Prologue

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Le lion.

L'herbe sèche crisse de façon presque imperceptible sous le poids de la bête. Le regard fixe, il avance. Chacun de ses pas est d'une grâce infinie : ses mouvements ont quelque chose d'hypnotique. Qu'il lève une patte, et c'est toute la savane qui frémit. Qu'il secoue sa longue crinière, comme des langues de feu vacillant violemment dans la nuit, et ce sont les vastes plaines toutes entières qui s'enflamment.

Soudain, il s'arrête. Ses yeux se fixent au loin sur une forme indistincte. Désormais, quoi qu'il se passe, cette forme est sa proie, sa cible. Ses pattes se plient , son corps s'abaisse, il se ramasse sur lui-même. Il fait corps avec son environnement : son pelage roux poussière uni, le vert-brun de l'herbe sèche, les formes de son corps épousent les hautes tiges. Ça y est, il a disparu du paysage. Seule une queue insolente fouette l'air et révèle la présence du prédateur. Ses pattes antérieures glissent sur la terre craquelée. Son corps se met en mouvement : il s'approche, petit à petit... La proie relève la tête ; quelque chose, un bruit infime, un rien a dû l'alerter. Mais c'est trop tard : il est la proie, et rien au monde ne pourrait changer cela.

Alors il bondit. La masse de muscles tétanisée reprend vie, elle s'élance. C'est un boulet de canon qui piétine l'herbe brûlée par le soleil, qui court, court, court. Chaque pas fait résonner son poids dans le sol, fait trembler la terre et ses habitants. Le vent siffle à travers sa fourrure mordorée, l'ébouriffe...

Le rend vivant.

La cible a compris le danger, elle court à son tour. Fuir ne sert à rien, elle le sait : mais que peut-on faire face à son instinct ?

Ils sont si proches à présent : le fauve talonne l'animal, son souffle la fait frissonner et lui donne la force d'accélérer. Encore quelques mètres et il sera sur elle... Les yeux de la bête s'éclairent d'un éclat sauvage et lumineux qui n'éclaire que ceux qui ont déjà pris le rôle du chasseur. Là, c'est le moment ! Le moment où tout va basculer, pour l'un comme pour l'autre. Il se ramasse sur lui-même, contractent ses muscles, ouvre la gueule qui déjà salive... la cible ne réfléchit plus, son cœur bat si vite que l'on n'entend qu'une seule et unique pulsation, comme un dernier roulement de tambour. Enfin, il est prêt ! Il lance ses pattes avant, toutes griffes dehors, les prunelles fauves folles d'excitation...

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Un bruit sourd retentit dans la ruelle quand le corps à moitié évanoui de la jeune fille vint s'écraser avec violence contre les poubelles. Elles se renversèrent avec fracas. Des tessons de bouteilles de bière, de vieux morceaux de plastique et autres détritus s'étalèrent sur le béton.

Le silence retomba. La nuit avait avalé le bruit des débris et les gémissements atones de la fille. Mais des bruits de pas succédèrent bientôt au vacarme. Quatre ombres, massives, écrasantes, s'étendirent dans la lumière orangée des lampadaires. Elles s'approchèrent.

Le premier coup s'abattit contre le visage de la victime avec un craquement sonore. Le détail des coups suivants se noya dans la nuit.

Coups de pied et de poings se succédaient sans relâche, sans merci sur la mince silhouette plaquée contre le mur. Les ombres avaient décidé de n'offrir aucun répit. Recroquevillée au sol, la fille ne comptait plus. Elle n'osait plus pleurer, de peur d'exciter la haine de ses agresseurs. Attendre était sa seule solution.

Enfin, ils s'arrêtèrent. Un crachat atterrit au pied de la silhouette ensanglantée avant que les ombres ne fassent demi-tour. Ils tournèrent les talons, inondant une dernière fois la ruelle de leurs éclats de rire.

Une fois qu'elle fut sûre qu'ils étaient bien partis, la jeune fille se redressa avec précaution. Elle s'assit tant bien que mal et amena une main tremblante jusqu'à son visage. Elle toucha prudemment son nez, mais retira sa main aussitôt : elle saignait abondamment. Elle se mordit la lèvre pour retenir un cri. Tout son corps la faisait souffrir. Pourtant, c'était bien son cœur qui lui faisait le plus mal. Elle laissa retomber sa tête contre le mur et soupira.

« Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? »

L'esprit du lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant