Lundi 14 février. 9h45. Pluie.
Je dévale les escaliers du métro. À peine ai-je validé mon pass que j'entends le métro arriver. Il me faut un miracle. Je cours aussi vite que possible et arrive sur le quai au moment où la sonnerie de fermeture des portes retentit. Comme un courant d'air je me glisse juste avant qu'elles ne se referment. Jy suis !
Mais mon manteau lui est resté coincé dans la porte. Pas grave, mais il faut patienter une station pour me libérer. Cette fois-ci je décide de m'asseoir. Il s'agit de reprendre des forces et de souffler un peu pour ne pas arriver toute rouge est toute transpirante à la réunion.
Je scotche sur une affiche placardée dans la rame. On n'y voit des paysages de campagne à perte de vue, comme ce tableau de Van Gogh d'un jaune venu d'un autre monde. On voit aussi une rivière en lacet sur l'une des photos de la mosaïque et mon esprit se perd dans ses méandres. Dessous, le slogan nous invite à venir faire un tour. "l'Ardèche : 322.381 habitants, 339 communes, 220.000 ha de forêt, 48 spécialités culinaires... Et pour vous, c'est quand l'Ardèche?"
Mon Dieu, me dis-je, qui peut bien avoir envie de s'enterrer dans ces contrées quasi-désertes? Mais intérieurement je m'en veux immédiatement d'avoir pensé ça, je suis décidément à Paris depuis trop longtemps... pourquoi faut-il que je juge tout le temps ?? Et surtout, comment puis-je oublier les merveilleux moments passés avec Maminou, ma grand-mère, quand j'étais petite ?
Elle avait cette grande maison en bord de champs. Pas question d'y passer l'hiver, évidemment, mais l'été, ce n'était rien de moins que le paradis : chasse aux champignons (il y en a peu l'été, c'est vrai), baignades dans la rivière Pinadoule et jouer à faire fuir les vaches en levant bien haut les bras et en hurlant... ça, c'est que je préférais... Et aussi ce qui m'effrayait le plus (ceci explique peut-être cela)...
La maison a été vendue il y a longtemps, je devais avoir 11 ans. Et Maminou est partie un an plus tôt... Maintenant, c'est l'une de mes étoiles, la première.
La sonnerie stridente me ramène à la réalité d'un seul coup, trop vite, comme on se réveille d'un rêve. Je suis étourdie, un peu perdue aussi, je ramasse mes idées, vérifie la station et je sors en courant (encore) sur le quai. Il me reste cinq minutes... Et 300 mètres à parcourir...
9h59. J'ai le souffle coupé, mais ce n'est pas ça qui va m'arrêter, pas maintenant, le film n'est pas terminé, je cours comme un héros qui réussit à sauver le monde à la dernière minute, même si moi j'essaye juste de sauver ma prez et éviter l'orage de mon boss.
Olivier est là, justement, je le vois au bout du couloir, devant la salle de réunion... Il me fait comprendre par un signe agacé que tout le monde est déjà là. J'arrive à sa hauteur, il me prend par le bras, il me serre un peu trop. J'ai envie de me dégager, mais il serre un peu plus, me regarde droit dans les yeux et me parle à voix basse pour ne pas être entendu par les clients déjà installés : "J'espère vraiment que tu as soigné ton Powerpoint, je l'espère pour toi, dans ton intérêt".
Je rentre dans la salle tout en essayant de rajuster ma coiffure et en priant pour que mon maquillage n'ai pas coulé sur mes tempes... De toute façon, pas le choix, il faut y aller...
Inspiration et je relève la tête affichant une assurance feinte, je salue chaleureusement les clients avec un grand sourire... Il y en a un ou deux pas mal, tiens... Mais pas le temps pour ces enfantillages. Pro-fes-sion-nelle ! Je tends ma clé usb au technicien chargé du vidéo-projecteur... Le ronronnement de la machine se fait entendre, l'écran s'allume.
Tout est là. Je lui fais un signe de lancer le fichier... Et c'est parti, je sais faire ça, c'est mon métier après tout. Allez, pensées positives... Et on y va ! Je m'étonne moi-même.
J'enchaine les slides, je parle clairement, je vois quelques signes de tête approbateurs chez nos clients... Même Olivier a l'air intéressé. Peut-être qu'il fait semblant et qu'il me dira réellement ce qu'il en pense en privé, mais si c'est le cas, il fait bien semblant...
Après 45 minutes de présentation, je suis vannée, mais contente. J'ai réussi. Olivier salue les clients, je serre aussi quelques mains... le calme revient. avant de quitter la salle de réunion, Olivier me lance: "Pas mal. Franchement pas mal. Mais putain ! Est-ce qu'on avait vraiment besoin de tout ce stress ?? Bon. Enfin, c'est bien. Bravo."
Il sort et je reste seule dans cette immense salle de réunion. Je m'assois quelques instants, je sens toute la pression accumulée s'évacuer d'un seul coup. Je suis soulagée et en même temps énervée par Olivier, par Paris, par mon dressing qui se casse la gueule, par tout !
Et je fonds en larmes.
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Et si changer de vie, c'était devenir vraiment soi-même...
Literatura FemininaAmandine est fatiguée et parfois un peu triste... Pourtant, elle a tout pour être heureuse : un mec en or, des supers copines (Ses Vivis), un boulot bien payé, et un bel appartement dans le centre de Paris... Mais son mec n'est peut-être pas si géni...