Elle monta pas à pas l'escalier jusqu'à chambre. Chaque marche lui semblait un supplice. Elle poussa la porte de son épaule et entra dans la pièce. Elle laissa glisser son sac en bandoulière le long de son bras, et le poussa négligemment du pied dans un coin. Les yeux dans le vague, elle enleva ses chaussures d'un geste mécanique.
Le vert pomme des murs de la salle de bain reflétait crûment la lumière blanche des trois ampoules au-dessus du miroir. Elle en avait presque mal aux yeux. Légèrement chancelante, elle resta immobile quelques instants au centre de la pièce. Elle fera les yeux, inspira profondément, et finit par s'approcher du lavabo. Elle s'y appuya à deux mains et posa lentement sa tête contre le miroir. Elle resta ainsi une minute ou deux, avant de se redresser. À contrecœur, elle rencontra son regard dans le reflet.
Deux grands yeux noisette, presque dorés, dissimulés par de longues mèches rousses, lui mangeaient la moitié du visage. Elle coinça ses cheveux rebelles derrière son oreille gauche, dévoilant par la même occasion un nez d'ordinaire long au bout rond et légèrement aplati. Le sang avait eu le temps de coaguler sur le chemin du retour et avait pris une couleur sombre, mélange de carmin et de noir. En plissant les yeux, on pouvait voir que l'arrête du nez était légèrement cabossée. Cela se voyait peu, tant l'attention était concentrée sur la flot de sang séché qui avait coulé sur sa lèvre supérieure, taché le bord de ses joues, goutté sur son menton. Une douleur lancinante lui transperçait le nez, mais la jeune fille avait d'autres inquiétudes. Comment allait-elle cacher ça à ses parents ?
À cette pensée, sa bouche se tordit en une grimace, tentant de réprimer un sanglot. Comme pour se donner du courage, elle entoura son ventre de ses bras maigres et inspira doucement, une fois, deux fois. Elle caressa du bout des doigts sa peau pâle: les marques des coups commençaient à apparaître, se superposant à celles d'avant. Seuls quelques bleus, tournant en un violet cerné de jaune, restaient depuis leur dernière attaque. Bientôt, il y aurait d'autres marques, suivies d'autres coups, suivis d'autres marques...
Cette fois, la jeune fille ne put se retenir de pleurer. Une larme, puis deux, puis un cri qui lui venaient du fond de la poitrine. Il remonta dans sa gorge et s'échappa, à peine audible d'abord, puis perçant. Ses cris s'entrecoupaient de sanglots désespérés. Une part d'elle s'affolait qu'on puisse l'entendre, mais elle était trop à vif pour s'en soucier plus que cela.
Plus les larmes coulaient et moins elle pouvait s'arrêter. Ses épaules tremblaient, ses bras maigres se serraient de plus en plus fort autour de sa taille. Au bout d'un moment, épuisée, elle laissa ses bras retomber. Elle n'avait plus l'énergie de pleurer. Elle se rendait bien compte que personne ne viendrait à son aide. Elle n'était même plus certaine que cela la soulageait. Lasse, elle retira son pull trop grand, son legging gris et poussa la porte de la douche ; elle tourna l'eau sur la température la plus élevée et s'adossa au mur, laissant la chaleur la recouvrir. Elle glissa lentement au sol et mit la tête entre ses genoux. Ici, elle était seule, définitivement seule : rien ne pouvait l'atteindre.
Des fragments de l'agression lui revenaient en éclairs noirs et blancs. Elle les voyait comme de loin, comme si elle était témoin plutôt que victime. Si seulement c'était un évènement isolé, pensa-t-elle. Mais ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait ; ni la dernière, elle en était sûre. Elle secoua la tête, projetant ainsi des gouttelettes d'eau qui s'écrasèrent contre la vitre de la douche. Elle ne voulait pas y penser, pas ici, pas maintenant.
Une fois le sang nettoyé, elle se força à sortir de la douche et à se changer.
Elle se jeta sur son lit, s'y laissa reposer quelques instants avant de s'asseoir en tailleurs et de s'adosser à une pile d'oreillers. Son pyjama vert menthe était trop grand pour elle, comme la majorité de ses vêtements. Elle attrapa une peluche orange et la serra contre son cœur. Cette drôle de poupée, plus petite que son avant-bras, avait une tête de lion : le tissu du visage était jaune, de même pour les oreilles bien que l'intérieur soit vert, sa crinière orange pétant et son corps était un vague bout de tissu rattaché à la tête. Il avait un petit sourire et de grands yeux cousus de fil noir. La jeune fille l'avait depuis toute petite. Au début ce n'était qu'un chiffon qui lui était indispensable pour dormir ; à présent, il était son seul ami.

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L'esprit du lion
AcciónRoxanne, brimée au collège, ne supporte plus son quotidien. Jusqu'au jour où elle va trouver une échappatoire dans le sport ; et si elle découvrait qu'elle était plus que son simple statut de victime ? Et si au lieu d'être une proie, elle était le p...