Chapitre 6

183 16 0
                                    

J'essuie mon front  et lance un regard sur le côté pour être certain qu'aucun vélo n'arrive.  Je n'ai pas envie de me faire engueuler parce que je traverse la piste  cyclable sans regarder, mais en même temps les abrutis qui ont conçu  cette partie des quais n'ont visiblement pas réfléchi : la piste  cyclable passe en plein milieu du quai, ce qui fait qu'on est obligé de  passer dessus pour continuer à marcher. Ou à courir, dans mon cas.

Je  détestais ça quand j'étais au collège et au lycée, le sport c'était  vraiment pas mon truc. A part la natation, peut-être. En tout cas, je  n'aimais ni courir, ni les sports d'équipes. Et contrairement à ce qu'on  pourrait penser, même la partie « vestiaires » de cette matière ne me  faisait pas fantasmer. D'accord, certains de mes camarades n'étaient pas  vraiment désagréables à regarder, mais... Franchement, même si j'y  pensais énormément, ce n'était pas eux qui m'intéressaient. J'avais  plutôt flashé sur le frère de l'un d'eux, Jimmy. Le plus populaire. Il  n'avait qu'un an de plus que nous, et c'est en première que j'ai  finalement pris mon courage à deux mains, et que je l'ai embrassé.  Enfin, j'ai aussi pris beaucoup de verres entre mes mains, ce soir-là,  et je suppose qu'une version de moi non alcoolisée n'aurait jamais osé  faire ce que j'ai fait alors.

Je  me souviens encore de comment ça s'est passé. Certaines parties de la  journée restent un peu floues dans mon esprit, mais je me rappelle du  plus important. De la façon dont, après avoir gagné le match de  handball, l'équipe du lycée s'est réunie dans le gymnase. Il avait été  aménagé de façon à ce qu'on puisse vraiment fêter ça, et même si  l'alcool était censé être interdit... Pouvait-on vraiment reprocher à  des adolescents de ne pas obéir à ce genre de règle ? Non, évidemment.

Michael,  le meilleur ami de Jim – parce que c'est ainsi qu'on le surnommait, et  qu'on le surnomme sans doute encore maintenant – avait apporté de  l'alcool pour « mettre un peu d'ambiance ». Finalement, je ne sais  toujours pas si je dois le remercier ou le maudire pour ça. Le fait est  qu'après plusieurs verres, j'ai remarqué que Jim s'éclipsait, et je l'ai  suivi. Pourquoi ? Aucune idée. Il aurait très bien pu aller retrouver  une fille, ou bien aller se soulager après tout ce qu'il avait bu  aussi... Tout ce que je sais, c'est qu'il est parti en direction du  terrain d'athlétisme et que je l'ai suivi. Il a sûrement senti ma  présence parce qu'il a fini par ralentir pour que j'arrive à sa hauteur,  et je me souviens que nous sommes restés comme ça, au milieu du  terrain, sans parler, pendant un moment. Et puis il s'est allongé, sans  prévenir, juste comme ça. Et on a regardé les étoiles, longtemps. Si  longtemps que j'étais complètement gelé, et c'est sûrement la fraîcheur  de cette nuit-là qui m'a dégrisé, et qui m'a permis de ne pas tout  oublier. De ne pas oublier mon « tu me plais » chuchoté au beau milieu  de la nuit, de la buée sortant de mes lèvres comme le froid s'était bien  installé autour de nous. De ne pas oublier sa tête qui s'est tournée  vers moi, ses yeux qui me regardaient, son regard qui est tombé sur mes  lèvres, et mon visage qui s'est approché du sien. Du contact timide et  maladroit de notre premier baiser. De l'assurance qui s'est emparée de  nous ensuite, et des baisers suivants. On s'est embrassés longtemps, ce  soir-là. C'était le début de quelque chose, ça aurait dû être le début  d'une belle histoire. C'est comme ça qu'elle a commencé.

Je  ralentis ma course, le cœur battant. Me remémorer ces moments me fait  tant de bien que c'en est douloureux. Ça l'est depuis deux ans. J'ai la  sensation de n'avoir jamais cessé de l'aimer, quand ces souvenirs me  reviennent en tête, sans que je puisse vraiment les contrôler. Et puis  je me souviens de la suite de l'histoire, et je sais que ça n'aurait  jamais pu bien se terminer. La vie n'est pas un conte de fées.

« Seulement  jusqu'à la fin de l'année », qu'il avait dit. Jim ne voulait pas que  quiconque soit au courant de notre relation et le pire, c'est que je le  comprenais. Moi aussi j'avais peur : peur de ce que les gens diraient,  peur qu'ils se moquent de moi, peur qu'ils nous jugent, peur qu'ils s'en  prennent à lui, à moi, peur de tout et de tout le monde. Les  adolescents ne manquent pas d'imagination quand il s'agit de martyriser  quelqu'un, on le sait bien. Alors j'ai accepté quand Jim m'a demandé de  garder le secret – notre secret – jusqu'à la fin de l'année. Là  alors, il ne se cacherait plus, il assumerait, et on pourrait vivre  pleinement notre amour. Du moins, c'est ce que je croyais. Mais la fin  de l'année est arrivée, et alors que j'attendais impatiemment qu'il me  demande de l'accompagner officiellement au bal des terminales, il a  invité Sandra, la fille la plus populaire du lycée. Bien sûr, ça n'a  choqué personne d'autre que moi : les deux plus populaires ne pouvaient  qu'aller au bal ensemble, cela semblait évident. Pour tous, sauf moi.

Life is a rough draft. [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant