Chapitre 2

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Les premiers accords de la chanson suivante résonnent dans la salle et je relève immédiatement la tête. Léna me regarde déjà et sourit de toutes ses dents.

« J'y crois pas ! Ils passent de la bonne musique ! »

J'éclate de rire et la laisse me tirer par la main sur la piste de danse déjà bien remplie. Des couples ou de simples amis l'ont envahie depuis une bonne heure et tout le monde a l'air de s'amuser. Je ne connais quasiment personne à part ma meilleure amie, et ce n'est pas seulement parce que je ne sors pas énormément — pour ne pas dire jamais. Cette Eva a vraiment beaucoup d'amis, à moins que certaines personnes se soient invitées à sa soirée sans lui demander. C'est souvent le cas, on ne sait jamais vraiment qui va venir avec qui, alors il est plutôt normal que des inconnus atterrissent dans des endroits comme celui-là. Heureusement qu'elle a loué une salle au lieu de fêter ses dix-neuf ans chez elle : au moins, elle peut être sûre que sa maison sera encore intacte après ce soir.

Léna sautille dans tous les sens et je suis le rythme avec une étonnante facilité. Je n'ai pas dansé depuis tellement de temps que ça me paraît être des lustres, et il y a des années que je ne m'étais pas amusé comme ça. Le début de la soirée a été un peu laborieux, je suis resté à l'écart pendant un moment alors que Léna saluait tout le monde ou presque, puis l'ambiance a changé, la musique a évolué, et j'ai suivi. Après tout je ne connais personne ici, alors... Autant en profiter ! La personne qui gère la musique vérifie sa playlist et lance une nouvelle chanson. Un slow. J'allais prendre Léna par la taille, mais un jeune homme s'approche de nous.

« Je peux ? »

Je jette un coup d'œil à mon amie et décrypte son regard : la réponse est oui, si je suis d'accord aussi. Je hoche alors la tête, et cède la place à son nouveau partenaire. Je les regarde évoluer sur la piste doucement tandis que je pars à la recherche d'une boisson. Il fait chaud, à force de danser comme des forcenés, et je meurs de soif. Je prends la première brique de jus de fruits que j'ai sous la main, et m'en sers un grand verre. Bon sang que ça fait du bien ! J'en rajoute un peu alors que j'ai presque tout bu, et m'éloigne du « bar » pour regarder tout le monde danser. Mes yeux balayent la piste et se posent finalement sur un couple qui danse près d'un haut-parleur. Le volume est plus haut que ce qu'il devrait être, mais pas assez pour ne pas s'entendre parler si on a envie de discuter en dansant. Et je vois ce garçon avec ce qui semble être sa copine, ou peut-être une simple cavalière pour la soirée. Il a les cheveux blond foncé, mi longs, et... Je le perds de vue parce qu'on me bouscule pile à ce moment-là.

« Oh, tu pourrais faire attention ! »

C'est ça. Je suis tellement invisible que ce mec ne me voit même pas, et c'est ma faute si son épaule rencontre la mienne. Bah voyons. Quel con. Je ne prends même pas la peine de répondre et me concentre plutôt pour retrouver celui que j'observais. Je ne le retrouve plus, au milieu de tous ces corps, et ce n'est qu'en tournant la tête que je me rends compte qu'ils ont simplement changé de place. En effet, il y a plus d'espace là où ils sont maintenant, ça doit être plus agréable que de danser au milieu de tous ces corps déchaînés... Je fronce les sourcils en le voyant embrasser la fille qu'il tient contre lui depuis tout à l'heure. C'est vraiment dommage, ça. Mon froncement de sourcils s'accentue alors que leurs lèvres ne se lâchent plus et je soupire. La combinée à la scène qui se déroule sous mes yeux pourraient presque me faire croire qu'on est en train de tourner la fin d'une comédie romantique, dans laquelle les deux amants maudis se retrouvent le soir du bal de promo et se jurent de s'aimer toute la vie. Conneries. Pourtant, je n'arrive pas à détourner les yeux et je continue de les regarder s'embrasser. Je dois vraiment être maso, quelque part. Léna a l'air de m'avoir complètement oublié et je crois qu'il est l'heure pour moi de rentrer. Je ne me sens soudain plus à ma place ici. Je ne sais pas si je l'ai vraiment été.

Je contourne la piste de danse et manque de rentrer dans quelqu'un alors que j'ai presque atteint la sortie. Je m'attends à un nouvel abruti qui va râler parce que je n'ai pas fait attention – et c'est bien de ma faute, cette fois – mais je n'entends rien de tel.

« Désolé. »

Je relève les yeux pour m'excuser, et me fige un instant. La lumière est trop tamisée pour me permettre de distinguer la couleur de ses yeux, et ça aussi c'est bien dommage. En revanche, je n'arrive pas à m'en vouloir lorsque je remarque qu'ils ont cessé de s'embrasser depuis que je leur suis rentré dedans.

« Y'a pas de mal. »

Et il a une belle voix. Allez Camille, casse-toi. C'est pas la peine de commencer à fantasmer sur un inconnu que je ne reverrai probablement jamais et qui a l'air tout sauf gay. Je le regarde quelques instants avant de me détourner d'eux. Ça suffit, allez. J'enfouis mes mains dans les poches de mon pantalon de costume et rentre ma tête au maximum dans mes épaules avant de sortir rapidement. Je ne suis pas très grand, de base, alors passer inaperçu est plus facile pour moi grâce à ça – pour une fois que ça sert à quelque chose. Une fois dehors, j'inspire un grand coup. Le bilan de cette soirée n'est pas si mauvais, finalement. Et Léna s'est amusée, c'est le principal. Je sors mon téléphone de ma poche pour la prévenir que je quitte la soirée, de toute façon elle verra sûrement mon message plus tard. Et elle sait que s'il le faut, si elle en a besoin, je viendrai la chercher. En attendant, je vais rentrer.

* * *

 « A table ! »

Ça, c'est l'inconvénient de toujours vivre chez ses parents passé vingt ans. Ils ont beau savoir qu'on veut être indépendant, savoir que nous ne sommes plus leurs bébés à protéger, les parents peuvent se montrer collants. Et les miens ne font pas exception à cette règle, à mon plus grand désespoir. Bon, il est parfois rassurant de savoir qu'on peut toujours compter sur eux, mais j'aimerais bien qu'ils me laissent un peu tranquille.

« Camille ?
- J'arrive. »

Je ne suis pas sûr qu'elle m'ait entendu, alors j'ouvre la porte de ma chambre, en sors et soupire légèrement avant de glisser mon téléphone dans la poche arrière de mon jean. D'un autre côté, même si je n'ai pas vraiment faim pour l'instant, ça me permet d'échapper à la nouvelle tentative de Léna de me parler de ce mec de la soirée.

J'ai eu le malheur de lui raconter ce qu'il s'était passé – c'est-à-dire rien, en réalité – et elle n'a eu de cesse d'essayer de retrouver cet inconnu pour moi. Mais à quoi bon ? Pour commencer, nous n'avons rien d'autre pour le chercher que la description que je lui ai donnée et il est plutôt clair que je ne l'intéresserais pas, de toute façon.

« Je t'ai appelé trois fois, tu sais.

- Maman...

- Quoi ? Quand je t'appelle parce que le repas est prêt, tu pourrais faire l'effort de venir tout de suite. Ça refroidit, sinon. Et puis... D'ailleurs tu pourrais venir nous aider à le préparer, ou au moins mettre la table. T'as plus trois ans, Camille. Et t'es pas à l'hôtel, ici. »

Bien, le message est passé. Je ne réponds pas vraiment, elle sait que je l'ai entendue malgré ça et ce n'est pas la première fois que nous avons ce genre de conversation. Et encore, elle n'a pas parlé du fait que je ne fais rien pour l'instant, à part donner quelques cours de soutien à des lycéens. Et comme Christina n'est pas restée longtemps à la maison, je crois que si mes parents sont tout de même heureux de m'avoir là, ils aimeraient aussi que je « vole de mes propres ailes », comme elle.
Ma grande sœur est vraiment indépendante, il faut dire. Elle avait à peine dix-huit ans lorsqu'elle a quitté la maison, ses affaires empaquetées dans quelques sacs et une grosse valise. Elle a emménagé dans un petit appartement avec son copain, et ils ne se sont pas quittés depuis. Ils ont fait une sorte de tour du monde, et elle n'arrête pas de poster des photos d'un peu partout, toutes plus belles et touchantes les unes que les autres. Ils aiment vraiment l'humanitaire, aider les gens, c'est leur truc. Je crois même qu'ils iront jusqu'à adopter des enfants de pays en voie de développement, même s'ils ne nous en ont jamais vraiment parlé. A vrai dire, même si nous étions proches quand nous étions petits, nous nous sommes pas mal éloignés à présent. J'aimerais parfois qu'elle vienne nous voir plus souvent, ou qu'on se déplace, qu'on voyage, qu'on se voie au moins grâce à Skype ou quelque chose comme ça... Mais ce n'est pas le cas. On n'a pas toujours ce qu'on veut dans la vie, de toute façon.

Life is a rough draft. [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant