Kirsten
Confortablement assise sur de gros coussins de plumes, enroulée dans la peau d'un ours qu'avaient chassé mon grand-père et ses deux fils, des dizaines d'années plus tôt, je me reposais. Ils l'avaient chassé quand les grands ursidés commençaient à descendre des hauteurs pour trouver de quoi se sustenter.
Ils commencèrent à terroriser le village en attaquant les personnes qui allaient à l'extérieur. On avait commencé à leur sacrifier régulièrement du bétail quand les temps se faisaient durs. Cependant, un des plus gros, plus agressif, commença à s'en prendre aux enfants. Le vieux maire a donc envoyé des chasseurs de la famille fondatrice s'en débarrasser. Ils reçurent des décorations et ma lignée garda le trophée.
Bien au chaud, emmitouflée dans ces éléments, je me laissais aller en arrière, détendant mes muscles. Je clignais des yeux pour faire couler la larme qui me menaçait depuis que j'avais croisé ce portrait... Inspirant bien fort, je sentais l'odeur du bois, de la fumée, de la cheminée et du cuir.
J'attendis que la goutte d'eau finisse sa course sur mon visage pour tomber sur le coussin, mais Baldur vint alors me lécher la joue, absorbant cette dernière. Il couina joyeusement en agitant la queue. Ma petite sœur arriva à quatre pattes à sa suite. Elle vint me serrer dans ses bras tandis que Baldur se roulait contre moi.
"Vous voulez du chocolat chaud les filles ? Cria finalement mon père.
- Ouiii ! S'excita ma sœur.
- Ouais s'te plaît, répondis-je."
On s'extirpe du cocon douillet pour rejoindre cet homme imposant qui nous sert de père. Il embrasse le front clair de ma sœur et admire un moment mes yeux gris, héritage de ma mère. Il sert Elfi qui lorgnait les sablés, puis remplit ma tasse avant de s'asseoir pour nous regarder boire son délicieux chocolat fumant. Il se décide à prendre la parole :
"Ce portrait est bien troublant, mais il est sublime. Que pensez-vous de remplacer le miroir au dessus de la cheminée par cette peinture ?
- On va pas montrer maman à poil à tous les invités !" Répondit Elfi.
Le portrait présentait en effet, un nu. Osé. Seule la célèbre feuille de vigne couvrait son intimité. Elle regarde directement la personne qui l'observe avec cet air supérieur et satisfait que je lui connais si bien.
"Elle serait ravie d'être le centre de notre attention, répondis-je.
- Bon, d'accord... soupira-t-elle."
Ma gorge se serra alors que je lançai un regard vers le visage de ma mère. Les blessures encore fraîches se rouvrirent alors et je me rappelais de l'annonce funeste du shérif...
/Flashback/
On frappa à la porte, ce n'était pas souvent que les gens sortaient à ces horaires à une telle période de l'année. L'hiver est une saison obscure où les gens restent chez eux pour se retrouver et profiter de la chaleur d'un foyer qui les entoure. Je me levais de mon rocking-chair, arrachée de ma lecture et allais ouvrir. Découvrant un policier, je fronçais les sourcils. Ceux-là ne venaient que très peu souvent chez les descendants de la famille fondatrice.
Je m'effaçais pour le laisser entrer, ç'aurait été malpoli, mais surtout cruel de laisser quelqu'un dehors sous un froid pareil. Il s'essuya les pieds et admira ce qui nous entourait, la tête d'ours clouée au mur en face de l'entrée, la cheminée étincelante, les nombreux tableaux.
"Vous voulez une boisson chaude ?
- Non, hum, je viens pour vous annoncer une nouvelle... Où est votre père ?"
Je suis vite allée le chercher dans son atelier. Il fronça les sourcils à la nouvelle de la venue de cet homme et me suivit dans le salon. Ils ont une discussion houleuse à laquelle je soustrayais ma petite sœur en lui faisant préparer un thé chaï. Lorsque le policier repartit, mon paternel, les larmes aux yeux, frappa un mur ce qui fit trembler toute la pièce.
"Elle... Fit-il, brisé.
- Comment ? Demandais-je.
- Tuée."
Il n'eut pas la force de dire quoi que ce soit de plus. Il s'écroula. Je serrais la main d'Elfi très fort pour ne pas pleurer. Puis je relâchais la pression, elle aussi avait compris, elle éclata en sanglots et alla se réfugier dans les jambes de son père. Je ne pleurerai pas.
/Fin du FB/
Ma mère était une muse. Elle était source d'inspiration pour les artistes. Les mauvaises langues la qualifiaient de prostituée. Ils ne savaient pas à quel point ils avaient tort. Ces jaloux -car c'est de pure jalousie dont on parle- n'ont pas des dizaines d'œuvres de maître ! Mon père était tout à fait d'accord avec ses relations tant qu'elle revenait toujours à la maison. Ils se sont toujours aimés comme au premier jour.
Son dernier artiste en date était un peintre qui fut bien décontenancé lorsque la police vint lui annoncer qu'il était un suspect dans une affaire de meurtre.
En effet, elle a été assassinée. Pardon, je rectifie : lapidée et abandonnée dans une congère. Les enquêteurs pensent à un meurtre passionnel. Alors imaginez leur tête lorsque mon père leur a tendu son carnet de conquêtes !
Revenons à ce peintre, il a pris maman pour modèle et a dédicacé "à Freya" son œuvre puisque c'était le nom d'une déesse de la beauté, de l'amour et de l'érotisme. C'est plutôt flatteur, mais aller jusqu'à s'exposer nue sur un tableau grandeur nature c'était quand même audacieux. Il nous l'a offert lorsqu'il apprit la nouvelle, ne sachant plus quoi faire de la toile, ayant perdu le goût de vivre à cause du décès de sa muse.
Mon père l'admira un long moment, pour garder en mémoire chaque trait, chaque particularité. Sa beauté était représentée jusqu'au moindre détail : les yeux gris orage dont j'ai hérité, sa tâche de naissance au flanc, soulignant la courbe de sa hanche. Des cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses épaules, sa peau de porcelaine dont elle prenait grand soin, ses mains longues et fines de pianiste, libérées de tout ornement. Elle au naturel, dans toute sa splendeur. Freya est tout ceci, elle est sublime.
Je retournais à ma chambre. Mon grand lit suspendu auquel j'avais mis les draps bleus et peint du bois flotté en argenté. Ma décoration d'habitude minérale et neutre s'était changée en avant-goût de réveillon.
Je m'y pelotonne, il fait agréablement chaud. Je m'endors.
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24 jours en enfer
Mystery / ThrillerSous forme d'un calendrier de l'avent, voici ma première histoire de Noël. J'espère que vous apprécierez cette co-écriture, n'hésitez pas à commenter et à voter ! @HeavenforHeathens