Chapitre 14 : Secret éventé

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« Tu n'as pas trop faim, ma chérie ?
-Pas trop... mais ça va, ne t'inquiète pas. »
Roxane sourit pour rassurer sa mère. Un sourire forcé. Elle sortit de table sans se départir de sa joie factice. Aujourd'hui était un jour particulier : les professeurs allaient leur annoncer que trois élèves manquaient à l'appel. Ces élèves avaient été retrouvés hier, tard dans la soirée, au fond d'une ruelle, au milieu des déchets et des tessons de bouteilles. Aussitôt trouvés, ils avaient été amenés à l'hôpital : si deux d'entre eux s'en étaient sortis avec des blessures superficielles, le troisième était dans un état critique. Ils avaient dû arriver assez tard, l'hôpital était loin de l'école. Entre les soins, la prise en charge du grand blessé et prévenir les parents, ils n'avaient pas vraiment eu le temps de parler. Personne ne savait ce qui leur était vraiment arrivé : ils n'avaient rien dit, pas un mot. Cela, Roxane en était sûre, car si quelque information que ce soit avait filtré, sa soirée aurait été beaucoup moins tranquille. « Enfin, tranquille, ça dépend du point de vue... ». La jeune fille était restée cloitrée dans sa chambre, à trembler sous sa couverture, sa peluche de lion serrée contre son coeur. Elle n'était sortie du lit que lorsque ses parents étaient rentrés. En entendant le claquement sec de la porte qui s'ouvrait, elle s'était d'abord immobilisée, comme prise en faute. Puis elle s'était relevée d'un bond, rejetant ses couvertures. Après avoir réajusté ses vêtements à la hâte et essuyé les dernières larmes qui roulaient sur ses joues, Roxane avait dévalé les escaliers et avait dès lors agis comme si de rien n'était. Elle avait tenu bon jusqu'au petit-déjeuner, où son courage l'avait abandonné. Cela n'avait duré qu'un court instant, mais bien sûr sa mère avait choisi ce moment précis pour la regarder ! Roxane repoussa la colère qui montait en elle : elle ne voulait pas nourrir un quelconque sentiment négatif envers ses parents. L'appartement familial était le seul lieu où elle s'était toujours sentie à l'aise, le seul lieu où elle pouvait passer du temps avec ses parents. C'est pourquoi c'est le coeur un peu plus léger que Roxane déposa un baiser léger sur la joue de sa mère et serra son père dans ses bras. Elle jeta un dernier regard par-dessus son épaule avant de s'engouffrer dans le froid de l'extérieur.

Elle marchait depuis dix minutes, sans s'arrêter. Ça y est, le grillage du collège n'était plus qu'à une centaine de mètres. Durant tout le trajet, Roxane n'avait cessé de réfléchir à la manière dont elle allait devoir se justifier. Car elle allait devoir se justifier ! La quasi-totalité des élèves savait que ces trois garçons avaient une dent contre elle : il aurait fallu être aveugle pour ne pas s'en rendre compte ! Elle tenta néanmoins de se rassurer : elle avait sa réputation de victime qui la protégeait des soupçons.
Une brusque prise de conscience la fit ralentir. Mais non ! Tout le monde l'avait vue les fuir la dernière fois ! Un tel changement d'attitude avait forcément attiré l'attention. « Je dois faire demi-tour, je dois faire demi-tour, je... »
Trop tard. Toute à ses pensées, elle avait pénétré dans l'enceinte du collège. Roxane déglutit avec difficulté : impossible de s'enfuir, les surveillants refermaient déjà le grillage. Elle ne pouvait plus revenir en arrière.

La suite se déroula comme dans un rêve. Les surveillants dirigèrent les élèves jusqu'au gymnase. Ces derniers se mirent à murmurer, ignorant la raison pour laquelle on les avait réunis ici.
Soudain la directrice, le visage plein de gravité comme l'exigeait la situation, monta sur l'estrade. Une petite part du cerveau de Roxane lui fit remarquer que l'estrade ajoutait un air dramatique à la situation, ce qui n'aurait pas été désagréable si elle n'avait pas été l'un des acteurs principaux de cette tragédie... Elle maudit la chorale du collège : ça les aurait tué de démonter cette maudite estrade après leur maudit concert ?!
Roxane s'assit sur une vieille chaise en plastique qui grinça lorsqu'elle se laissa tomber dessus. Elle avait conscience que toutes ses pensées n'avaient pour but que de l'éloigner du vrai problème. Mais que faire d'autre ? Déjà la directrice s'éclaircissait la gorge et prenait la parole :

« Chers élèves, merci d'être venus ce matin... »
Roxane n'arrivait pas à se concentrer sur ce qu'elle disait. Elle en comprenait vaguement le sens : élèves réunis ici pour une raison précise, absence de trois élèves, profondément attristés...

« Mais parmi eux, deux sont encore conscients et ont eu le courage de raconter ce qui leur est arrivé... »

Glacée. Roxane était glacée. C'était fini, ils étaient au courant. Le brouhaha excité autour d'elle avait fait place au silence. Une perle de sueur roula le long de sa colonne vertébrale. Elle ferma les yeux, calma sa respiration. Koffi, Anna, Mia, tous les autres... Ses cours de krav-maga ne lui auraient servi qu'à faire le mal. Tant pis. Elle rouvrit les yeux, releva légèrement le menton : puisque c'était fini, elle n'avait plus qu'à ne pas flancher. Rester droite, jusqu'au bout.
La directrice reprit :

« La police les a donc interrogé sur leur agresseur... »

Roxane serra les dents, se retenant de hurler. « Allez, dis-le bon sang ! » Les lèvres de la directrice postillonnèrent une dernière fois dans le micro :

« Hélas, ils n'ont pas été en mesure de le reconnaitre. »

Silence général.

« Quoi ? »

L'esprit du lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant