Chapitre 3-1 Sois forte mon ange

559 80 273
                                    

Enseigner était ma partie préférée de ma couverture créée de toute pièce à Vëonar. L’amour des langues et de la culture, je l’avais hérité de ma tante et préceptrice. Chef du clan des Tamar, elle m’avait éduquée depuis l’enfance à devenir leur Héritière, à prendre sa suite lorsque le temps serait venu.

Elle m’avait appris à m’ouvrir à d’autres horizons, à comprendre et respecter la mise à l’écart des dryades, à appréhender la fougue et la franchise des Mineurs, à imiter la méfiance et la rudesse des Hommes. Je parlais chacune de leur langue et bien que j’en sache peu sur les deux autres peuples, la terre des Hommes était un terrain connu pour moi.

Ce talent, je le transmettais à présent aux enfants de ces pays, en tant que professeur de langue à l’Académie. Je ne donnais des cours qu’aux élèves les plus âgés de l’académie de commerce inter-pays, ceux de l’académie militaire ne relevaient pas de mes fonctions. J’aimais ce travail, j’aimais apprendre et transmettre mon savoir et j’aimais les enfants. Peut-être était-ce parce que cette tâche m’aurait appartenu un jour au sein de mon clan.

Bien que ne travaillant que la moitié de la semaine auprès des élèves, les cours avaient fini par se ressembler au fil des années. Pourtant, l’arrivée de la classe pilote sonnait le glas d’une nouvelle évolution dans l’esprit des Hommes. Pour la première fois depuis trente-cinq ans, la nouvelle promotion d’élève compterait autant d’humains que de mineurs, les dryades ayant refusé de participer à ce projet fou mené par le Directeur de l’Académie.

Ceci étant, des mineurs et des dryades avaient déjà intégré les rangs des élèves ces dernières années, je comptais un habitant de Faiz, et deux demoiselles à la peau pâle parmi les miens. Les bénéfices d’un tel projet étant déjà démontrés, la mise en place à grande échelle de la mixité inter-peuple n’avait guère rencontré d’opposition de la part des politiciens. Heureusement, je n’aurais pas à encadrer cette classe pilote avant un certain temps, puisque je n’enseignais qu’aux troisièmes années, au niveau le plus bas. Pas d’adaptation du programme en vue pour le moment, donc.

Le matin du grand jour coïncidait avec le retour du Directeur, mais ce serait à Ochoro d’accueillir les émissaires de Faiz. J’aurais préféré conserver le calme de mes appartements à l’excitation générale, mais par amitié pour mon amie, je me devais d’être présente à l’évènement.

J’avais revêtu pour l’occasion une ample robe lilas au buste brodé de fil d’argent, drapée d’une cape en fourrure immaculée. Une longue tresse retombait sur mon épaule droite, et mon visage encadré de quelques mèches rebelle était rehaussé de quelques touches de maquillage discret. Elégant, mais pas tape à l’œil. Pas question d’attirer l’attention.

— Tu as rendez-vous à quelle heure avec le Directeur ? s’enquit Lay en passant la tête par la porte de sa chambre.

J’achevai d’attacher mes talons, puis lui lançai un clin d’œil assuré.

— En fin d’après-midi, je serais de retour pour le dîner.

— Et sûrement sur les routes dès demain, soupira le garçon.

Mon sourire se figea en une grimace courroucée.

— Je ne l’espère pas, répliquai-je. Et j’en doute. Il va avoir suffisamment de soucis à régler avant de superviser une nouvelle mission.

— Tu ne crains pas une décision prise à la session du Haut-Conseil ?

— Si, mais je ne vois pas en quoi je serais directement concernée.

— Personnellement, je m’attends à tout, venant de sa part, s’entêta l’adolescent.

Je contins un second soupir et m’avançai vers lui.

— Cet homme nous a offert un toit et un logis à tous les deux, Lay. Tu étudies et j’ai un travail, tu ne peux pas lui reprocher d’avoir quelques avantages de son côté. Je ne te cache pas que refuser une mission est impensable, mais j’ai un accord avec le Directeur. Pas plus de quelques jours et d’une centaine de kilomètres de distance. D’autant qu’il vaudrait mieux que je me fasse discrète pour l’instant.

— Mais ça, il ne le sait pas, que sortir de l’Académie te mets en danger !

Je ris jaune.

— Si, il en est conscient, mais pour une autre raison.

Sans lui laisser le temps de répliquer, je le serrai contre moi, dissimulant l’angoisse qui me tenaillait depuis ma défaite à Diell. La situation était bien plus désespérée que ne le soupçonnait Lay, mais je n’avais pas le droit de l’impliquer. Je devais lui épargner mes tourments, ce n’était encore qu’un adolescent, bien loin du monde des adultes.

Les tambours et les trompettes retentirent, les bandeaux immaculés volèrent au vent en haut des colonnes et pavanèrent leur cheval brodé de fil doré entouré de sept soleils.

À dix pas derrière Ochoro, flanquée des privilégiés conviés à l’accueil des émissaires, je contemplai d’un regard affuté les nouveaux venus au teint basané. Les enfants se tenaient en ligne sur la gauche, chacun vêtu aux couleurs de sa seigneurie. Les émissaires les encadraient de façon ordonnée, l’un d’eux devançant la délégation des Mineurs d’à peine un mètre. Ses épaulières cousues au fil d’or le désignaient comme leur porte-parole.

Ochoro s’avança au milieu de la cour, un sourire de circonstance dessiné sur son visage fin.

— Bienvenue à l’Académie !

Le mineur aux épaulières s’avança à son tour et s’inclina respectueusement devant la jeune femme. Son regard indigo attirait l’œil, plus que ses boucles brunes savamment coiffés autour de son visage carré. Grand à forte carrure, il en imposait. Il posa sa paume contre son buste et esquissa un sourire poli.

— Prince Havez des Terres d’Arheïn. Je suis enchanté de découvrir cette institution à la réputation si étendue, déclama-t-il dans un ilda parfait.

Ochoro l’imita, puis s’inclina à demi.

— Ochoro Corbel, sous-directrice de l’Académie. Tout l’honneur est pour moi, Prince.

Elle ne sembla pas s’émouvoir du titre honorifique du jeune homme, qui esquissa un sourire en coin. Les salutations et politesse courantes s’enchaînèrent, puis les nouveaux élèves furent acclamés et conduits à la salle de réception par leurs homologues plus âgés, triés sur le volet afin de valoriser la réputation de Vëonar. Nombre d’entre eux baignaient encore dans les stéréotypes et les préjugés envers l’étranger inculqués dès leur plus jeune âge, réminiscences de la Grande Dissidence.

Ochoro conduisit les émissaires à leur suite, marchant au côté du Prince des Terres d’Arheïn. Ce nom ne m’était pas inconnu, ma mère connaissait bien les mineurs et notamment le Seigneur des Terres frontalières aux nôtres. Se pourrait-il qu’il s’agisse des Terres d’Arheïn ? Je n’aurais pu le certifier, ma mémoire avait effacé les plus jeunes années de ma vie, celles précédant l’abandon de mon père.

Mes voisins emboitèrent le pas à la délégation, me ramenant au présent. J’en profitai pour m’éclipser vers le pavillon militaire. Un petit entraînement titillait mes nerfs depuis que j’étais de nouveau sur pied. Une envie de décompresser, d’expulser toutes mes inquiétudes qui refaisaient surface ou grondaient dessous depuis la nuit fatidique.

L'Héritage des Premières T1 L'Enfant de TirawanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant