Fabian, resté en retrait, s’approcha au trot, le visage indéchiffrable. En silence, je m’agenouillai au pied du chef de l’escouade et fouillai ses poches tout en détaillant sa tenue. J’en sortis une missive dont le cachet avait été descellé au canif. Elle portait le sceau du Haut-Conseiller de Méthinie. À mesure que je parcourus les lignes, le sang déserta mon visage.
— J’ignorais que tu goutais au massacre, m’apostropha placidement mon compagnon, lui aussi penché sur un cadavre.
Je lui jetai la lettre à la figure avec un haut le cœur. Mes yeux détaillaient amèrement le champ de bataille. Non, je n’étais pas cruelle. Tel était l’héritage de la magie, de ma magie.
— Ce sont ces hommes et tous ceux qui suivent aveuglément leur meneur qui ont massacré ma famille, sifflai-je. Regarde leur vêtement, ils viennent de Cordélie. S’ils peuvent se payer du satin brodé de fil d’or, c’est que leurs petites affaires doivent rapporter. Pourtant, ils n’ont pas hésité une seconde à répondre à l’appel de cette chasse à l’homme.
— À la femme, plutôt, corrigea laconiquement le jeune homme.
Il se releva prestement, me rendit la missive, le visage grave.
— Si c’est une traque, alors il vaudrait mieux ne pas trainer dans le coin et accomplir notre mission le plus rapidement possible. Surtout que cette lettre n’a pas été écrite par le conseiller, son sceau n’a pour but que de la rendre officielle.
Il me tourna le dos pour remonter à cheval, mais il s’immobilisa finalement et revint sur ses pas.
— Toutes mes condoléances pour ta famille, mais la vengeance ne les ramènera pas, murmura-t-il après un instant d’hésitation.
Ses mots tournoyèrent dans mon esprit, y apposèrent leur marque au fer rouge. Etait-ce véritablement la vengeance que j’avais cherché ce soir ? Etait-ce pour cela qu’ôter la vie ne me soulevait pas le cœur. Etais-je en train de trahir la Terre et mes principes en m’engageant sur cette pente ?
— En selle, princesse, le soleil nous attend pour se coucher !
Je secouai la tête et enfourchai Eclipse, murée dans un silence tourmenté. Nous atteignîmes Ports Bahiri au petit matin. Nous avions chevauché toute la nuit. Nous nous mêlâmes aux voyageurs venus pour profiter de la fête de l’Aurore. Les festivités débutaient le soir même. Fabian nous dénicha une auberge de bonne réputation, située loin des faubourgs plus mal famés.
Nous profitâmes d’une bonne douche et d’un repas digne de ce nom ainsi que d’une liste non exhaustive d’adresse à ne pas manquer pour profiter comme il se devait des célébrations. Je profitai de ces quelques heures de répit pour étudier avec attention le plan de la ville. L’exploitation se situait à deux kilomètres à l’ouest de Ports Bahiri, ses possessions englobaient un accès au lac sur un demi-kilomètre.
Le plan ne détaillait pas un système de défense particulier, ni même l’existence d’une quelconque muraille. La seule avait été construite autour de la demeure du propriétaire, un certain Silva Comodor. D’après les renseignements obtenus par Fabian, il était célibataire, sans enfant, et sans famille connue. Peu de témoignages probants purent être récoltés, car il ne descendait que rarement en ville et personne ne paraissait en mesure de le décrire précisément. Silva Comodor était un fantôme, ou une couverture, plus probablement.
J’ignorai ce qu’il se dissimulait derrière la façade légale de cette exploitation, mais je m’attendais au pire. J’avais étudié les rapports des médecins de Cordélie et ils n’étaient pas de bon augure. Ils rapportaient différents symptômes allant en s’aggravant. Ceux-ci débutaient par l’engourdissement des muscles, des malaises, puis de fortes fièvres, des difficultés à respirer, des convulsions et enfin, l’arrêt du cœur. Ils mentionnaient aussi d’étranges nervures rosées qui apparaissaient sur la poitrine lorsque la fièvre s’empirait et viraient au violacés peu avant le décès.
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L'Héritage des Premières T1 L'Enfant de Tirawan
Fantasi"Le temps où le désert, la sylve et les plaines formaient une seule terre est révolu. Désormais, les frontières ont été tracées par-dessus ce que nous leur avons laissé. De notre passage parmi eux ne subsistent que des vestiges érodés par les siècle...