Sociabiliser

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Je courais plus vite que jamais, mais le sol glissait horriblement ! La terre gelée m'empêchait d'avancer. La peur me prenait aux tripes. Mes membres étaient frigorifiés. Mon souffle irrégulier faisait des nuages devant moi. Chaque inspiration me gelait de l'intérieur. Mon cœur battait la chamade. J'étais à bout, mais je persistais dans ma course, alarmée et paniquée. Pour lui échapper. Je sautais par-dessus un ruisseau. J'entendais ses pas bruyants dans la neige, sa respiration irrégulière tranchant avec le bruit du vent. J'entendais le bruit des branches qu'Il brisait sur son passage. Mais pire ! J'entendais un grognement sauvage sortir de ses entrailles.

Je me dirigeais vers le fond de la forêt. J'accélérais tant et si bien, mais ne vis pas le caillou au milieu de mon chemin... Mon pied s'accrocha à l'obstacle, et je tombais la tête la première. Je me relevai aussitôt, la peur me donnant une quantité énorme d'adrénaline. Son grognement bestial s'approchait sans cesse. Je repartais en avant, tentant de le distancer.

J'avais de l'eau partout, mes mains saignaient, une voix dans ma tête m'enjoignait à m'enfuir. J'accélérais encore pour tenter de mettre plus de distance entre mon poursuivant et moi. Je tentais le tout pour le tout quand j'arrivais dans la prairie. La neige était plus épaisse, je continuais à courir plus difficilement, mais avec la même détermination. Je constatais, étonnée, que je m'y enfonçais de moins en moins. Je tombais encore dans le froid manteau blanc. La chute me parut d'une délicatesse surprenante puis tout cessa. J'étais parcourue de frissons étonnants. Je vis, à quelques centimètres de mon visage, le corps de ma mère. Son visage, bien qu'écorché, éraflé, de nombreuses blessures sur le corps, on reconnaissait bien ma Søren.


Ma mère trouvait que le manque de sommeil était une aberration, elle m'aurait forcée à dormir ou bien fait consulter un docteur. Mais elle n'est pas là et c'est, entres autres, son manque qui me ronge. Je suis au moins satisfaite que l'avocat aie été retrouvé, mais il doit être en état de choc. Je salue cependant la décision du conseil : il était grand temps d'agir !

Des yeux bleus sont apparus dans mon esprit, mais je les ais vite chassés. Une douche froide m'a définitivement boostée et un coup d'œil au miroir m'a affirmé que mes signes de fatigue ne nuisent pas le moins du monde à ma beauté. Pff, même avec un sourcil en moins je pourrais être potable...



J'ai invité toute ma classe au bar, ils m'ont honoré de leur présence, ça m'a bien fait plaisir ! J'avais réservé le café cet après-midi à mon cousin pour qu'on puisse tous se voir. On s'entend très bien et on est du genre à avoir chacun nos points forts et nos faiblesses. Du coup, il nous arrive de nous retrouver à l'occasion. Aujourd'hui nous allons réviser par groupes les langues. Pour mon anglais : aucun problème ! Mais alors l'espagnol, bon courage ! Une fois satisfaits de nos efforts, après avoir tourné dans les regroupements et tout, on se boit quelques verres et on attaque le plus sérieux : les jeux !

Lorsque nos sorties sont organisées par des bons élèves on se retrouve avec de la culture générale, les plus populaires font des "action ou vérité" ou "je n'ai jamais [never have I ever]". Tandis que moi, j'alterne les loup-garous (en supprimant les villageois), les soirées déguisées et les karaokés bourrés. J'avoue, ça vole pas très haut, mais notre classe est la plus soudée, celle qui progresse le plus et celle qui a les meilleurs résultats de l'histoire du lycée de notre ville !


Ma mère, le jour d'une réunion post-conseil de classe m'a dit que c'est le pouvoir de ralliement des femmes de la famille. Soit disant notre douceur à envers des autres et l'attirance qu'ils peuvent éprouver à notre égard fait de nous des "plaques tournantes sociales". Je n'y ai jamais cru, aussi parce que certaines personnes, ma mère la première, profiteraient de ce genre de choses.

Mais c'est vrai que je me retrouvais tous les ans depuis mon plus jeune âge dans la classe la plus dynamique. Je n'ai jamais eu de problème de harcèlement (j'ai même aidé quelqu'un à en sortir). Et j'ai même réussi à faire créer au sein de l'établissement une association Humanitaire !

Vous devez vous dire que, pour une personne en deuil, je fais beaucoup de choses. Seulement, c'est une habitude : comme Søren, je muselle mes émotions dès qu'elles débarquent. Ainsi, pour ne pas me laisser envahir, je m'active plus que jamais. Chacun sa manière de lutter !


Lorsque tout le monde a fini par partir, j'ai aidé à ranger le bordel qu'on avait mit. Puis Léopoldine m'a invitée au cinéma. Oh là là ! C'est plus grave que ce que je ne pensais ! Dès qu'elle m'invite au ciné c'est pour m'annoncer un truc sérieux. Une fois, elle avait perdu une boucle d'oreille précieuse que je lui avais prêté, une autre c'était pour son coming-out. Que serait-ce aujourd'hui ?

Quand on se rejoint, vers 19 heures, elle a déjà prévu le pop-corn et les boissons. Seulement, son sourire remontant jusqu'aux oreilles m'a rassurée. On a traîné dans les couloirs en attendant le début de la séance :

"Bon, j'en ai marre d'attendre, depuis hier j'ai le suspense. Dis moi tout !! La pressais-je.

- Hum... C'est euhh, hésita-t-elle.

- Allez, insistais-je, c'est à propos des amours c'est ça ? Insistais-je.

- Non, pourquoi ? Fit-elle, étonnée.

- Oh, pour rien, je t'écoute ! Oups !

- Bah, j'ai été prise pour jouer en soliste au conservatoire de la préfecture.

- Mais c'est génial ça, Léo ! Criais-je, réellement heureuse pour mon amie.

- T'as vu ? J'aurais des possibilités pour la sélection de l'école la plus prestigieuse du continent si il (ou elle) m'appuie !

- C'est le paradis pour une violoniste comme toi !

- Oui, il y a juste un soucis : mon entraînement sera plus intense et mon temps libre réduit. S'excusa-t-elle.

- On sortira moins, je comprends. Mais tu n'as pas à t'en vouloir, c'est la chance de ta vie !"

J'ai très envie d'aller voir le film, moi, maintenant ! On s'est frayé un passage parmi les spectateurs. Finalement, trouver des places libres fut difficile et je me retrouvais à devoir demander à un jeune homme de bouger sa veste en cuir. Lorsque nos regards se sont croisés, j'ai reconnu deux éclairs bleus, mais la musique a commencé : je n'y ai pas fait plus attention.


Dans mon lit, je sombrais tendrement bercée par le souvenir d'une odeur doucereuse. Celle du gingembre, de la cannelle et d'autres épices de noël de la personne qui était à côté de moi. Il m'avait tenu la porte lorsque je suis sortie et j'en ai osé rougir ! Søren en aurait été outrée !

24 jours en enferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant