IX- La Belle au bois mordant

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« Être asservi à soi-même est le plus pénible des esclavages. » -
Sénèque

○∆○

― Tes parents m'ont appris que tu as versé une larme après ton réveil.

― Sans doute.

― Tu étais triste à ce moment-là ?

― Je ne sais plus.

― Arianne, si tu as ressenti quelque chose il faut me le dire tu le sais.

― Ouais mais j'ai rien à vous dire.

Mes parents se sont inquiétés après mon retour parmi les vivants. Ils avaient peur que des séquelles irréversibles me soient tombées dessus. Mais à part ça, j'ai juste continué à être la même Mort dans le corps d'une adolescente. Ma psy par contre a continué à venir me chercher des noises. Les sempiternelles questions de comment je me sens, si je suis parvenue à mettre un mot sur mes sentiments ou même si des souvenirs de l'accident me sont revenus. Les réponses ? Normal. Non et encore non. Le sourire de Marthe, c'est le prénom de ma psy, se dessine alors au coin de ses lèvres. Comme toujours, ça signifie que je vais me taper un exercice de malade.
Sans un mot, elle se lève et m'invite à faire de même. Pour savoir que décliner est une très mauvaise chose à faire, je la suis au milieu de son cabinet. Doucement, ses bras se détendent et je fais de même. Finalement, sa question arrive :

― Repense à ton réveil. Qu'est-ce qui t'es passée par la tête à ce moment précis !

Autant demander à un traumatisé de revivre son calvaire. Là, c'est pareil ! Si je lui dis la vérité, le repas de ce soir va tourner autour de cette réponse. Ma mère va se mettre à avoir une crise de panique et mon père va se ronger l'os qu'inquiétude. Avoir un enfant alexithymique j'avoue, ça ne doit pas être simple tous les jours. Surtout quand il est dans son adolescence. Mais bon ! De mon côté, ce n'est pas ma faute, ce n'est pas non plus celle de mes parents et encore moins de mon cerveau. Bah mettons ça sur le compte de ma profession !
Toujours silencieuse, je fixe Marthe qui semble prise dans son exercice. Les yeux fermés, elle inspire et expire lentement pour me donner exemple. Cependant, je suis encore attirée par autre chose qui s'écoule au-dessus de sa tête. Son horloge est paisible. Un peu trop à mon humble goût. Elle semble couler des secondes heureuses sans se soucier qu'à l'arrivée, je serai là pour la cueillir comme une jolie petite fleur fragile. Peut-être qu'elle m'a adressé la parole alors que j'étais ailleurs mais quoi qu'il en soit, j'ai le droit à une remontrance telle une gosse de cinq ans. Le regard de la femme devant moi semble dur et pourtant, je peux voir au fond de ses prunelles de la bienveillance. Son envie de m'aider est plus flagrante que tout. Du coup, je m'abstiens de tout commentaire et ferme les yeux devant son nouvel ordre.

Si Marthe savait vraiment qui j'étais. Admettons qu'elle ne me prenne pas pour une profonde cinglée bonne à foutre les pieds dans un asile... Elle dirait quoi sur moi ? Que je suis juste atteinte d'alexithymie morbide ? J'avoue, c'pas grave ! Mais c'est pas non plus curable vu ma... Enfin, vu ce que je suis. Finalement, au bout de deux longues minutes à ne rien dire et voyant pertinemment l'impatience de ma psy je me dépêche de sortir la première chose qui me vient à l'esprit.

― J'ai eu quelque chose semblable à un profond vide heureux.

― C'est-à-dire ? Par rapport aux émotions, tu pourrais qualifier ?

― Euh...

Vas-y, essaye de mettre un mot sur un truc que tu ne connais pas spécialement !

― Un genre de soulagement.

― Selon toi, un soulagement correspond à un vide ?

Aah la question piège ou rhétorique en fonction de sa tête. En ce moment-même, je penche plus pour la seconde hypothèse. Si elle connait la réponse, pourquoi me poser une question inutile comme ça mise à part pour gaspiller sa salive ? Bon bah du coup je sais maintenant que vide et heureux ne vont pas ensemble. Ou alors, faut avoir envie de mettre fin à ses jours... Je pouffe à ma pensée et Marthe me fixe.

La Mort t'embrasse. [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant