Chapitre 6 : Découverte

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Roxane trottinait derrière Koffi. Chacune de ses enjambées faisait au moins deux des siennes, la jeune fille commençait à haleter. Cela faisait quinze minutes qu'ils marchaient ainsi ; pour un peu, Roxane aurait eu l'impression qu'il essayait de la perdre dans le dédale des rues, sauf que le jeune homme tournait régulièrement la tête pour vérifier si elle suivait.

Arrivés devant une bouche de métro, Koffi lui tendit un ticket, avant de s'engouffrer dans l'escalier. Roxane s'empressa de le suivre pour ne pas être séparé de lui par la foule. Elle s'assit sur un strapontin à côté de lui. Le wagon s'ébranla, puis démarra dans un bruit d'enfer. L'intégralité de leur trajet se déroula dans le silence, mais cela ne semblait déranger ni l'un ni l'autre. Roxane observa les différentes stations à venir.
« -On arrive dans quatre stations. »
La voix du jeune homme la fit sursauter mais elle hocha la tête. Elle voulut lui répondre mais le grincement assourdissant de la voie l'en empêcha. Elle grimaça : sans le moindre doute, c'était la ligne treize qui avait donné au chiffre treize sa réputation de porte-malheur !

Ils étaient à présent dans Saint-Denis. Retraçant rapidement la carte du métro de Paris dans sa tête, Roxane s'aperçut que le Pagan Club n'était qu'à quelques stations d'ici. Ses pensées s'égarèrent du côté d'Anna, Marius et Alexandre. D'après Koffi, ils s'inquiétaient pour elle : à quand remontait la dernière fois que quelqu'un s'était fait du souci à son égard ? Uniquement des souvenirs de brimades et d'insultes lui revinrent en mémoire. Soudain, elle buta dans le dos de Koffi, qui s'était arrêté. Un immeuble, triste et gris, les écrasait par sa taille. Koffi tapa le code d'entrée ; la porte s'ouvrit avec un chuintement d'air. Il la poussa et s'effaça pour la laisser passer. Roxane entra sans un mot.

La rouquine grimpait les marches quatre à quatre pour ne pas se laisser distancer par Koffi qui volait littéralement au-dessus de l'escalier. Au bout de six étages, il tourna dans un couloir adjacent. Roxane le suivait, le souffle court. « Comment il fait pour être frais comme ça ?! » se demanda-t-elle en réprimant un point de côté. Pendant qu'elle reprenait sa respiration, il sortit un trousseau de clés et tourna l'une d'elles dans la serrure d'une porte. Ces portes étaient toutes semblables, ordinaires, un peu déprimantes. Mais cette porte-ci s'ouvrit sur un monde qui était loin d'être ordinaire.

La décoration intérieure resplendissait, un vrai feu de cheminée. L'orange, le jaune et le marron dominaient : on en retrouvait sur le canapé, qui trônait dans le salon, sur les rideaux à franges, le tapis pelucheux... Des masques fétiches, un peu abimés par le temps, étaient accrochés aux murs.
« -C'est chez toi ? »
Roxane se mordit la langue. Evidemment que c'était chez lui, ce n'était pas chez le voisin ! Il répondit tranquillement :
« -Oui. »
Le silence s'installa, un peu lourd. Ils se tenaient, immobiles et droit comme des i, sans parler. Mal à l'aise, Roxane se balançait d'un pied sur l'autre.
« -Tu disais que tu avais quelque chose à me montrer ?
-En effet. Suis moi. »

La chambre de Koffi était divisée : il y avait un lit double et ce lit faisait de la chambre une zone bien séparée en deux parties, notamment au niveau de la décoration. La première partie était sobre et propre, à l'image de son propriétaire, avec un lit bien fait et des affaires rangées et pliées. La deuxième, en revanche... La seconde partie du lit, la supérieure donc, brillait au sens propre du terme : quelqu'un semblait avoir renversé un pot de paillettes sur le mur. Des dessins aux couleurs bariolées pendouillaient au-dessus de l'oreiller. Et au centre de la chambre, assise par terre entre le bureau et le lit de Koffi, jouait une petite fille. Agée d'environ six ans, aux cheveux crépus coiffés en deux grosses couettes, elle mimait les paroles de ses poupées. Quand elle se rendit compte de la présence de son frère, elle lâcha immédiatement ses jouets pour lui sauter au cou :
« -Koffi !! »
Il la serra dans ses bras et pour la première fois, Roxane le vit sourire. Il finit par la reposer au sol. Les grands yeux noirs de la fillette se posèrent sur Roxane.
« -C'est qui ? C'est ton amie ? »
Roxane lui sourit timidement et lui adressa un petit coucou de la main.
« -Mia, je te présente Rox... »
Il n'avait pas fini sa phrase que déjà l'enfant s'accrochait à la jambe de l'adolescente.
« -J'adore tes cheveux ! On dirait du feu !
-M, merci...
-Mia, tu peux aller jouer dans le salon s'il te plaît ? »
Celle-ci courut vers ses poupées, les cala sous ses bras et sortit dans un rire. Roxane continuait de sourire, les yeux collés sur la porte.
« -Ta petite soeur est vraiment adorable, lança-t-elle.
-Elle fait cet effet à tout le monde, mais dès qu'il n'y a plus d'invités à la maison, c'est un démon ! » répondit Koffi d'une voix étouffé.
Il avait en effet la tête plongée sous le bureau, de toute évidence à la recherche de quelque chose. Il en ressortit assez vite, l'air satisfait et une boîte à chaussures à la main.

Il s'assit sur son lit et, sans la regarder, tapota la place à côté de lui, l'invitant ainsi à s'asseoir, ce qu'elle fit. Elle tenta de réprimer sa gêne : elle n'avait pas l'habitude d'aller dans les maisons des autres... Pendant ce temps, totalement inconscient du malaise de son invitée, Koffi fouillait dans la vieille boîte ; il en sortit tout à coup une photo sur papier glacé. Il la plaça à bout de bras, face à lui mais de façon à ce que Roxane puisse tout de même la voir. Intriguée, elle se pencha pour mieux l'observer.

La photo, assez ancienne, était en noir et blanc et représentait un homme, un guerrier africain en tenue traditionnelle pour être exact. Il tenait une lance à peine plus petite que lui et avait la tête recouverte d'une peau de zèbre.
« -Lui, c'était le père de mon grand-père. Il chassait et protégeait son village avec d'autres guerriers et chasseurs, au pays.
-Tu veux dire, en Afrique ? »
Il hocha la tête.
« -Au Cameroun. »
Roxane prit délicatement le cliché entre ses mains et le regarda de plus près : l'homme avait l'air sérieux, grave mais dans méchanceté.
« -Je le trouve très impressionnant. » dit-elle sans réfléchir.
Koffi eut l'air étonné, mais ne dit rien. Il récupéra la photo et la rangea dans son enveloppe plastique avec des gestes précis et minutieux.

Après avoir rangé la boîte, il s'assit à califourchon sur sa chaise de bureau et commença :
« -Avant toute chose, je voudrais te poser quelques questions par rapport à ce qu'il s'est passé tout à l'heure, à ton collège. »
Roxane déglutit avec difficulté. Malgré elle, les battements de son coeur s'accélérèrent.
« -Ne fais pas cette tête, je ne vais pas te manger ! »
Roxane releva la tête, surprise par cette répartie. Le menton posé sur ses mains, il semblait réfléchir.
« -Ce n'était pas la première fois, n'est-ce pas ? »
La jeune fille fit non de la tête.
« -Ça dure depuis combien de temps ?
-Ça a commencé un peu après le début de l'année. »
Sa voix était rauque.
« -Pourquoi ? »
Cette question en apparence si simple déclencha chez elle un rire désabusé.
« -Parce qu'ils avaient besoin d'un punching-ball et que par malheur c'est tombé sur moi ? »
Elle secoua la tête, amère.
« -J'ai jamais eu beaucoup de chance dans la vie de toute façon... »
Même à elle, elle se faisait pitié.
« -Mmm. »
Le silence retomba, comme si Koffi méditait ses paroles. Il reprit :
« -J'ai tendance à croire que rien n'arrive par hasard, les bonnes choses comme les mauvaises. Chacune d'entre elles t'offre une opportunité que tu peux saisir... ou pas. »
Roxane leva la sourcil, interloquée. Aucun des traits du visage du jeune homme n'avait bougé mais ses yeux brillaient d'un éclat nouveau.

« -Tu as déjà entendu parler des esprits-animaux ? »

L'esprit du lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant