Chapitre 18

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Chapitre 18


Jeudi 3 mars. 7h .
Horoscope:
"Travail: Ne vous laissez pas dicter votre conduite"
"Forme: Excellente"
"Amour: Sachez le reconnaitre au coin de la rue...".

7 heures ! C'est l'heure qu'indique mon portable. Mais j'ai si bien dormi que j'ai l'impression qu'il est midi ! Mmmmm. Quel bonheur ce lit, et cet endroit. Il n'y a pas grand-monde dans l'hôtel. La patronne, hier soir, était étonnée que je sois venue en cette saison. "D'habitude, les gens choisissent l'été ou le printemps pour passer des vacances chez nous". Je lui ai répondu que j'en avais vraiment besoin, maintenant.

J'ai commandé une soupe et du fromage, un feu crépitait dans la cheminée, et j'ai dîné juste devant, sans le quitter des yeux. C'était tellement apaisant. La patronne - elle s'appelle Jacqueline - m'a offert un alcool du coin ensuite, et  nous avons discuté une partie de la soirée. Je lui ai parlé du village de Maminou, elle le connait très bien. Un instant, j'ai cru qu'elle connaissait peut-être Maminou elle-même. Mais non. C'est bien un truc de Parisienne ça : penser que tout le monde se connaît dans un morceau de campagne. "Ah tu viens de l'Ardèche ? Tu connais pas Untel ?". Haha.

Je suis montée me coucher vers 22h, j'ai lu - Mon Dieu, je n'avais pas lu depuis une éternité !  - et je me suis endormie au bout d'une demi-heure de lecture. Juste avant, j'ai joué à l'étoile de mer dans mon lit immense.
J'ai dormi comme jamais, sans penser ni au boulot ni à Mat'. Ceci explique peut-être cela.

Je me lève en pleine forme, je prends une longue douche chaude et je m'habille chaudement. Il fait vraiment froid ici, mais ça me fait du bien. Ca renforce le côté douillet de cette chambre, de ce grand lit, de mon gros pull...

Je descends et Jacqueline est là, elle sert le petit déjeuner aux quelques clients de l'hôtel, beaucoup de retraités d'après ce que je peux voir.

Après un bon petit déjeuner à siroter un bon chocolat chaud avec quelques toasts, je sors dans le froid, il est huit heures. Heureusement, j'ai pensé à prendre avec moi ma grosse doudoune. Pas si bête. ;)
J'ai décidé d'explorer un peu le coin, voir si je me repère dans le coin,  pour essayer de retrouver la maison de Maminou.
Je suis la route que l'on m'a indiqué. Il y a 7 kilomètres à  parcourir. Mais j'ai tout mon temps. J'ai emmené dans mon sac, de l'eau et un pique-nique. J'espère juste ne pas mourir de froid...
A quelques centaines de mètres de l'hôtel, je croise un vieux monsieur qui marche le long de la route. Il me lance un "Bonjour!" enthousiaste. Je suis prise au dépourvu et balbutie un "bonjour" beaucoup plus timide. J'avais oublié que l'on pouvait saluer quelqu'un que l'on ne connait absolument pas. Je vis en ville depuis beaucoup trop longtemps je crois. Je sais que c'est très banal, mais je trouve ça magnifique de se dire bonjour, comme ça, juste parce que l'on est deux êtres humains qui se croisent.

Je continue ma marche et laisse mes pensées m'emmener où elles le désirent. Je ne les retiens pas, je ne les rumine pas, je lâche prise. Je me dis que tout de même, la vie est folle. Quelles chances y avait-il pour que je gagne un jeu télé (moi qui n'y joue jamais) qui m'offre un séjour à quelques kilomètres de là où j'ai passé mon enfance !
Certains diraient qu'il s'agit d'un clin d'oeil du destin. Je ne sais pas si je crois ou pas en ce genre de choses, en revanche, je me dis que mes étoiles n'y sont pas pour rien.

En parlant de mes étoiles, je pense à Gaspard... L'enfant dont j'ai tant rêvé avec Mat', mais qui n'a jamais été conçu... C'est comme si il existait quand même un peu, et qu'il veillait sur moi. Je me demande si sa présence aurait tout changé ou tout compliqué au contraire.

Après trois heures de marche, très lente, je m'arrête net. Au sortir d'un virage, je reconnais un paysage familier. C'est par cette route que j'arrivais chez Maminou; tous les souvenirs remontent à la surface d'un seul coup et me voilà submergée par l'émotion. 

Je ne marche plus, je cours, malgré moi. Là, la clôture en bois qui enserre le champ de M. Pibodi; là, la maison abandonnée dans laquelle un arbre a poussé ; là, le chêne centenaire, "Salut mon vieux! ; là, les châtaigniers encore éteints par l'hiver ; là, la cabane du père François... Je devrais bientôt entendre son chien aboyer. WOUF ! WOUF ! Le voilà !! Heureusement, sa longue chaîne est toujours là elle aussi. J'ai toujours eu peur de ce chien. Peut-être en est-ce un autre d'ailleurs... Là, le virage... La maison de Maminou devrait pointer le bout de ses tuiles.

Je m'arrête net. Encore. Elle est là.

Elle n'a pas changé. Apparemment, les nouveaux propriétaires en ont pris soin et je ressens un grand soulagement. Je m'arrête devant le portail. Je sens des larmes couler le long de mes joues. Je me vois. Mais le moi d'il y a des années. Je me vois petite fille sur la grosse pierre sous la fenêtre. Je me vois courir dans le jardin et jouer dans la petite piscine gonflable. Je me vois sous le soleil d'été. Je me vois penchée avec Maminou au-dessus du petit potager qui semble avoir disparu.

Soudain, le présent me rattrape. Une silhouette se dessine dans l'encadrement de la porte vitrée. La porte s'ouvre. Manifestement, ma présence a intrigué les propriétaires. Un homme d'une cinquantaine d'années, large d'épaules sort dans le jardin.
- Bonjour! Je peux vous aider? Vous cherchez quelque chose, mademoiselle ?
- Bonjour ! Euh... oui, enfin non... Ma grand-mère habitait là, je me suis permise de m'arrêter un peu pour une séquence nostalgie. Je ne voulais pas vous déranger.
- Mais vous ne dérangez pas du tout ! Votre grand-mère, c'était Mme Breteuil ?
- C'est ça !

Rien que le nom évoqué, dit à voix haute, fait revivre Maminou. Savoir que quelqu'un d'autre se souvient d'elle, se souvient de son nom...
- Mais ne restez pas là, me dit l'homme. Il fait froid, venez vous réchauffer, j'ai fait un bon feu !
- Oh c'est gentil, mais je ne voudrais vraiment pas vous déranger...
- Oh ! Arrêtez avec ça ! Vous ne dérangez pas ! Au contraire ! On n'a pas souvent de la compagnie par ici ! Je m'appelle Jacques.
- Alors, d'accord. Merci.

J'ouvre le portail. Il faut faire jouer un loquet qui se trouve côté intérieur. Mais je connais la technique !
Je suis Jacques à l'intérieur de la maison. Sa femme se présente, Lucie. Son regard dégage une bienveillance communicative. Je me retrouve installé dans le salon, devant la cheminée sur une vieille table de bois, je vois un chocolat chaud et une énorme tartine de confiture de groseilles.

J'ai la sensation d'être dans deux mondes en même temps. Le présent, avec Jacques et Lucie qui me parlent de la vie dans la région et dans le passé, avec Maminou. Les larmes ont séché et je ne ressens plus que la douceur d'être là. A la fois dans mes souvenirs et bien ancrée dans le présent.

Je les quitte vers 15h30. C'est passé si vite et ils étaient tellement accueillant que je me suis vraiment sentie chez moi. J'ai même aidé Lucie à poncer et repeindre de vieilles chaises ! C'est fou comme ce travail manuel m'a vidé la tête. Je serais bien restée encore, mais j'ai tout le chemin du retour. Jacques m'a proposé de me ramener à l'hôtel en voiture, mais j'ai préféré décliner. J'ai envie de marcher.

Je prends le chemin du retour, vers l'hôtel, légère comme une plume, mais en serrant tout de même ma doudoune contre moi. J'ai très froid. Au bout de quelques heures de marche, à repasser en boucle cette journée hors du temps dans ma tête,  je vois enfin l'hôtel. Je suis épuisée, mais d'une très bonne fatigue ! 

Une camionnette stationne devant l'entrée. Des hommes s'affairent à décharger des marchandises. C'est bête, mais ça me fait du bien de voir du monde. Je n'ai croisé absolument personne durant tout le trajet retour. C'est fou quand même ! 2 heures dans la campagne, et pas un chat ! Voilà enfin de la vie ! Ca me réchauffe, et me donne une sensation étrange. Comme si mes étoiles scintillaient inhabituellement, comme pour me prévenir que quelque chose va arriver.

Et si changer de vie, c'était devenir vraiment soi-même...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant