L'esprit du lion

Chapitre 11 : Connection

« -AAAAAH ! »
Une sirène retentissait dans l'ensemble du zoo. Les hurlements provenaient de partout et un mouvement de foule ébranlait l'ensemble des visiteurs. Tout bougeait sauf deux personnes immobiles, dans l'oeil du cyclone.

Roxane, ses yeux fous brillant comme des phares, dardait son regard doré sur la porte du grillage tandis qu'elle reculait de quelques pas pour laisser le champ libre au lion. A une centaine de mètres d'elle, Koffi l'observait, paralysé par la peur... et l'excitation. Ce nouvel évènement ne laissait plus la place au doute : Roxane était vraiment le lion.

Le jeune mâle qu'elle avait repéré avait vu la porte de sa cage, ouverte ; après un moment d'hésitation, son attitude suspicieuse s'envola et il s'avança doucement vers cette sortie inattendue. Tandis qu'il progressait peu à peu, Koffi profita de la cohue pour courir auprès de la rouquine. L'arrachant à sa contemplation, il la saisit par le poignet et l'entraîna un peu plus loin, derrière un mur à l'abri des regards.
« -Qu'est ce que tu fais ?! » s'écria-t-elle d'un ton rageur.
« -Dans ce genre de situation, il y a toujours un imbécile pour filmer au lieu de sauver sa peau. Tu tiens tant que ça à finir sur les réseaux sociaux ?! »

Koffi jeta un coup d'oeil à la place qui se vidait à toute vitesse : en effet, deux ou trois personnes avaient sorti leurs téléphones. Mais l'adolescente s'en fichait : elle n'avait d'yeux que pour le lion qui sortait enfin de sa cage. Elle entendait les choses comme si elles venaient de très loin ; tout lui paraissait flou, hormis le fauve. Un soigneur animalier passa devant eux, visiblement paniqué :
« -La porte s'est ouverte ! » s'égosillait il dans son talkie-walkie. « Non, on ne sait pas comment, les caméras se sont éteintes deux minutes plus tôt ! (...) C'est le nouveau qui s'est échappé, Léo !
-Léo le lion, quelle originalité. » ricana Roxane sans lâcher l'animal du regard.

C'était la première fois qu'il foulait le sol poussiéreux ; il en frissonnait, de ce contact tout nouveau. Plus rien ne ne retenait, ni collier, ni chaîne, ni grillage : alors pourquoi ne se sentait-il toujours pas libéré ? Il comprit alors qu'il balayait du regard tous ces vautours à deux bras, hurlant de terreur à sa seule vue : cette liberté, il devait la conquérir. Il avança un peu plus et secoua sa crinière flamboyante : le roi avait retrouvé sa couronne.

En le voyant évoluer ainsi, si fier malgré sa faiblesse due à sa longue captivité, Roxane sentit le pouvoir grésiller dans ses veines et, quand elle croisa son regard, son sourire devint carnassier. Les yeux pétillants, elle murmura :
« -Fais-le. »
Koffi, entendant cela, eut un mouvement de surprise mais il n'eut pas le temps de comprendre. Léo poussa soudain un rugissement de tous les diables qui effraya chaque visiteur du zoo, Koffi inclus. Seule Roxane n'avait pas peur. Elle sourit plus largement encore. Son coeur tressaillait, il était empli de fierté et de joie.

La foule se remit à courir, plus effrayée que jamais. Tout à coup, les bras de Koffi cédèrent  sous la force de la jeune fille. Sans prêter attention aux interjections de son ami,  elle se précipita vers le lion. Ce fut comme si le temps s'arrêtait : elle allait le toucher, au moins l'effleurer... il la regardait elle aussi, il semblait attendre ce contact autant qu'elle...
Mais un hurlement strident d'une enfant, toute petite, à côté d'eux, fit voler ce moment en éclats. Roxane sursauta et retira sa main précipitamment, troublée. Le drôle de rapport qui liait le fauve et l'adolescente venait se se rompre. Sur un dernier coup d'oeil, le lion s'enfuit, presque à regret.
« -Eh, ça va ? »
La voix inquiète de Koffi résonna aux oreilles de la rouquine. Sans avoir le temps de répondre, elle s'écroula au sol, vidée de toute force. La jeune homme se risqua à vérifier la couleur de ses prunelles : elles étaient passées du doré incandescent au marron caramel. Il s'autorisa un soupir de soulagement tandis que la jeune fille disait avec difficulté :
« -Que... qu'est ce qui m'est arrivé ?
-Ça... »
Il la prit dans ses bras avec délicatesse et la souleva, à moitié évanouie. Il s'éloigna de la place à grands pas, désigna du menton l'adolescente qu'il portait aux membres du staff qui les laissèrent quitter le zoo sans sourciller.
« -Ça veut dire quoi, tout ça ? » insista Roxane d'une voix faible.
« -Ça veut dire qu'on va devoir accélérer le rythme. »

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Cette fois, le bureau était glacé. Koffi frissonnait dans son sweat. Pour une fois, on n'avait pas laissé du papier à lettres et un stylo mais une enveloppe fermée à son nom. Il l'ouvrit et la lit silencieusement :

                     Cher Koffi,
Quelle délicieuse nouvelle ! Le Singe et le Dragon sont si heureux à l'idée de revoir l'un de leurs compagnons ; ils voulaient même aller à sa rencontre. Je pense toutefois que c'est un peu tôt.
         J'espère que notre Lion est reconnaissant pour le service que nous lui avons rendu.
Hélas, le Jour du Changement se rapproche à une vitesse incroyable ! Voici donc un petit cadeau pour le lionceau. Nous attendons avec impatience sa venue.

Koffi fit tourner entre ses doigts la petite clé. Une adresse, marquée avec soin sur un bout de papier sous plastique, y était accroché. Le jeune homme ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux en la lisant. Avait-Elle perdu la tête ?! Il grogna de frustration. Il savait que le Lion était important, mais à ce point ?
« -De toute manière, c'est pas comme si c'était moi qui décidais... »
La clé virevoltant autour de son doigt, il sortit en claquant la porte

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La mère de Roxane reprit la tasse de lait chaud et la posa sur la table basse en s'exclamant :
« -C'est incroyable tout de même ! Comment un animal a-t-il pu s'échapper de sa cage ? C'est insensé ! »
« Et encore, maman, tu n'as pas idée... » Roxane s'était rarement sentie aussi perdue. Quand elle se faisait harceler, il lui arrivait souvent d'être malheureuse et triste. Mais perdue, non : à l'époque. elle savait toujours qui elle était et où elle se trouvait, c'est à dire une victime terrée la plupart du temps dans sa chambre. Mais à présent... Elle avait tenté de se souvenir de ce qui s'était passé au zoo, mais chaque image qui lui revenait en mémoire était floue. Cela lui rappelait quelque chose : à chaque fois qu'elle se réveillait, Koffi vérifiait ses yeux. Quel était le problème ? Est-ce que...
« -Roxane ! »
Celle-ci sursauta ; sa mère la couvait du regard, inquiète.
« -Tu es encore sous le choc ou tu bailles aux corneilles ?
-Je suis juste ailleurs...
-Bon tu me rassures. En tout cas, tu aurais pu m'en parler ! »
La rouquine fronça les sourcils.
« -Comment ça ?
-Eh bien, ton ami qui t'a ramené ! Tu aurais pu nous le présenter !
-Ah, tu parles de Koffi.
-Oui ! »
Sa mère avait les yeux brillants. Attendait-elle une confidence de sa part ? Roxane se sentit presque coupable de décevoir son attente.
« -C'est un ami... tu sais, du club de krav-maga
-Oh ! »
« Incroyable comment elle arrive à transmettre ses sentiments avec une seule onomatopée... » Soudain, la montre de la mère de Roxane bipa ; elle se leva d'un bond.
« -Déjà ! »
Elle attrapa sa sacoche et sa veste et embrassa sa fille à la va-vite.
« -Je dois filer. Prends soin de toi, repose toi surtout ! »
La jeune fille n'eut pas le temps de répondre qu'elle avait déjà quitté l'appartement. Elle soupira et se laissa retomber dans le canapé.
« -Maintenant, je fais quoi ? »
Parce qu'il était hors de question qu'elle reste là sans rien faire. Elle avait besoin de comprendre cette histoire d'esprit-animal. Trop de choses lui échappaient et elle détestait cette impression d'être guidée pas à pas sur une route inconnue vers un but qu'elle ignorait.
« -Pourquoi m'aide-t-il ? »
Sa propre question la surprit. Elle n'avait jamais remis en question la présence de Koffi à ses côtés, comme si c'était une évidence . Sa réalisation lui fit l'effet d'une claque. Elle enfila sa veste, prit son sac et courut vers la porte d'entrée.

Elle avait quitté l'appartement depuis deux minutes à peine qu'un vibrement retentit. Son téléphone portable, coincé derrière un coussin, affichait l'appel de Koffi.