Chapitre 2-1 Inspire et réflechit

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L'Académie signifiait pour le peuple un refuge pour de nombreux réfugiés ou d'humains désireux de couper les ponts avec leur famille, leur ancienne vie. D'un point de vue militaire, il s'agissait surtout de la troisième garnison de Vëonar après celle de la capitale en Alésie, et celle de Cordélie. En revanche, pour le Haut Conseil de Vëonar, son autorité se heurtait à un mur infranchissable érigé par la neutralité institutionnelle de la structure. Une véritable aubaine pour moi, qui ai pu y dénicher un refuge sûr, loin des rumeurs volatiles du reste de Vëonar.

Les contours des murailles se dessinèrent progressivement sous mes yeux à deux doigts de se fermer d'eux même. Un repos réparateur s'imposait urgemment à mon corps, ce que je lui avais refusé depuis mon départ de Diell. Je rabattis ma capuche pour dissimuler mon visage reconnaissable à l'approche de la herse et des soldats en faction. Mon laisser passer suffit et je pénétrai au trot sur l'immense cour pavée. Aussitôt, un palefrenier s'empressa de prendre en charge ma monture.

Les allées et venues du personnel à l'approche du repas de midi camouflèrent aisément ma démarche heurtée aux œillades indiscrètes. Je parvins rapidement au grand hall, mais gravir les escaliers jusqu'au second étage était une autre paire de manche. Le souffle haché et la main pressée contre mon abdomen douloureux, je grimpai les marches en serrant les dents. Si seulement je me trouvais à Tyyrs et pas au fin fond de Vëonar, pestai-je. Les marches d'Erevan auraient été moins pénibles à gravir. Elles m'auraient soulevé directement en haut des escaliers.

Je pris sur moi pour recouvrer une allure maitrisée en débouchant sur un couloir, finalement désert. Quelques derniers pas difficiles et je m'engouffrai dans mon appartement avec un soupir de soulagement. Je dégrafai ma cape et la jetai négligemment au sol, puis je m'affalai dans un des fauteuils du salon, non sans retenir une grimace. Enfin rentrée !

J'eus à peine le temps de souffler que le grincement d'une porte se fit entendre dans mon dos. Je me redressai tant bien que mal et plaquai un sourire sur mon visage harassé.

- Déjà rentrée ? s'étonna l'adolescent tout juste sorti du lit qui s'assit dans le second fauteuil

- Un poil plus tôt, en effet, acquiesçai-je.

Il haussa un sourcil, puis secoua la tête. Des mèches ébène tombèrent devant ses yeux gris orage.

- Tu me raconte ? s'enquit le gamin, pas dupe

Mon visage s'assombrit, tandis que les conséquences de mon affrontement me sautaient à la figure. Je laissai échapper un soupir tremblant et fermai les yeux, les mains crispées sur les accoudoirs.

- Ça ne s'est pas... très bien fini, murmurai-je d'une voix sourde.

J'inspirai fortement, afin de tirer mes idées au clair.

- Tu es retournée à Diell, c'est ça ? renchérit mon protégé avec dédain

- Tu sais bien que je n'avais pas le choix. Ce n'était que pour une capture, sur le papier !

- Alors qu'est-ce qui a cloché ?

Je claquai la langue d'impatience. Il comprit le message et se rencogna dans son siège, sans oublier de me jeter un regard noir.

- Ma cible n'était pas un Homme, mais un Mage de l'Air, avouai-je à brûle-pourpoint.

Je guettai attentivement sa réaction, qui ne se fit pas attendre. Ses yeux s'écarquillèrent et il déglutit.

- Les Mages de l'Air n'existent pas, protesta-t-il, tu me l'as dit toi-même !

Je hochai la tête, une lueur amusée au fond de mes prunelles violettes.

- J'ai dit qu'il n'y avait pas de clan, très exactement. Ceci dit, mon frère en était un, rectifiai-je d'une voix atone.

L'émotion, toujours aussi amère, me comprima la poitrine.

- Tu es sûre que ce n'était pas un Thessar de l'Air ? retenta l'adolescent, visiblement mal à l'aise

- Rien à voir avec un Thessar humain, je l'ai senti, affirmai-je. C'était un Mage. Ça m'a suffisamment déstabilisée pour que j'en sois certaine.

Mon ricanement moqueur se coinça dans ma gorge, étouffée par la colère sourde qui flamba en moi, tel un brasier qui ne demandait qu'à être attisé.

- Il n'y a pas que ça, n'est-ce pas ? devina le garçon

Il posa une main apaisante sur mon avant-bras qui tressautait nerveusement.

- Ils m'ont reconnu.

Mon souffle passa la barrière de mes lèvres dans un murmure tremblant, mais le garçon perçu distinctement chaque mots. Il leva vers moi un regard effaré, où un éclair de panique le traversa furtivement. Puis, il serra les dents, et la détermination remplaça tout le reste.

- J'ai quelque chose à t'avouer.

Je me redressai légèrement, mais un éclair de douleur me dissuada d'achever le mouvement. Le garçon me dévisagea, soudain alarmé.

- Tu es blessée ? s'exclama-t-il

- Toi d'abord.

Mon ton sans réplique ne l'empêcha pas de me fusiller des yeux, mais il obtempéra tout de même.

- Mon père et moi-même, sommes aussi des Mages de l'Air, lâcha l'adolescent avec morgue.

J'en restai sans voix. Tout ce temps, il me l'avait dissimulé, mais je n'avais rien senti non plus. Un comble, pour une Mage de la Terre, pestai-je en mon fort intérieur. A la dissimuler, j'en inhibais des capacités élémentaires. Je ne lui en tenais pas rigueur, mais l'information était capitale. Ainsi, il existait réellement des Mages de l'Air, comme je m'en étais doutée à l'arrivée de mon frère adoptif dans ma vie.

- Maintenant, tu la boucle et tu me laisses t'examiner, siffla mon protégé quelques secondes plus tard. Ta mascarade a assez durée !

Je lui adressai un sourire contrit ainsi qu'un regard d'excuse, qu'il ignora royalement. L'adolescent m'installa sur mon lit, avant de ramener sa trousse de soin. Il dégrafa mon ceinturon qu'il balança au pied du fauteuil, puis il retira ma tunique avec mille précautions.

En matière de soin, c'était un petit génie. Il n'égalait pas les dryades, mais dépassait de loin les guérisseuses humaines. Je le laissai tâter mon ventre en silence, sans le déconcentrer. L'orage grondait sous la surface impassible de son visage encore rond comme celui d'un enfant, mais il allait éclater, je le savais.

Il défit le bandage pour badigeonner l'hématome désormais bleuâtre de pommade médicinale, pour ensuite le remplacer par un propre. Mon entaille à l'épaule fut autrement plus douloureuse. Plus profonde, elle n'avait pas atteint l'os, mais mon sauveur n'avait pas pris la peine de la recoudre. À froid, ce ne fut guère une partie de plaisir.

- Il faut que la plaie reste à l'air pour le moment, je la banderai ce soir. Repose-toi et ne fais rien de stupide.

Un rire bref m'échappa, m'octroyant une œillade courroucée de sa part. Je tendis la main et enserrai son poignet alors qu'il s'éclipsait, lèvres pincées.

- Tu vas où, comme ça ? m'enquis-je, amusée

- Prendre l'air.

Un tendre sourire étira mes lèvres. Je le tirai en arrière, il s'assit à côté de moi.

- Merci pour tout, Lay, murmurai-je, émue. Je ne suis pas inconsciente, simplement, j'ai été déstabilisée à Diell, et je vais payer cher cette erreur.

Il resta muet. Ma main glissa sur sa joue et je plantai mon regard déterminé dans le sien, tourmenté.

- Je te promets que ton père ne te récupèrera pas. Leander est loin d'être aux portes de l'Académie. Nous avons encore du temps devant nous, et d'ici là, j'aurais pris le repos nécessaire.

Le garçon poussa un profond soupir et accepta enfin mon étreinte. J'embrassai affectueusement le haut de sa tête, il étouffa un rire, le nez dans mon cou.

- Je ne peux pas te perdre, Atalaya.

- Ça n'arrivera pas, parce que moi non plus.

L'Héritage des Premières T1 L'Enfant de TirawanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant