Chapitre 20

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Chapitre 20

Vendredi 4 mars. 7h. Beau temps
Horoscope:
"Travail: Piano, piano"
"Forme: Vivifiée"
"Amour: Tout vient à point...".

Décidément, se réveiller au petit jour au milieu de la campagne ou en pleine ville n'a rien à voir. Et je ne parle pas du fait que je suis en vacances. Ici, j'ai juste l'impression de me lever en même temps que la Terre, que les arbres, que les animaux, naturellement. Je me rends compte que penser ça à un côté un peu bêta, mais je le ressens, je le vis ainsi. Vraiment.
Debout donc! Visite de la ferme aujourd'hui! Je suis aussi excitée que lorsque mes parents m'ont emmenée pour la première fois à Disneyland. Hahaha. Comme quoi, les envies se modifient avec l'âge...
Je bois un café dans un bol dans la salle de restaurant de l'hôtel. Dans un bol ! Fou. Et je mange quelques tartines tranchées dans un énorme pain de campagne.
Renseignements pris, la ferme de Mathias se situe à deux kilomètres. "Vous ne pouvez pas vous tromper m'a dit le monsieur de la réception, vous allez jusqu'au chemin du pendu, vous continuez, vous allez croiser deux calvaires et ensuite c'est la première à droite. Vous verrez un petit panneau "La vie douce", c'est le nom de la ferme de Mathias Talipot".
"Talipot". Bizarre comme nom. Je le voyais plutôt s'appeler Mathias Martin ou Mathias Dupont... Les a priori nous suivent jusque dans le nom que l'on voudrait donner aux gens.
Il est 9h, il fait froid, le soleil est encore mal réveillé, un peu timide, mais sa belle lumière rasante de fin d'hiver me rend joyeuse, presque euphorique. A cette heure-ci, la nature est calme et douce, elle s'éveille tranquillement.

Tout en marchant, je m'évade dans mes pensées. Je ne m'accroche à aucune d'elles, je laisse vagabonder mon esprit, je me libère. Je reste quand même concentrée. Comme j'aurais du my attendre, l'itinéraire est plus compliqué que prévu. Impossible de trouver ce "chemin des pendus". Quel nom horrible ! Je croise un paysan qui me renseigne gentiment. Premier calvaire, deuxième calvaire, première à gauche... Non, à droite ! Ah! Voici le panneau: "La vie douce". Ce joli nom contraste avec le chemin des pendus. Serait-ce la douleur et la tristesse qui mènent à la douceur? Hahaha. Quelle philosophe de comptoir !
La ferme de Mat' se dessine petit à petit dans le paysage. Elle est au bout du chemin. Elle ne ressemble pas à l'idée que je m'en faisais. Je pensais trouver une maison moche à côté de grands silos et de tracteurs, avec un chien enchaîné et du bazar partout. Pas du tout. Il s'agit d'une vieille maison en pierre, on dirait une maison de contes. Devant, un joli jardin qui donne sur des champs très beaux, striés de lignes droites, des plantations. Mais qu'est-ce qui peut bien pousser en ce moment ? De l'autre côté, derrière une clôture en bois bien droite, des moutons s'égaillent.
J'arrive devant la maison, il n'y a pas de portail, pas de sonnette non plus. Je frappe à la porte. Pas de réponse. Bon. Je frappe encore. Rien.

Je décide de m'assoir sur le banc sous la fenêtre de la façade. Il va bien finir par montrer le bout de son (joli) nez. Oula ! Attention, Amandine, me dis-je. Pas question de tomber amoureuse! Pas maintenant ! Alors, remballe tes petits commentaires sur son physique. Même si, bon... Il est beau.

J'entends soudain le gravier craquer sous des pas, sur le côté de la maison. Mat' apparait et me voit. Il est accompagné d'un petit chien noir à l'air tranquille et joueur.

- Tiens! La citadine! Bien dormi ? Prête pour une journée de folie à la ferme ?
- Haha ! Bien dormi et prête à être ton esclave !

Oups. Je rougis. Pourquoi j'ai dit ça, moi ?!! Il va se faire des idées maintenant.

- Hahaha! Je ne t'en demanderai pas tant ! Mais tu vas bien m'aider aujourd'hui. Ça tombe très bien que tu sois là. D'autant que Jean-Louis, le monsieur que tu as vu hier, est malade. Alors, je suis seul. Mais... Euh... Tu as pris des bottes?
- Non, j'avoue que je n'en ai pas.
- Bon. Suis moi.
- A vos ordres, chef !

Je le suis dans la grange. Il ouvre un placard et me tend une combinaison verte avec un grand zip blanc au centre. Et des bottes...

- Berk ! Mais je vais être hideuse là-dedans!
- Ah, parce que tu pensais participer à une journée défilé de mode ?
- Non, mais c'est pas parce que je suis dans les champs que je suis obligée d'être moche !
- Ha ben merci ! Donc tu me trouves moche, c'est ça ?
- Disons que je pense que la combi de travail ne met personne en valeur. Allez, je vais pas jouer la Parisienne. Donne!

J'enfile donc ma tenue. Verdict : Je suis moche, oui, mais j'ai l'impression de pouvoir faire n'importe quoi, comme une armure de chevalier, comme lorsque l'on se déguise, enfant, la panoplie permet de se mettre dans la peau du personnage et nous confère ses pouvoirs.
Enfin, l'habit ne fait pas le moine ! Première étape : traite des brebis, me dit Mat'. Et je vois tout de suite que ça n'aura rien d'évident.
Mat' me donne pourtant l'impression qu'il s'agit d'un jeu d'enfant. Il attrape une brebis avec une facilité déconcertante, l'installe pour la traite et hop le lait jaillit. Il me fait signe venir plus près de lui, m'explique la manoeuvre, ses gestes sont précis. Mais quand vient mon tour de tenir le pis, rien ne va plus. J'ai l'impression de faire du mal à l'animal. Et surtout, rien ne sort ! JE SUIS NULLE.
- Mais non, t'es pas nulle, me dit-il. Il faut un peu d'entrainement, voilà tout. Il faut que tu le sentes, c'est entre toi et l'animal. Sache d'abord que tu ne lui feras pas mal. Oublie tout ce que je t'ai expliqué, essaye d'abord de le faire comme tu le sens, toi.
- Mais moi, je ne sais pas faire.
- Je pense que tu vas t'apercevoir que si...

Je me lance à nouveau. J'attrape les pis, toujours rien. Je ferme les yeux, j'essaye de le "sentir" comme me l'a dit Mat' Soudain, je ne sais pourquoi, mais mes mains sont plus à l'aise, la brebis réagit différemment. Je ferme les yeux, je continue doucement, je ne pourrais même pas expliquer ce que je fais exactement, mais j'entends tout à coup le bruit du lait qui coule dans le seau. J'ouvre les yeux! Je pousse un cri de joie ! ça y est !

- Eh bien, tu vois! Ce n'était pas si difficile. Et maintenant, si tu regardes bien, tu fais exactement les gestes que je t'ai montrés, mais tu les fais à ta manière... Mais tu sais, Amandine, je t'ai montré les vieux gestes de traite. Aujourd'hui, on fait ça à la trayeuse ! Hahahaha

Cette révélation me fait rire et en même temps, je suis contente d'avoir appris à le faire sans l'aide d'une machine. Après une heure de traite, nous passons aux champs. Mat' me fait visiter les lieux. Il y a du choux, des endives, des carottes, des oignons et des lentilles. Pendant deux bonnes heures, nous récoltons chacun de notre côté. Parfois, Mathias passe voir si je fais les choses correctement, mais je m'applique, il a l'air plutôt satisfait.

A midi, nous nous installons chez lui pour un pique-nique improvisé à base de saucisson et de pain de campagne. Et même un verre de vin. J'adore comme il coupe le pain avec son couteau pliable. Il y a quelque chose d'une extrême simplicité dans sa façon de faire et en même temps une certaine force brute, mais douce. ça me fait penser, tiens...

- Au fait ? Pourquoi la ferme s'appelle "La vie douce" ?
- Tu n'aimes pas ? Tu trouves ça cucu ?
- Ah non, pas du tout. Je trouve ça hyper joli.
- Eh bien, en fait la vie douce, c'est parce que mes grands-parents, quand ils ont acheté les terres, s'aimaient follement, et...

Il éclate de rire.

- Bah pourquoi tu ris ?! Continue ton histoire, ça me plait !
- Hahaha ! Excuse-moi, j'ai essayé de trouver une histoire vite fait, mais j'y arrive pas ça me fait trop rire. En fait, c'est moi qui ait acheté cet endroit, ça s'appelait déjà "La vie douce". Et au risque de te décevoir, c'est juste un jeu de mots un peu pourri. La Vidousse, c'est le nom de la rivière qui coule en contre-bas. Les propriétaires précédents ont trouvé amusant de baptiser leur ferme, la "vie douce", comme la Vidousse donc... Et je trouve ça joli.
- Hahahaha. J'éclate de rire à mon tour. Bon, enfin c'est quand même un joli nom, dis-je.

Le reste de l'après-midi passe à une vitesse folle. S'occuper des bêtes, mettre les mains dans la terre. A la fin de la journée, je suis boueuse, et fourbue. Mais comme régénérée, heureuse du travail que j'ai fourni. Comme l'impression d'avoir été utile à quelque chose. Et Paris me semble être à 10.000 kilomètres...

Et si changer de vie, c'était devenir vraiment soi-même...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant