53. Un Coca Cherry est toujours plus qu'un simple Coca Cherry

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53. Un Coca Cherry est toujours plus qu'un simple Coca Cherry

SAMEDI 14 MARS

Embarquée dans la Cadillac de Prya, je ne pipe pas mot du trajet.

Ça fait un moment déjà que nous avons franchi le panneau de sortie de la ville. Avant de démarrer le moteur, sur le parking du lycée, elle m'a seulement expliqué que nous partions assister au concert d'une de ses amies, à Port Angeles.

L'amie en question, c'est Judy, la chanteuse de son groupe de rock de l'époque. Elle se produit avec Monsters of Hell, désormais – un trio qui tourne plutôt bien, sur la côte ouest. La dernière fois que Prya m'en a parlé, c'est quand elle a reçu un carton d'invitation, il y a quelques semaines. Comme chaque fois qu'un courrier de ce type atterrit dans la boîte aux lettres, elle l'a foutu à la poubelle. Pourtant, c'est cette enveloppe miraculeusement récupérée qu'elle tient désormais à la main. 

J'aime à penser que ce bout de papier constitue la clé de son indépendance.

Elle a passé l'après-midi à effectuer des allers-retours constants sur le port, tellement que je doute que le réservoir d'essence actuel nous suffise pour rentrer. Après plusieurs heures de soupirs et de tapotements agacés, elle a enfin pris son courage à deux mains, et composé le numéro de son ancienne comparse, totalement stressée.

C'est comme ça que nous nous retrouvons toutes les deux devant le Metta Room, un pub-restaurant qui surplombe le fronton de mer. Je suis bien en deçà de l'âge légal pour fréquenter ce type d'établissement, mais la bonne saméricaine fait jouer ses relations pour me faire rentrer. 

Spontanément, mon regard est attiré par le mur bleu canard entrecoupé de bouteilles et de babioles en tous genres, pendant que Prya s'avance jusqu'à la scène, où l'une des musiciennes accorde sa guitare. C'est la position qu'elle occupait, dans sa jeunesse... et son soupir en dit long sur les regrets qui ont suivi sa retraite anticipée.

— Ça fait des années que je n'ai pas touché à un médiator, murmure-t-elle, comme pour faire écho à mes pensées.

Les éclats mordorés de ses yeux brillent de mille feux lorsqu'elle s'attarde sur les amphis et les basses, nostalgique.

— Qu'est-ce qui t'empêche de recommencer ?

Son sourire se tord en un rictus méprisant. Comme si je ne le savais pas déjà...

Michael, évidemment.

— Pas formellement, bien sûr. Mais l'interdiction a toujours été là, admet-elle, tendue. Je m'y suis conformée sans même m'en rendre compte.

— Justement, insisté-je, qu'est-ce qui t'empêche de recommencer ?

Quand elle se tourne vers moi, ses mèches blondes se confondent avec les reflets bleus des néons. Jamais je ne l'ai trouvée aussi étincelante qu'à travers les éclairages de ce bar miteux. L'évidence s'impose d'elle-même, claire, limpide, tenace, alors que les premières notes de Come As You Are résonnent dans la salle. Prya s'apprête à renouer avec l'insouciance qu'elle avait du temps où Nirvana sévissait encore, lorsqu'elle n'était qu'un bébé.

MAUX DITSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant