Chapitre 6

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Mardi 15 février. 12h45. Ciel gris

J'entre faussement sûre de moi dans le restaurant.

Je tiens sans doute ça de ma grand-mère - pas Maminou, l'autre -, une grande dame très élégante, mais plutôt froide. Je ne l'ai pas trop connue, et elle me faisait un peu peur pour tout dire. Je ne me souviens pas l'avoir vu sourire un jour.

Mais je me rappelle que lorsque nous rentrions dans un magasin, vendeuses et clientes tournaient immédiatement la tête dans sa direction. Je me souviens, du haut de mes trois pommes, que j'étais moi aussi subjuguée par son charisme, impressionnée.

Dès qu'elle passait la porte d'un lieu public, elle tirait ses épaules en arrière, levait légèrement le menton et regardait le monde comme si tout lui appartenait, affichant une morgue et une arrogance qui pétrifiaient les pauvres mortels qui se trouvaient là.

Ça ne me ressemble pas, ce n'est pas moi, je suis tout l'opposé, plutôt timide finalement, mais j'ignore pourquoi, lorsque je rentre dans un restaurant, j'arbore moi aussi cette attitude dominatrice, instinctivement, sans même y réfléchir, c'est devenu une habitude inconsciente. Je ne sais pas, ça me donne de la force, c'est une manière pour moi de ne pas être intimidée par les regards.

Il parait qu'il suffit de se comporter comme si on avait confiance en soi pour avoir (vraiment) confiance en soi.

En balayant (un peu froidement donc) la salle du regard, j'aperçois mes "Vivis" avec déjà trois cocktails servis (ouf, je ne mourrais pas de soif !), en train de se marrer comme des baleines. Mais avec ce rire particulier, un peu honteux, comme quand on a peur de se faire engueuler par le prof, au fond de la classe, un ricanement un peu nunuche... Je vois ! Elle parle de cul, c'est sûr ! En tout cas, ça va me faire du bien de déjeuner avec elles. Olivier m'a encore pris la tête aujourd'hui, j'ai besoin de souffler.

- Saluuuuut ! De quoi vous parlez ? Ça a l'air drôle !
- Hihihi, ricane Vic... Vas-y, Virginie dis-lui!
- Vas-y, toi ! C'est toi qui maitrise !
- Olala... ! Ok. Bon, Amandine assieds-toi. Tiens, ton verre...
- Merci, dis-je. Alors ? Quoi ??? Vous arrêtez vos petits secrets ? Je suis toujours la dernière au courant! Je suis sûre que vous parlez de sexe !
- Ça, ma vieille, dit Vic, t'avais qu'à être à l'heure. On avait dit 20h00 !
- Ouais, bon, ok. Raconte !
- Mais rien ! On parlait de la méthode Rosenfeld. Tu vois ce que c'est ? me demande Vic.
- Jamais entendu parler !
- Hein ??!! Olala. Mais comment vous avez tenu si longtemps avec Mat' si tu connais pas ça ! Alors, la méthode Rosenfeld, déjà, c'est... comment dire... c'est fait pour t'accomplir... sexuellement. En gros, il faut se recentrer sur soi, mais sans être égoïste. Il faut penser d'abord à toi, mais sans oublier l'autre. Tu te concentres uniquement sur tes sensations quand tu l'embrasses ou qu'il te touche. Il doit le savoir, c'est important. Mais avant, tu dois parvenir à un état de plénitude sensorielle.

Ha ha ha, encore les méthodes foireuses de Vic ! Mais je retiens mon rire et je la relance :

- Euh... Et alors, c'est-à-dire ? Comment tu fais ça ?
- Y'a plusieurs voies : Yoga, méditation...
- En tailleur et tout, le pouce sur l'index en disant oooouuum ?
- Hahaha, rit aussi Virginie, ce qui a le don d'agacer Vic.
- Bon, les filles! Si vous voulez pas savoir, je vous dis pas !
- Mais siiiii, dit-on en choeur avec Virginie
- Bon, ok, dit Vic. Mais arrêtez de rire ! C'est sérieux, purée ! Donc... Non, t'es pas obligée de te mettre en tailleur, tu t'allonges, nue, sur ton lit. Tu visualises un endroit calme et apaisant. Une montagne de préférence. Tu inspires par le nez, tu comptes jusqu'à 7. Puis tu expires par la bouche en vidant complètement tes poumons. Et tu essayes de te focaliser, de concentrer ton esprit sur un détail de ton anatomie : un orteil, ton genoux, une paupière même ! Ce que tu veux. Tu fais ça 20 minutes et tu verras. Zeeeeeen.

Je sais que si je regarde Virginie, nous allons toutes les deux éclater de rire, comme à chaque fois que nous partons dans un fou-rire interminable ! Allez, je me concentre en regardant Vic d'un air très intéréssé :

- Ok. Et ensuite ?
- Alors, ensuite, tu appelles Mat'. Hahahaha
- Et qu'est-ce que je lui demande ?
- Rien. Laisse le faire ce qu'il veut. Mais toi, tu te concentres sur les points où il te touche. Tu visualises le contact de ses mains avec ta peau. Intensément. Et là, commence l'ascension...
- L'ascension ?

Virginie et moi buvons les paroles de Vic' comme un bon Mojito-fraise...

- Oui. L'ascension. Rosenfeld était alpiniste avant de devenir psychologue. Et quand il s'est intéressé au plaisir féminin, il a repensé à son ascension de l'Everest.
- Je vois pas le rapport, dit Virginie
- Euh... Moi non plus ! dis-je
- Mais attendez ! Ecoutez moi ! Qu'est-ce que vous êtes impatientes, c'est pas vrai. Donc... En alpinisme, il y a le premier de cordée, et ceux qui suivent. Dans l'amour, c'est pareil. Je suis désolée, mais faut arrêter de croire que l'on peut donner du plaisir en même temps qu'on en prend. Mais ! Mais si tu en prends beaucoup, le mec en prendra aussi. C'est comme ça. Donc il faut penser d'abord à soi, et le fait d'aimer ça, ça l'excitera aussi... Jusqu'au sommet ! Où vous êtes censés arriver ensemble.
- L'orgasme, quoi ?
- Voilà. Donc. Pour ça, il faut assurer ses prises, et toi, tu es la première de cordée, donc tu grimpes avant lui. Plus t'assures tes prises, mieux il suivra. Y a plusieurs zones, plusieurs points qu'il faut surveiller, je te passerais le bouquin.

Virginie et moi regardons Vic' avec un air fasciné. Puis nous éclatons de rire ensemble d'un seul coup !

- Mais c'est n'importe quoi ton truc, dit Virginie.
- Non, non, mais ça a l'air bien, dis-je, mais bon, faut bosser, hein...
- Alors là, les filles, marrez-vous. Mais pour moi ça marche. Et pour Karine aussi. Enfin bon, libre à vous de vous en passer.
- Oh mais comment elle va Karine !?

Karine est une amie de Vic'. Elle était consultante dans une boite réputée pour sa dureté. Elle a tout changé du jour au lendemain. Mec, boulot, tout. Elle est partie à Marseille, aux dernières nouvelles.

- Ah bah, super, dit Vic, toujours un peu vexée par notre réaction et notre fou rire. Mais ce qu'il y a de bien avec vic', c'est qu'elle ne se fâche pas longtemps.
- Elle est toujours à Marseille?
- Oui ! Et elle a trouvé un mec ! En débarquant ! Marc. En fait, ils ont pris le train ensemble. Lui, il était en vacances et elle, elle était en train de stresser. Elle se disait qu'elle ne trouverait pas de boulot, etc. Elle devait loger chez Sophie en arrivant, mais Sophie l'a appelée la veille pour lui dire qu'elle avait eu un dégât des eaux et que donc elle ne pouvait plus mettre les pieds dans son appart. Donc Karine avait loué en urgence un truc sur AirBnB. Mais bon.. Enfin, bref. Elle est à côté de ce mec dans le train et ils commencent à discuter. je te passe les détails, mais genre... coup de foudre! Elle a dormi chez lui dès la première nuit ! HAHAHAHA
- Non ?! Jamais je ferais ça. Tu te rends compte, ça peut être un psycho le mec !
- Oui, bon, bah, là, c'était un mec bien. Et ils sont ensemble depuis. Et... C'est là que c'est fort ! Ils veulent monter un stand de glaces ! Lui, il gérait un bar, mais il en avait marre. Donc ils ont décidé de monter ça ensemble. Ils pensent que ça va cartonner ! Elle est trop heureuse ! Je lui ai parlé sur Facebook tout à l'heure. D'ailleurs, elle me saoule un peu avec tout son bonheur ! Hahahaha.
- Je trouve ça trop beau. Franchement, dis-je.
- Eh ben, prend un billet pour Marseille ! me hurla Vic' !

Je ris, mais en moi quelque chose se met à bouger... Une sorte d'alarme lointaine, un je-ne-sais-quoi, une accumulation de signes qui me fait penser que, peut-être, oui, il serait temps pour moi de tout changer...

A part Mat' bien sûr !

Et si changer de vie, c'était devenir vraiment soi-même...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant