passées. Elle laisse apparaître un Charles au regard lourd avec son éternel sourire hypocrite. Je ne regarde pas cet homme plus d'une seconde et replonge dans mon livre.

- On rentre, dit-il en se postant devant moi.

Sans faire attention à lui, je poursuis ma lecture. L'ignorance et le meilleur des mépris à ce qu'on dit.

- Je t'ai parlé, ajoute-t-il. On y va.

- Non merci. Je vais rester là, dis-je en ne lui adressant toujours pas un seul regard.

- Je crois que tu n'as pas saisis que c'était moi qui commandais ici, lâche-t-il en retirant mon livre des mains.

- Et toi, tu n'as toujours pas compris que je n'en avais plus rien à foutre de tes exigences, dis-je en me levant de mon fauteuil.

Je reprends ensuite mon bouquin des mains de Charles et me réinstalle à ma place. Je ne sais plus à quelle page j'en étais mais je l'ouvre au hasard et continue de lire, impassible.

- Tu peux partir, je ne veux pas de ta présence ici. Et je ne partirai pas avec toi. Tu connais le chemin.

La main de Charles vient balancer mon livre à travers la pièce d'un seul geste. Je reste choquée par la violence de sa prise sur mon bras ensuite. Ses yeux persants me troublent et m'effraient. Le visage de l'abominable Charles frôle le mien et je peux sentir alors qu'il a bu la précieuse liqueur de poire de mon cher père.

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