Chapitre ø

113 15 2
                                    

« La vie est une flamme, un jour elle finit par s'éteindre. »

○∆○

   Un récit normal pourrait commencer son aventure par une introspection du personnage principal. Il pourrait se mettre à douter de son existence ou même faire un tour d'horizon de sa modeste personne en se disant combien il est heureux de vivre dans un monde hypocrite et remplit de clichés. À ce moment-là, sa chère et tendre femme tout aussi stéréotypée pourrait pointer son nez et s'étaler en bonnes manières répandant son amour comme on étale de la confiture sur une tartine de pain. Suivant une embrassade sèche et stupide, des enfants braillards pointeraient leur nez en gueulant le statu quo du mâle dominant de la maison.

   Non.

   Ici, rien de tout cela. Mais toutes les histoires commencent différemment, celle-là n'est pas épargnée mais qu'est-ce qui change au fond ? Sa vision, ses héros et son début. Pas de description d'un monde angélique ou d'une histoire d'amour qui n'a pas à exister étant impossible. Tout est plus simple, tout est limpide. C'est là que tout commence et que tout se termine. Le cycle de la vie. Un pas dans un univers qui nous est inconnu, un monde vaste où toutes nos peurs et nos rêves se retrouvent. Tout ça dans le regard d'une personne qui l'a suivi durant toutes ces années. On pourrait la qualifier d'inférieur. Après tout dans la branche de l'évolution elle n'est ni la première et pas non plus la dernière. Où est donc sa place ? Entre le sucre et sel, entre le doux et l'amer. Ou plutôt, son essence même pourrait qualifier les deux.

   L'histoire ne se passe pas non plus dans le monde connu. C'est un lieu où même les mortels au trépas ne peuvent imaginer. Un univers qui rassemblait, fut une époque, de nombreuses divinités et quelques entités. Cependant, les civilisations construites tombèrent les unes après les autres réduisant drastiquement le plus important pilier : la croyance. Les Dieux et Déesses moururent pendant que leur subalterne prenait de plus en plus de place scindant en deux leur propre race. Le génocide que créèrent les religions monothéistes mit à mal bien du monde. Les survivants ne se comptaient que sur les doigts d'une main... Le Créateur, Morphée et Cupidon. Les autres n'étaient que des pales copies transformés en personnifications. Comme elle.

   Puis finalement, il y a eu ce moment où le choix ne se résumait à foncer la tête la première dans la bataille. C'est un peu ce qui était arrivé un jour à la Bibliothèque des Âmes. Ce lieu où toutes les Histoires des mortels se trouvaient confinées dans leur propre livre. La moindre minute, la moindre seconde y est. Des milliards de vies et d'histoires dans un seul et unique endroit simplement éclairé par la lumière du Livre des Morts. Cet ouvrage aux pages infinis et à son alphabet... 
   Tout le monde s'accordait à dire que c'était un endroit magnifique malgré sa fonction. Chaque être qui avait l'honneur d'y entrer pouvait la voir différemment. Après tout, le lieu s'adaptait à son visiteur...

   C'était si magique avant ce jour funeste.

   Le temps était normal, rien d'alarmant. Pas de guerre ou de fin du monde et encore de moins de sacrifices humains. C'était même trop paisible en y réfléchissant. Si calme que la méfiance n'était pas spécialement d'actualité. Personne ne brûlait de Sorcières. Chaque créature vaguait à ses occupations. Les démons allaient sur Terre tourmenter les vivants, les anges étaient là pour faire la passerelle entre les mortels et les Dieux. Le peuple des forêts continuait de faire tourner la tête des paysans, ceux des mers faisaient en sorte de véhiculer la peur. Puis, il y avait une petite âme. Novice dans son domaine et enfermée dans sa prison dorée au fin fond de son univers lugubre. Une jeune enveloppe vêtue de noir et dont le visage était à moitié rongé par la souillure de l'âge. Elle ne rebutait personne dans son monde. Après tout, comment quelqu'un pouvait la trouver affreuse ? Sa naissance, son éducation puis la découverte de ses pouvoirs et de ses attributs ne furent, certes pas une bénédiction pour son père. Mais il n'en demeura pas moins que son existence était incontestée. Le respect devait lui être fait. Même si elle n'était qu'une entité et non une Déesse à proprement parler.

   Il était presque vain de faire croire au monde mortel le contraire. Comment des créatures toutes plus mythologiques et mythiques les unes que les autres pouvaient leur faire comprendre qu'elle n'était pas ce qu'ils voulaient. Malheureusement, l'esprit humain étant faible pour s'ouvrir, elle prit une place importante dans les représentations. Changeant souvent de nom ou de visage. Cependant, sa fonction ne bougeait pas plus que ça... Enfin ! Jusqu'à ce fameux jour maudit où à son retour, la Bibliothèque était plongée dans une obscurité plus profonde que les Enfers. Les livres n'émettaient plus leur lueur, les allées étaient introuvables, un silence de mort était présent. Tout n'était que néant. Il ne restait plus que les deux flambeaux qui laissaient échapper une explosion de couleurs décrivant la douleur des âmes présentes. Une teinte violette pour leur peur, puis une autre pour leur douleur et enfin pour leur colère légitime, laissant aussi leur cri percer le lieu. Seulement, la nouvelle petite entité n'étant pas à même de répondre aux brimades des défunts la couleur azur et sereine vint de quelqu'un d'autre. Une personne plus à même de s'occuper des morts. Cette personne ? C'était son Gardien, celui qui avait vu grandir sa petite protégée après une dette éternelle.

   Il ne se souvient aucunement de la suite. Les torches reprirent leur couleur turquoise et le silence retomba. La petite silhouette devant lui était pétrifiée de peur. Comment pouvait-elle ressentir cette chose ? Quand elle se retourna face à lui, sa moitié de visage encore sain laissait couler des larmes. Mais il ne pouvait rien faire pour l'aider. Il était sourd à la douleur. Aveugle à sa détresse. Il a dû attendre que ses plaintes rameutent la foule de curieux. Des Démons pour la plupart puis des entités spectrales sans oublier les êtres faits de pureté et de bondé. Bien différent de la majorité présente. Leur expression pour la plupart ne laissait pas de doute à la surprise et le choc de trouver la Bibliothèque silencieuse et sombre.

   Finalement, cet amas de chair pur et impur se fractionna à la venue d'un seul être. Le Père de tout et surtout de la petite. Son regard se posa sur les lieux, aucune expression ne venait troubler ses traits. Puis il baissa les yeux sur son enfant, tendit la main et enveloppa sa tête dans ses larges paumes et serra à s'en faire blanchir les phalanges. L'entité minuscule continuait de pleurer en hurlant sa douleur, tout le monde regardait et s'accordait à penser que la cruauté n'avait pas de limite. Mais ils ne pouvaient rien faire. Inférieurs à lui... Impuissants tel était leur place.

   Quand il décida de libérer son enfant, cette dernière avait révulsé ses yeux sous le choc et la souffrance. Mais elle ne pleurait plus. Prise par une soudaine envie de respirer, elle souffla tout ce qu'elle pouvait pour relever la tête. Son expression avait changé, son regard aussi. La petite que son Gardien avait guidée et appréciée n'était plus qu'un souvenir. Son Père l'avait changé pour longtemps... Il prit alors sa décision : « Vas et retrouve ton livre. Ne reviens ici qu'en sa possession. » L'enfant hocha la tête et étonnamment invoqua son premier attribut Occidental pour percer le voile et tomber sur la terre des mortels. Personne ne savait ce qu'il avait fait. Mais ils savaient tous que le périple de la jeune enfant allait être long et fastidieux. Mais elle n'était pas n'importe qui. Elle était la Mort.

La Mort t'embrasse. [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant