L'esprit du lion

Chapitre 7 : Le réveil de la bête

Esprits-animaux. Le terme, à moins que ce ne soit la façon dont Koffi le dit, fit frissonner Roxane. Elle se redressa un peu, son intérêt piqué.
« -L'esprit-animal, c'est quand tu t'inspires d'un animal, de ses attributs physiques et du rôle qu'on lui donne, dans ta façon de penser, d'agir et de vivre. On choisit de posséder un esprit-animal, ce n'est pas lui qui nous choisit. On apprend des choses sur l'animal de notre choix, on s'en inspire, on le cherche en méditant... et à la fin, parfois, l'esprit-animal te rejoint et vous vous apprivoisez mutuellement.
-Et qu'est-ce qui te fait penser que je pourrai... attraper un esprit-animal ?
-Dès que je t'ai vu, j'ai su. Que tu en serais un.
-Mais toi, tu... »
Koffi secoua la tête.
« -Non.
-Alors comment tu...
-Aucune importance. Ce que je veux dire, Roxane, c'est que c'est trop tard. »
Une sueur glacée roula le long de sa colonne vertébrale.
« -Comment ça ?
-Tu sais ce qu'est un esprit-animal et ce qu'ils apportent à leurs partenaires. Tu te dis peut-être que tu n'en veux pas, mais tu changeras d'avis, crois-moi. »

Roxane serra les mâchoires. Son ton de M-je-sais-tout commençait à l'agacer.
« -Qu'est ce que tu en sais ? Tu ne me connais pas !
-Je te connais pourtant mieux que tes proches. »
Il la fixa à nouveau de ce regard perçant.
« -Je sais que tu es harcelée, que tu n'en parles à personne alors que ça te bouffe de l'intérieur... et je suis aussi la seule personne à te proposer une solution concrète. »
Roxane ricana.
« -Parce que l'âme d'une bestiole me possédant, tu appelles ça du concret, toi ? »
Koffi prit un air grave.
« -Tu as une autre idée pour faire face à tes harceleurs ?
-Je... »
Roxane voulait répliquer, mais rien ne lui venait. Elle déglutit avec difficulté.
« -Roxane. »
Il avait adopté un air rassurant et son regard était ferme.
« -Si tu refuses l'esprit-animal de manière définitive, alors je te défendrai. De même qu'Anna, Marius, Alexandre... tout le monde t'aidera. »

Sa déclaration surprit la jeune fille. Sans le vouloir, son esprit dériva et elle se mit à rêver : un quotidien sans harcèlement... un quotidien où le lycée ne serait pas une boîte à cauchemars, où elle aurait des amis, où elle ne cacherait rien à ses parents et surtout pas ses problèmes...

Sans qu'elle s'en rende compte, Koffi s'était levé. Il approcha son visage du sien, si près qu'ils pouvaient presque se toucher. Alors, il lui chuchota à l'oreille :
« - Mais que feras-tu de ta haine ? »

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Roxane tapotait sa table avec son stylo. Elle avait presque fini ses exercices de maths. C'était si simple pour elle ! Quel dommage qu'elle n'ose pas participer en classe... Elle se prit à repenser à sa conversation avec Koffi. Agacée, elle jeta son crayon sur son bureau.
« -Esprit-animal, et puis quoi encore ! »
Elle ne croyait pas à la magie et à toutes ces sornettes. Pourtant... Roxane posa la main sur sa poitrine, le coeur battant. Il avait vraiment réussi à la cerner. Ce feu, cette brûlure qu'elle ressentait constamment depuis qu'ils l'avaient frappée, après le cours de krav-maga... c'était bel et bien de la haine. Une haine renforcée par de la colère, de la tristesse et par cette peur qui ne la quittait jamais. Elle murmura à elle-même :
« -S'apprivoiser mutuellement, hein... »
Puis elle secoua la tête et reprit son stylo ; elle n'avait pas tout à fait fini ses devoirs.

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« -Qu'est-ce que je fais ici... »
Roxane avait l'impression d'avoir déjà vécu cette scène : droite comme un piquet devant le Pagan Club, elle n'osait rentrer. La seule différence était que, cette fois, elle avait amené ses affaires et celles d'Anna. « J'espère qu'elle ne m'en voudra pas de ne pas les lui avoir rendues plus tôt... »

L'adolescente ne savait pas trop ce qui l'avait poussé à revenir au club : les dires de Koffi à propos des autres membres du club, ses propres interrogations quant aux esprits-animaux... Elle entra dans le bâtiment, se dirigea vers la salle d'entraînement et poussa la porte. À l'intérieur, les élèves et le professeur bavardaient joyeusement. Quand ils la virent, les discussions cessèrent immédiatement.
« -Bon, bonjour. »
Personne ne lui répondit. La panique s'empara de Roxane : elle n'aurait jamais dû revenir, elle n'était plus la bienvenue... Les bras d'Anna se refermèrent autour d'elle. Stupéfaite, la rouquine laissa tomber son sac. La jeune fille resserra son étreinte. Roxane, les bras ballants, essayait de croiser son regard, ne sachant pas quelle attitude adopter. Que se passait-il ? Anna finit par reculer.
« -Tu es revenue ! On ne pensait pas te revoir un jour ! »
L'intéressée battit des cils, avant de répondre :
« -Je t'ai ramené tes vêtements. »
En entendant cela, Anna sourit, avant de s'exclamer d'une voix faussement outrée :
« -Enfin ! Je me demandais si tu avais fini par les garder pour toi ! »
Roxane voulut dire quelque chose mais n'en eut pas le temps ; Alexandre et Marius courraient vers elle en criant :
« -Roxaaaaaaane ! »
Ils furent néanmoins coupés en plein élan par Jérôme qui les attrapa par le col.
« -Calmez vous un peu, vous deux ! »
Sa voix sévère fit grimacer les garçons. Tandis qu'ils faisaient profil bas, Jérôme sourit à Roxane.
« -Content de te revoir, petite. File te changer, on t'attend !
À ces mots, Roxane ramassa son sac et se dépêcha d'aller vers les vestiaires.

Quand elle en sortit, les autres s'échauffaient. Elle tira sur son pull à manches longues et les rejoignit. Pour débuter la séance, Jérôme leur fit faire des pompes, des abdos, plusieurs tours de pistes... tout cela durant une bonne demie-heure. Là, ils enfilèrent leurs protections et leur professeur leur montra un enchaînement : coup de pied à l'arrière du genou, accompagner l'adversaire dans sa chute avant de lui faire une clé de bras.
« -Allez, formez des groupes de deux ! Anna, avec moi ! » Roxane, indécise, se tourna vers Koffi, qui lui fit un petit signe de tête affirmatif.

« -N'hésite pas à mettre plus de force, tu ne me feras pas mal. »
Depuis dix minutes, Roxane s'acharnait contre la jambe de Koffi, sans résultat. Elle avait beau faire de son mieux, rien. Le jeune homme lui adressa un regard sévère.
« -Tu crois que c'est comme ça que tu vas réussir à te défendre ? »
L'adolescente s'arrêta. Le feu dans sa poitrine n'avait cessé de grandir à chaque tentative ratée ; la dernière phrase fut la goutte de trop.

Quelque chose explosa en elle, une langue de feu entoura son coeur et en prit possession.
Dans son esprit, une masse sombre court, court, court, elle se rapproche d'elle, court, court, court, lui saute dessus et entre en elle.
La jambe de Roxane frappa le genou de Koffi avec force. Surpris, il tomba sans tenter de se rattraper. Sans trêve, Roxane poursuivit l'enchaînement à une vitesse incroyable. Elle s'assit sur lui et croisa le bras du jeune homme dans son dos. Autour d'eux, les combats avaient cessés, captivés. Il grimaça en sentant son bras se tordre.
« -Moins fort, Roxane ! »
Pas de réponse.
« -Roxanne ? »
La jeune fille se pencha lentement au-dessus du visage de Koffi, ses cheveux masquant la scène aux autres. Celui-ci, en voyant ses yeux, retint son souffle : dorés et froids, vides, ils n'avaient plus rien d'humain. Elle retroussa les lèvres, ouvrit lentement la bouche...
« -Wouah, Roxane ! »
Elle s'immobilisa et, instinctivement, Koffi fit de même. Roxane cligna des yeux puis se redressa, portant un regard égaré sur son interlocuteur. Marius, à côté d'Alexandre, lança, les poings sur les hanches :
« -On dirait pas comme ça, mais tu es super forte en fait !
-Ah, euh... »
Une voix s'éleva du sol.
« -Je peux me relever, maintenant ? »
Tout à coup, Roxane se rappela la présence de Koffi, étalé sur le tatami. Rougissant violemment, elle s'écria :
« -Ah, euh, oui, bien sûr, désolée ! »
Ils se mirent debout ; le jeune homme chercha son regard, mais la rouquine fit en sorte de ne pas croiser le sien. Le cours continua, avec d'autres enchaînements et d'autres partenaires, mais Roxane ne refit pas démonstration de sa force.

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« -Tu n'es pas obligé de me raccompagner, tu sais...
-J'insiste. »
Koffi et Roxane marchaient silencieusement, côte à côte. Après le cours, il l'avait suivi, sous prétexte de la ramener chez elle. Mais Roxane se doutait bien de la raison pour laquelle il avait tant insisté.
« -Bel enchaînement, tout à l'heure. »
Bingo.
Il renchérit :
« -Tu n'as pas besoin de me dire quoi que ce soit. Je sais ce qui s'est passé.
-Eh bien moi, je ne sais pas ! »
Elle se retourna subitement et affronta son regard pour la première depuis la fin du cours ; Koffi nota avec une pointe de soulagement que ses yeux étaient redevenus comme avant. Roxane reprit, paniquée :
« -Que dois-je faire ? Comment maîtriser ce, ce truc ! »
Sa voix monta dans les aigus.
« -Roxane... »
Le ton calme du jeune homme l'apaisa un peu. Il soupira, puis dit :
« -Je pense que tu te poses les mauvaises questions. La seule qui mérite vraiment que tu réfléchisses dessus est : que veux-tu être ? »