Les chevaux piaffaient d’impatience. Ils plongeaient la tête dans les larges baquets d’eau disposés au milieu d’eux par intermittence. L’humidité ambiante, relarguée par la proximité des gorges, les soulageait. Nous avions chevauché sans arrêt.
Je pris mon temps pour panser chacun d’entre eux. Je leur flattais l’encolure et gratifiais les plus dociles d’une pomme bien juteuse. Eclipse en obtint deux, à grand renfort de hennissement. Je me déplaçai de l’un à l’autre, un saut dans un bras. Une brosse, des bandes de coton et une bouteille d’alcool y étaient entassés pêle-mêle. Je récurai les fers, rassemblai les tas de foin et changeai les bandes poisseuse par des propres. Puis, je lustrai leur poil et brossai soigneusement leurs crinières emmêlées.
Lorsque j’achevai de soigner le dernier cheval, Caleb et les gradés n’avaient toujours pas donné signe de vie. Comme je m’étais portée volontaire pour m’occuper des montures, les autres soldats, une bonne vingtaine, étaient assis par terre, contre les troncs. Les plus âgés somnolaient. Les plus jeunes, angoissés, jetaient des œillades répétées vers la muraille infranchissable.
Horblend, le village le plus proche des gorges de Gildevir, ancien avant-poste militaire de siècles révolus, nous était dissimulé par ses imposantes fortifications. Implanté au cœur d’un bois à plus d’une demi-journée de l’Académie, le contraste entre l’immense mur de pierre et la végétation dense qui poussait jusqu’à son pied était saisissante.
Je m’assis à mon tour, au milieu des chevaux. Eclipse souffla doucement au-dessus de mon épaule. Des mèches ébène et bleues volèrent. Je lui flattai l’encolure, amusée. Je me sentais apaisée. Le contact de la sylve me manquait tant, cloitrée entre les murs minéraux de l’Académie. Même si Vëonar ne possédait pas de réelle sylve en tant qu’esprit, celle-ci était si hostile au Mages que je perdais la moitié de ma puissance au combat, je me trouvais dans un bois. Ce qui faisait l’essence de la magie de la terre m’entourait.
Je respirais l’odeur de l’humus à pleins poumons. Ma propre magie rechargeait ses réserves, se régénérerait. Je fus presque tentée de rentrer en contact avec les chevaux, de communiquer avec eux, comme je le faisais avec les animaux de Tirawan. Je contins mes ardeurs avec beaucoup de frustration. C’eut été trop voyant, bien sûr. L’utilisation aussi poussée de la magie de la Terre avait des répercussions physiques. Pourtant, j’en mourrais d’envie.
La herse se souleva à cet instant, ramenant mes pensées nostalgiques à la réalité. Du coin de l’œil, je discernais une touffe de cheveux bruns coupés en brosse par-dessus la croupe d’une jument isabelle. Caleb était de retour. Je laissais les officiers les plus âgés se rapprocher. Ce que j’avais besoin d’apprendre, Caleb le transmettrait à la réunion prévue à cet effet, dans deux heures. Je pouvais donc profiter encore un peu de ce calme apparent. Au vu de ses traits crispés, les nouvelles ne pouvaient pas être bonnes.
Nous établîmes un camp sommaire à quelques kilomètres du village. J’avais ma propre tente, étant considérée comme la seule Thessar de l’escouade. Je pénétrai dans la tente du général à la suite des officiers gradés. Je me postai dans un coin, à l’écart de la cohue, mais suffisamment près pour capter le regard de mon ami. Ses yeux ambrés brillaient de détermination. Une ride soucieuse barrait son front.
— Nos éclaireurs ont découvert hier l’emplacement exact du campement des mercenaires. Ils ont déterminé avec précision le périmètre de sécurité établi autour ainsi que les allées et venues régulières. Un Thessar est notamment arrivé sur les lieux à l’aube. Leur objectif n’est pas encore défini. Ils pillent les cultures et détruisent les récoltes des villageois. C’est tout ce que nous savons.
Il pointa du doigt un emplacement sur une carte des environs dépliée sur la table.
— Nous nous déploierons à l’aube. Nous ignorons quel élément manipule le Thessar. Restez vigilent. Atalaya est ici pour nous couvrir sur ce plan-là. Cinq d’entre vous se posteront aux emplacements indiqués par une croix, ils devront neutraliser les sentinelles. Nous aurons une demi-heure pour agir avant la prochaine relève.
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L'Héritage des Premières T1 L'Enfant de Tirawan
Fantasía"Le temps où le désert, la sylve et les plaines formaient une seule terre est révolu. Désormais, les frontières ont été tracées par-dessus ce que nous leur avons laissé. De notre passage parmi eux ne subsistent que des vestiges érodés par les siècle...