Chapitre 22-2 Ne renie pas le passé par vengeance

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Aussitôt, j'autorisai ma magie de la terre à se répandre autour de moi. Un instant plus tard, un battement d'aile frôla mon oreille. Un hibou grand-duc me dépassa puis stabilisa son vol à mon allure. Une décharge d'affection déferla à la frontière de mon esprit. Je lui renvoyai une bouffée de joie. Mes fidèles compagnons n'attendaient que mon signal pour se manifester.

J'interrogeai sans plus tarder la sylve. Sa réponse se fit aussi violente qu'elle avait attendu ma capitulation. Une succession d'image et d'impression mêlée déferla dans ma tête. J'interrompis ma course, haletante.

Une atmosphère moite, lourde et nauséabonde. Un brouillard gris et dense, chargé d'électricité. Une chape opaque et visqueuse qui recouvrit le village perché. Les fleurs fanées, les feuilles flétries, les troncs qui pelaient.  Cette onde létale lécha les murs, imprégna l'air et s'ancra au sol.

— Arrête ! balbutiai-je

Les visions cessèrent aussi brutalement qu'elles m'eurent été imposées. Othien flambait de crainte. Elle exagérait certainement son ressenti, mais l'angoisse me rongeait. Quel mal avait bien pu se répandre au village perché ?

Je n'eus pas à spéculer à tort et à travers. Je me ralliai progressivement à l'avis d'Othien. Plus les troncs s'allongeaient, plus les taillis s'espaçaient, plus l'air devint âcre. Je pris même la peine de figer dans la glace un pan de ma cape contre le bas de mon visage. Sans oublier de saupoudrer mon masque de fortune de ma précieuse poudre brune, de la cannelle moulue que j'avais soigneusement empaqueté.

Je respirai l'odeur de l'épice à pleins poumons. Les battements de mon cœur ralentirent considérablement. Je poursuivis mon chemin,  arc en main et flèche encochée. Enfin, la première cabane se détacha des hauteurs de la sylve, à trente pied du sol. Un avant-poste des Sentinelles. Inoccupé, à présent.

Je dépassai le poste de garde. Je foulais l'humus d'une démarche souple. Le silence s'étirait tout autour. La bulle protectrice ne s'en révélait que plus trompeuse. Lorsque les silhouettes des premières maisons apparurent le long des troncs, je crus défaillir. Les troncs recouvert de suie, craquelés dessechés n'exhalaient plus rien. Parce qu'ils n'avaient plus rien à partager. Ces arbres millénaires n'étaient plus.

Les habitations tenaient davantage de mansardes délabrées. Le village vivait encore au rythme des entraînements et de la vie des mages de Feu quelques semaines à peine auparavant. À présent, devant moi se dressaient des ruines parties en fumée. La cendre recouvrait le sol et les murs. Le souffre empestait l'air. Les larmes me montèrent aux yeux.

J'avançai fébrilement entre les troncs contre lesquels les mansardes avaient été construites, les unes au-dessus des autres, reliées par des escaliers taillés dans le bois. Mes pieds me guidèrent eux-même vers un arbre au tronc plus large que les autres. À l'écorce plus épaisse aussi. Une senteur boisée et légèrement sucrée s'en dégageait. Comme dans mes souvenirs.

Je posai le pied sur la première marche. Je désirais la revoir. Cette maison où j’étais née. Où j’avais effectué mes premiers pas. Les marches défilèrent sous mes pieds. Bientôt, une porte en bois à double battant me défiait en silence. Les dorures recouvertes de poudre noire avaient perdu de leur éclat. À l’image des cendres du village perché, de la flamme étincelante gravée sur cette porte ne restait qu’un croquis fané.

Un long soupir s’échappa de mes lèvres. Cette flamme avait été le symbole de ce clan pendant des siècles. Au coucher du soleil, les rayons traversaient la canopée et se reflétaient sur les feuilles d’or. L’éclat resplendissait à travers tout le village perché. C’était également le signal de ralliement. Le feu du chef de clan remplaçait les rayons de l’astre du jour et se répandait plus efficacement que le son d’un gong.

L'Héritage des Premières T1 L'Enfant de TirawanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant