L'enterrement

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La télé annonce une tempête de neige qui approche. Mais je ne suis pas d'humeur à ça. Je porte une robe noire, des bottes noires, je mets même un voile devant mes yeux. Ma mère m'avait déjà dit qu'elle trouvait les enterrements tristes et que s'habiller élégamment pouvait essayer de compenser. Je me suis donc mise sur mon 31 mortuaire pour honorer Søren. Je retouche une dernière fois mon rouge à lèvres noir mat devant son miroir favori en me demandant si je n'en fait pas trop, armée de ma longue cape...

Dans la voiture, je vois mon père en costume et ma petite sœur en jupe et blouse. C'est bizarre tout ce noir pour moi, je suis du genre froide, mais pas austère. Ma peau paraît encore plus pâle et mes yeux, gris perle.

Je porte le parfum préféré de ma mère, une fragrance qu'aurait apparemment porté Cléopâtre : patchouli, fleur d'oranger et miel. "Cléo n'était pas si belle que ce que l'on raconte. Elle ne correspondait même pas aux critères de beauté de son époque, mais à ce que l'on raconte, elle séduisait les hommes et les femmes par son intelligence." Me susurrait-elle à l'oreille lorsqu'elle s'en aspergeait un peu.

Cette odeur me rappelait tant de souvenirs.

Quand elle me bordait dans mon lit...

Le jour où j'ai failli pleurer pour un garçon... Et qu'elle m'a dit d'aller embrasser une fille et un autre garçon sous ses yeux...

La première fois où j'ai posé à ses côtés, pour construire une statue à nos effigies...

Mes anniversaires, mes bals, mes bonnes notes, mes diplômes, mon élection de Miss...


"Ce que Dieu donne, Dieu le reprend."

C'est cette phrase tellement cliché, qu'on entend dans toutes les séries qui a fait craquer Gunner, il a fondu en larmes. Serrant un charm en forme de flocon de neige très fort dans ma main, je résiste encore. Je ne pleurerai pas !


Sa tombe est la plus belle de toutes, aucune fleur, mais un marbre blanc avec des écritures argentés devait rester sobre et noble. Quasiment toutes ses connaissances étaient présentes, de la ville, des alentours, mais aussi de d'autres pays.

J'ai jeté sur son cercueil mon charm. Il était unique, comme elle, froid aussi. Elle aimait beaucoup les fractales, c'était son côté matheuse.

La cérémonie est finie, je vois des artistes poser des toiles en hommage, même un moulage de mains !

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La cérémonie est finie, je vois des artistes poser des toiles en hommage, même un moulage de mains !

J'ai discuté avec un homme un peu étrange qui me demandait si je savais des détails sur le tueur, il avait des yeux clairs, vicieux, je l'envoyais balader poliment.


Pas de grand repas, on n'aime pas fêter la mort, pourtant elle aurait souhaité que mon père sorte en boîte de strip tease. Ok, peut-être pas, mais c'était bien son genre ! Faire la fête et s'amuser, tournée vers l'avenir, plutôt que de pleurer le passé.


On passe une bonne partie de l'après-midi chez Brigit. J'en profite pour glisser des petits cadeaux dans les chaussettes des membres de la famille pendant que mon père se saoule. Il l'a mérité, je pense. Cette gigantesque demeure est voisine de l'hôtel particulier, elle héberge en temps normal seize personnes. 

Laure avait mal vécu d'avoir une mère célibataire, elle a vite refait sa vie à New York, en tant que journaliste

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Laure avait mal vécu d'avoir une mère célibataire, elle a vite refait sa vie à New York, en tant que journaliste. Pour Derek, le cousin de mon père, il suit ses études d'Art à Paris.

Je squatte la chambre de Morgan, elle est comme son oncle, passionnée d'art. Plus dans le côté rebelle et sauvage, elle préfère les graff et la couture. Je vois les jumelles apprendre une chorégraphie en miroir pour leurs réseaux. Je m'ennuie un peu, mais en reportant mon attention sur MoMo (Morgan), je découvre sa nouvelle oeuvre : une boule de noël peinte à l'effigie de ma mère. Elle a ajouté un minuscule trait sur son œil gauche (ma mère était gauchère), comme pour le ø de son prénom !


Une fois à la maison, je couchais mon père et ma sœur. Seule, je ne savais comment m'occuper, simplement je ne voulais pas dormir. J'ai donc changé mes bottes pour des cuissardes et je sortis. Je savais qu'il y avait de nombreux bars qui font des soirées près des fêtes de noël, j'en avais croisé un qui paraissait typique, alors je suis entrée.

L'ambiance est à la musique, à l'alcool, mais assez intime. Je m'assis au bar et commandais une vodka noire. Deux vieux à gauche discutaient de la dernière tempête hivernale en buvant du vin chaud et de la bière. 

Un jeune, à peu près mon âge est venu s'asseoir à côté de moi. Un "Bonsoir" poli, mais dénué d'émotions sortit de ma bouche.

"Alors tout est dans le thème. Les vêtements : noirs, la boisson : noire et la discussion limitée, j'ai affaire à une sorcière ?

- Non, à un deuil.

- Oh, alors je tombe peut-être mal..."

Je le fusillais du regard, même en voyant qu'il n'avait pas de mauvaise intention, je n'étais pas d'humeur blagueuse. 

Il m'a tout de même commandé et payé un autre verre. Je l'ai remercié, mais je partis sans dire au revoir.


Finalement, je n'étais pas comme mon père : boire ne m'engourdissait pas suffisamment. Je rentrais donc vite chez moi, je me changeais de nouveau, mais en sport extrême cette fois. Je reprends mon arc et mes flèches, en caressant Fenrir au passage et m'en allais me battre contre mes démons invisibles à coups de pointes acérées.

Faisant le trajet en sens inverse de la dernière fois, je tirais une flèche pour chaque soucis.

Les examens, la chorégraphie des cheerleaders, maman, ses secrets, l'herbologie, la famille, le conseil, le bal. Pour chaque pensée négative, je plantais une flèche dans la cible. Mais je manquais plusieurs fois la même : mon père biologique. Il aura fallu que je la tire de plus près pour essayer de l'atteindre. Ratée ! Encore plus près, je la tirais dans la tête de cet homme si mauvais. Encore ratée !! Qu'est-ce qu'il ne va pas chez moi ?

Énervée, j'ai donc, tout simplement, arraché la cible et je repartis vider mon carquois.


Enfin épuisée, dans mon lit, je repensais au visage paisible de ma petite sœur qui me permet de sombrer dans les limbes. 

24 jours en enferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant