Chapitre 9

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La chute.

L'instant fatal où le temps semble se figer.

L'impression fugace de voir la mort arriver.

Opale ferma les yeux, quand une paume calleuse saisit son poignet. Osant à peine respirer, elle entrouvrit les paupières, stupéfaite.

Lethos avait saisi le rebord d'une main, et de l'autre, il venait de la sauver la vie. L'homme ne tremblait pas, et, parfaitement calme, il commença à balancer son corps de gauche à droite. Finalement, il lâcha Opale, et dans un cri, la femme chuta sur le pont.

Vivante.

Elle se releva le plus rapidement possible, et vit avec effroi les doigts de Lethos échapper à la paroi. Elle tendit sa main, horrifiée, mais l'Autre ne la saisit pas, et chuta vers le sol. Serein, son regard menthe était dirigé vers la gauche de la nouvelle. Celle-ci se tourna vers Dagrielle, prête à implorer ses excuses ; mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge.

Au lieu d'un visage dévasté, la Flamme avait un sourire aux lèvres, et semblait plus déterminée que jamais. Elle darda son regard or sur Opale, et dit d'une voix forte :

- Tu as raison. On va les aider.

La chef des Autres se mit à marcher vers les elfes, tout en sortant de son fourreau une longue épée tranchante. Sa garde était incrustée de rubis et de joyaux de feu, le tout entouré d'arabesques rousses défiant la gravité.

La nouvelle ne pouvait détacher son regard de l'Autre, dont le corps était désormais minuscule ; puis elle se releva lorsque Lethos heurta le sol.

- Qu'est-ce que tu attends ? Ils n'ont plus beaucoup de temps !

- Je ... Lethos ... Vous ... Il ...

Dagrielle se retourna vers elle. Une nouvelle fois, Opale fut stupéfaite de la grandeur d'âme qui émanait de la Flamme. Son armure sculptait son corps millénaire, et ses flamboyantes mèches rousses brisait l'harmonie blanche du décor.

Oui, la nouvelle le savait, désormais : face à elle se tenait bel et bien une déesse, le rempart contre les elfes. Et elle était prête à suivre cette force, cette vie brûlante de justice.

- Allons-y.

*

Alors que les deux femmes couraient vers le champ de bataille, un rayon perça les branches, manquant de blesser Dagrielle. Celle-ci s'arrêta, et tendit sa main devant elle, le visage contracté dans une concentration extrême. Opale sentit son propre pouvoir entrer en résonnance avec la puissance qui émanait de la Flamme, et soudain, tout se figea.

Les branches cessèrent de se balancer au gré du vent, les drones arrêtèrent leurs attaques, le silence s'imposa autour de l'énorme gouffre terreux. Opale battit des paupières, stupéfaite.

- On n'a pas beaucoup de temps, siffla la chef des Autres. Va les chercher.

La nouvelle était dévorée de questions, mais sa nouvelle décision lui imposait d'obéir à la semi-déesse. Elle dépassa donc Dagrielle, le corps tendu et les yeux clos.

Elle s'élança sur une centaine de brasses, et peu à peu, elle comprit la situation dans laquelle était Héra et Laso : d'immenses alliages métalliques de plusieurs dizaines de brasses formaient une palissade, autour d'une multitude de guerriers en armure, canons tendus vers le centre. Opale glissa entre les elfes, hébétée par leur immobilité. Finalement, elle déboucha au coeur du combat, elle s'arrêta une seconde, détaillant la scène figée.

Laso était un plein saut, une balle dans l'épaule. Son pied frappait la mâchoire d'un soldat, et son poignard resté en suspension pointait vers un autre ennemi. La rage, mais aussi le désespoir, se disputaient sur son visage tendu. Quant à l'assassin, un sourire carnassier illuminait ses yeux d'une lueur folle : ses mains étaient nimbées d'une brume blanche, et d'immenses lames translucides perçaient les armures de trois elfes face à lui.

Opale tendit la main vers ces armes transparentes, refusant de voir la vérité en face : Héra avait décrypté son pouvoir et pouvait maintenant s'en servir.

- Opale !!! Vite !!

La concernée se tourna vers l'écho, et comprit que sa provenance n'était autre que Dagrielle. Elle n'avait pas le temps de s'énerver contre l'assassin, elle devait les tirer de là. Mais comment ?

Soudain, le vent recommença à agiter les feuilles des arbres, et les corps autour d'elle se remirent en mouvement, d'abord lentement, puis de plus en plus vite.

- Non, non, non ...

Opale chercha une issue, mais il n'y en avait pas : le temps reprenait son engrenage mortel, et elle n'avait aucun moyen de le stopper à nouveau. Le cri d'un elfe prenant le couteau de Laso en pleine gorge la sortit de sa réflexion, et elle regarda en face d'elle.

Un canon.

Posé sur son front.

Opale déglutit, et regarda l'elfe qui la menaçait. Ses yeux s'écarquillèrent, et l'homme en face baissa son arme.

- Opale ? murmura le soldat.

Son armure se fit transparente au niveau de son visage, et cette fois, la femme recula, terrifiée.

- Impossible ... c'est toi ?

- Tu es vivante ...

- Re ... recule !

Opale fit un pas en arrière, et sa main frôla celle de Laso. Tous deux se retournèrent, le saphir croisa le rubis, puis les ennemis déferlants rompirent ce contact. Héra passa devant elle, faisant ricocher d'une onde la balle d'un canon.

- Tiens, notre espionne se joint à la partie ?! cria l'assassin avant de poursuivre son oeuvre dévastatrice.

La femme regarda Héra, qui blessait avec une facilité déconcertante ; son propre pouvoir servait la mort. C'était une vision qui la dégoutait terriblement, mais elle n'avait pas le choix.

- Opale !

La concernée regarda l'elfe qui venait de lappeler. C'était lui, c'était ce soldat, qui courrait vers elle. Héra s'interposa, et leva sa main entourée de brume. Quelques secondes, et l'assassin achevait la vie de l'elfe.

Opale ne lui en laissa pas le temps. Ses cheveux se mirent à virevolter, alors que ses pupilles s'élargissaient. Elle leva sa paume, et l'abattit contre le sol.

Aussitôt, une fissure se forma autour des trois Autres, et une paroi lisse en sortit. Elle s'éleva jusqu'à la cime des arbres, isolant le trio des elfes.

L'assassin darda la nouvelle d'un regard noir.

- Tu peux expliquer ?! cracha-t-il. Comment cet elfe te connait-il ?

- Opale, tu as des choses à avouer.

La femme regarda les deux Autres, les visages fermés. Héra était simplement furieux, mais pas Laso. Au contraire, ses trois yeux rouges criaient l'incompréhension, et la déception.

- Répond !!! rugit l'assassin en se jetant sur elle.

Des lames translucides jaillirent autour d'Héra, et foncèrent sur Opale. En seule réponse, elle tendit sa main, et les armes se brisèrent contre sa paume. Les deux Autres se toisèrent, chacun en colère, mais pas pour les mêmes raisons.

- Ce n'est pas ton pouvoir, cracha la nouvelle.

- Tu esquives la question !

- Rends-le moi ou j'irais le prendre de force !

- Essaye donc.

- Arrêtez ! Vous trouvez vraiment que nous n'avons que ça à faire ? Au cas où aucun de vous ne l'aurait remarqué, nous sommes pris au piège, et ton mur va bientôt se briser !

Opale allait rétorquer lorsqu'une voix incroyablement puissante résonna à l'extérieur. Ce qu'elle dit glaça la nouvelle d'effroi, et les deux hommes se tendirent, prêt à se jeter sur elle pour la neutraliser.

- Autres ! Vous détenez une citoyenne de la république des elfes ! Rendez-vous et il ne vous sera fait aucun mal ! Je répète : libérez l'otage elfe !

Fiction © Manda

Univers et personnages de Sphérianne © Manda

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