I- J'attendrai demain

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« On n'emporte en mourant que ce qu'on a donné. » - Emile Deschanel

○∆○

   Je ne me souviens pas la dernière fois où je me suis occupée de quelqu'un. Je veux dire : c'est devenu monotone en fait. Je sais ce qui va arriver tous les soirs de tous mes jours sans exception. Pourtant, il y a tant de morts tous les jours que j'en viens à me demander si je fais bien mon travail. Après tout, personne ne meurt de la même manière... Il faut avouer quand même que vivre dans le corps d'une adolescente ne m'aide pas vraiment dans ma tâche. Si je dois me séparer d'elle, elle dort. Une prison de chair et de sang plus désagréable qu'autre chose. Je n'attends pas à ce qu'on m'aide dans mon job. Mais si elle pouvait juste éviter de s'écrouler comme une masse à chaque fois que je veux faire quelque chose se serait juste extraordinaire ! Mais je dois faire avec ce boulet... Alors je me contente juste de partir la nuit. Moins de sept heures pour toutes ces âmes. Autant les laisser aux démons et autres bestioles de la nuit, j'irais bien plus vite...

— Et toi alors Arianne ? fait une voix lointaine.

   C'est vrai les dévoreurs et autres spectres sont plus efficaces en deux jours que moi en une semaine. Le quota d'âmes doit augmenter avec une facilité déconcertante. Je les vois se moquer du défunt quand il espère enfin partir en paix. Sa pauvre âme prise au piège dans une cage ou pire, mangeait dès sa transformation. Si je pouvais, j'aurais des frissons d'horreur.

— Arianne ? demande la même voix plus proche.

   Quand bien même je parvenais à sauver des mortels d'une susceptible errance existentielle, il s'avère que les faire passer de l'autre côté peut aussi être dangereux. La lumière -que je ne vois pas- tout ça... Elle attire aussi des êtres qui se disent purs mais dont le fond intérieur ressemble à une marée noire. Bon après ce n'est pas mon problème, faut pas abuser ! Je les guide et c'est déjà assez long, voir compliqué pour certaines. Entre l'envie de rester pour veiller, la vengeance en fonction des cas, la peur de l'Au-delà et blabla... Je t'en foutrais.
   J'en viendrais presque à l'exaspération si je savais ce que ça pouvait être.

— Arianne ! hurle encore cette satané voix.

— Quoi !

   La mienne se fait plus forte que celle qui m'appelle. Je ne prends pas la peine d'être aimable et lui fait bien comprendre le fond de ma pensée par le ton employé. Je n'ai rien suivis de la conversation. Alors qu'on ne me demande pas si je dois choisir entre le sourire ou le cul de la crémière. Mais bon, comme n'importe quel mortel, je redresse la tête avec une mine entre l'énervement et l'exaspération. Pour faire semblant que j'étais concentrée sur mon travail. Aha ! La bonne blague !

― Enfin tu daignes répondre ! Tu vas faire quoi ce week-end ?

« Récolter des âmes. Faire des pactes et regarder un mortel s'éteindre comme une bougie... »

― Bosser je pense.

― Tu ne vas pas aller voir Thomas ?

― Qu'est-ce que j'en ai à faire de lui ? tac au tac comme toujours.

― Il est malade je te rappelle. Il ne passera sûrement pas la fin de l'année.

   Ah oui. Ce Thomas-là. Effectivement, il ne va pas passer l'année. C'est dommage. Mais au moins, je serais là pour le voir passer l'ar-... Rivée oui c'est ça. Raclement de gorge, faux sourire et je cache ma véritable pensée de mon visage. Récolter... Voilà ce que je veux. J'adresse un sourire au groupe de filles avant de replonger sur ma feuille. La mine sortie, je reste face à ce qu'on peut nommer une feuille blanche. Ou le syndrome de la page blanche comme vous voulez en fait. À chaque mort lente, je me dois de faire un rapport maintenant.
   Pourquoi ? Sans doute parce qu'un malin s'en est prit à mon fabuleux et important grimoire contenant toutes les âmes que j'ai prises. Nom, prénom, âge, situation et surtout cause. La feuille ne sert en soit à rien mais c'est toujours mieux de consigner les âmes qui passent de l'autre côté en attendant de retrouver ma base de donnée sur feuilles. Un soupir et je me plonge donc dans le début de ma rédaction. En l'occurrence ici, je vais me charger d'une famille déchirée par la mort prématuré de leur fils. Je sais de quoi il souffre et Ô combien il va souffrir avant la fin. Je fais toujours ça avant chaque récolte. J'ai l'impression d'être une agricultrice en disant ça... Enfin ! Il faut peut-être que je m'assure de son état un petit peu...

La Mort t'embrasse. [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant