Chapitre 3

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« Du krav-maga ? » répéta-t-elle en fronçant les sourcils.

Ce mot sonnait étrangement dans sa bouche. Elle n'était pas tout à fait certaine de la prononciation. Elle retourna le petit papier et lut la description marquée en bas de la page « Sport de combat et d'autodéfense israélien. »

Roxanne se sentir pâlir : elle se voyait déjà, gisant au sol, en train de se faire massacrer par des adversaires faisant deux fois sa taille et deux fois son poids. Et cette fois-ci, personne ne viendrait à son aide : les règles du sport les protégeraient. Elle posa le papier sur la table d'une main tremblante. Mieux valait retourner un autre flyer.

Elle parcourut du regard les autres papiers, indécise. Il y avait de tout : de la danse, du piano, de la peinture, même du jardinage. Elle se voyait plus facilement dans ce genre d'activités paisibles. Toutefois, la peur de l'autre restait la même. Certes, elle ne se ferait pas frapper à coup de pinceaux ou de partitions, mais cela ne voulait pas dire qu'il n'y aurait pas de remarques acides, de regards méprisants et de chuchotements. Le seul endroit où elle était vraiment en sécurité était chez elle.

Elle se répétait ces arguments en boucle, certaine de leur vérité. Pourtant, elle n'avait pas lâché le flyer de krav-maga. Pincé entre deux doigts, il restait une ombre floue au coin de son œil. Roxanne inspira profondément, avant de l'observer à nouveau. Elle relut la courte explication. Et encore, et encore, au point qu'en fermant les paupières, le texte s'affichait dans le noir.

La lame crue et grise du couteau réapparut dans son esprit. Il n'y avait pas si longtemps qu'elle avait voulu se tuer. Elle osait penser ces mots, à présent. Son regard se perdit dans le vague. Elle avait voulu mourir, et ne l'avait pas fait. Quelque chose l'avait retenu ici-bas, et pas seulement la sonnerie du téléphone. Il aurait été simple de l'ignorer et de plonger l'arme profondément entre ses côtes, ou l'enfoncer dans la chaire tendre de son poignet. C'était donc qu'il y avait une raison pour elle de vivre, ne serait-ce qu'encore un peu. Un frisson parcourut le bas de sa colonne, pas désagréable. Un sentiment un peu piquant s'installait doucement dans le fond de son palais, et une énergie pailletée émergeait dans son ventre

Pour une fois, elle voulait faire preuve de détermination et aller jusqu'au bout de qu'elle avait décidé. Au moins, aller voir ce que réservait ce drôle de sport, où les gens finissaient sans doute moins cassés qu'elle à la fin des cours. Il y avait un mystère à présent, quelque chose à découvrir. Pourquoi se serait-elle volontairement débarrassée d'une bonne raison de se lever le matin ?

Elle but une gorgée de café par réflexe et grimaça. La boisson avait eu le temps de refroidir. La rouquine la repoussa avec quelque mauvaise humeur avant de s'accorder quelques minutes de réflexion. Enfin elle murmura, comme si sa voix était celle d'une autre :

« J'irai. J'irai voir comment ça se passe, puis j'irai dire à papa que ça ne m'a pas plu. C'est très simple. »

Roxane inspira à nouveau, et expira lentement. Elle avait pris sa décision. Tout irait bien.

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Deux jours passèrent, avec leur lot quotidien d'humiliations et de souffrances. Roxanne ne savait pas ce qui était le pire : la douleur, physique et émotionnelle, qui ne s'en allait jamais ou bien le fait qu'elle y était si habituée qu'elle ne faisait rien pour l'empêcher.

Roxanne vit mercredi arriver avec une sorte de soulagement. Après une dernière hésitation, elle empoigna le prospectus et poussa la porte de l'appartement avec détermination. À peine avait-elle mis un pied dehors que le vent frais de janvier lui claqua au visage. La rouquine resserra sa veste autour de sa taille ; aujourd'hui encore, elle nageait dans ses vêtements. Elle dansa un instant d'un pied sur l'autre, mal à l'aise. Elle avait mis un T-shirt gris, qu'elle avait n'avait encore jamais porté. L'odeur de neuf s'y accrochait encore.

L'esprit du lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant