25. Équations à une inconnue

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25. Équations à une inconnue

VENDREDI 27 FÉVRIER

Ma migraine est toujours là lorsque j'arrive en maths, bien décidée à atteindre mon seul objectif de la journée : ne rien branler.

C'est ce que je comptais faire, du moins, avant que Monsieur Baker ne me colle une feuille de papier entre les mains. 

Plusieurs, en fait.

— Merde. 

L'intitulé du polycopié suffit à me faire oublier mes trous de mémoire intempestifs, ma crainte d'une nouvelle amnésie et les regards noirs de Connor. « Contrôle de connaissances ».

J'aimerais me lever, protester, clamer haut et fort que nous avons commencé la nouvelle séquence il y a à peine une semaine, mais je me tais. Mon corps reste vissé sur ma chaise tandis que les autres élèves agrippent un crayon en soupirant – de déception pour les uns, de contentement pour les autres. Ce n'est pas une interro surprise. C'est un devoir planifié, un devoir... que j'ai lamentablement oublié.

Face à ce constat alarmant, des ondes de panique me submergent de part en part alors que je manque de m'étouffer, seule, à ma table. Aucune pensée cohérente ne parvient à se frayer un chemin dans mon esprit, si ce n'est...

Fuis !

Oui, mais si je fais ça, Michael et Prya vont me tuer.

Ils ne l'apprendront pas.

Pas de ma bouche, mais forcément de celle de Monsieur Baker. Les Stafford veillent toujours à maintenir de bonnes relations avec mes profs.

Admets-le : tu es incapable de résoudre ce problème par toi-même.

Je jette un rapide coup d'œil à l'exercice 1 et son énoncé plutôt banal : « Germaine et Gertrude se trouvent à deux étages différents de la tour Eiffel, et cherchent à calculer la distance qui les sépare pour se rejoindre le plus rapidement possible. Sachant que le premier étage se situe à 57, 63 mètres au-dessus du sol, que le deuxième est à 115, 73 mètres, et que Germaine mettrait 1 minute et 34 secondes de plus que Gertrude pour arriver en haut, combien de mètres les deux amies doivent-elles parcourir avant d'être réunies ? »

Elles ne peuvent pas faire comme tout le monde et prendre l'ascenseur ? Ma petite voix intérieure à raison : je n'y arriverai pas. 

Tremblante, je range mes affaires et m'approche lentement du bureau. Le prof arque un sourcil, dérouté. Je l'imagine sans mal me coller ou informer le proviseur à la seconde même où je quitterai la salle. Je suis une bille en maths, c'est un fait, mais de là à rendre copie blanche...

Il se renfrogne en découvrant la liasse de feuilles dans ma main, mais ne dit rien, pensant sûrement que je sollicite son aide pour un exercice. Mauvaise réponse ! Je lui jette le paquet à la figure et me précipite à l'extérieur, sans tenir compte de l'étonnement que je lis dans les yeux de Connor. Il doit se dire que c'est bien fait, que je le mérite après ce que je lui ai infligé – et il a probablement raison. 

Pourtant, ce n'est pas l'aversion de mon ex qui me donne envie de hurler et de frapper tous les casiers du couloir. C'est la certitude d'être l'ignorante, le clown, le dindon de la farce qui se dandine au milieu de ses semblables sans savoir si les seuls souvenirs auxquels il peut encore se raccrocher finiront par disparaître, eux aussi. Comme tous les autres...

Dépitée, j'essuie les larmes de rage qui roulent sur mes joues et me précipite vers le stade de basket pour que l'air du dehors apaise la douleur lancinante qui me martèle le crâne. Je m'étale sur un coin d'herbe près du terrain d'entraînement en faisant abstraction des autres élèves qui s'entraînent à quelques pas de là. Comme je ne suis pas autorisée à quitter le lycée avant la fin des cours, je dois prendre mon mal en patience... et croiser les doigts pour qu'un cachet d'aspirine traîne encore au fond de mon sac.

Je pensais que l'époque où je m'enfilais des cachetons était révolue, mais non.

Étant donné mon passif médical, je sais que je devrais alerter Prya... Mais même si j'en trouve le courage, je ne peux pas. Lui en parler relancerait les rendez-vous intempestifs chez les docteurs et spécialistes en tous genres. Passer des examens à l'hôpital, peut-être, « juste pour être sûr », et en conclure que mes pertes de mémoire sont dues à un nouveau traumatisme ou à une défaillance quelconque, aussi inexpliquée qu'inexplicable.

Ni elle, ni moi ne souhaitons subir ça.

À moins que je n'abuse, bien sûr. Ça, c'est l'hypothèse qu'avancera Michael lorsqu'il verra les factures s'accumuler et le prix de son assurance santé s'envoler.

Voilà une chose que je ne suis pas près d'oublier : son hypocrisie. C'est lui qui a forcé la main à Prya pour m'éduquer, lui qui a voulu endosser la responsabilité de ma méfiance forcée, lui qui a assuré faire preuve de charité en recueillant une « Asiate au dossier compliqué ». Pourtant, je suis persuadée qu'il me désadoptera à la première déconvenue, sans honte ni regret. Avec une pointe de soulagement, même, alors que je passerai de famille d'accueil en famille d'accueil, sans trouver ma place nulle part ailleurs que dans mes espoirs avortés.

– Eh !

Je lève la tête, intriguée.

Les amnésies dont Kyo est victime ne se résument pas à des oublis, elles ont aussi des conséquences sur sa vie, son comportement et ses sentiments

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Les amnésies dont Kyo est victime ne se résument pas à des oublis, elles ont aussi des conséquences sur sa vie, son comportement et ses sentiments... Comment peut-elle se construire, si sa mémoire ne cesse de démolir les piliers qu'elle a mis tant de temps à ériger ? 

Et la réaction de Connor ? Comment l'interprétez-vous ? Il va l'aider, vous croyez ? 

– Pourquoi pas, oui 🤷‍♀️

– Malheureusement, non... 🙅‍♀️

MAUX DITSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant