Chapitre 9 : Le choix

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Roxane passa la tête par l'entrebâillure de la porte. Personne. Elle osa sortir un pied, puis deux hors de la salle de cours. Ils devaient avoir quitté cette partie du bâtiment. La jeune fille réajusta son sac sur son épaule tout en réfléchissant : retourner en cours n'était définitivement pas une bonne idée. Bien que ce ne soit pas son genre, sécher les cours de l'après-midi lui paraissait être la meilleure option. Elle descendit donc les escaliers, sur ses gardes, sursautant au moindre bruit. Elle finit par arriver devant l'infirmerie.
Roxane toqua ; pas de réponse. Elle réessaya, sans plus de résultat. L'idée de rebrousser chemin l'effleura mais le souvenir de sa course-poursuite avec les trois garçons lui donna le courage d'entrer : si elle n'y allait pas maintenant, il y avait de fortes chances pour qu'elle y retourne plus tard, pour des raisons bien plus graves !

À l'intérieur, l'infirmière parlait. Roxane, supposant qu'il y avait un élève avant elle, s'apprêta à sortir quand la femme lui dit :
« -Attends, entre, j'ai presque fini ! »
« Mais qu'est ce qu'elle fait ? » se demanda la rouquine en pénétrant dans l'infirmerie.
Tout était d'un blanc cassé, éclairé par une lumière blanche, crue et maladive qui donna à Roxane une envie de vomir. Assise derrière son bureau, l'infirmière, pour une raison quelconque riait aux éclats. « Elle se moque de moi ? » L'adolescente déglutit avec un peu de difficulté. La peur qu'elle avait chassée commençait à revenir... La femme fit tourner sa chaise, dévoilant le téléphone qu'elle avait à la main. Roxane poussa un soupir de soulagement. Elle lui adressa un petit signe distrait, l'invitant à se rapprocher. Roxane s'exécuta.
« -Bon, bonjour madame... » commença-t-elle timidement.
Mais l'infirmière lui lança un regard sévère, comme si elle lui reprochait de l'interrompre dans sa conversation. L'adolescente se recroquevilla légèrement, mais n'abandonna pas : il fallait qu'elle quitte le lycée !
« -Je ne me sens pas bien du tout... je voudrais rentrer chez moi si c'était possible... s'il vous plaît. »
A l'évidence, la femme s'en moquait. Seulement, la présence de Roxane devait la gêner car elle coinça son téléphone entre son menton et son épaule, détacha un petit papier d'un calepin, y griffonna quelque chose avant de demander d'un ton abrupte :
« -Ton nom ?
-Ah, Roxane, Roxane Brandal. »
L'infirmière écrivit ce qui lui dictait la jeune fille avant de lui tendre le papier. Sur ce, elle lui tourna ostensiblement le dos et retourna à sa discussion. L'adolescente regarda le contenu du ticket : c'était un billet l'autorisant à rentrer chez elle. Elle s'apprêta à remercier la femme quand elle se rendit compte que celle-ci ne s'occupait déjà plus d'elle. Les mâchoires serrées, Roxane quitta les lieux, l'esprit rempli d'une pensée amère : « Elle s'en fiche, que j'aille bien ou non. Tout ce qui l'intéresse, c'est sa petite conversation avec son amie. »

Elle sortit donc du lycée d'humeur sombre. Une bonne partie de sa bonne humeur provoquée par sa victoire lors de la course-poursuite s'était envolée : l'attitude de l'infirmière avait douché son enthousiasme. Elle avait l'impression de replonger un peu dans sa dépression quand elle se remémora son coup de fil avec Koffi.
« -Je dois aller chercher Mia, » souffla-t-elle à elle-même.
Elle jeta un coup d'oeil à sa montre : il était à peine treize heures quarante-cinq. Roxane réajusta l'anse de son sac sur son épaule et se dirigea vers le métro.

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Elle avait entendu de nombreux avis sur la réputation plus ou moins douteuse de Saint-Denis. Aujourd'hui, elle avait eu la chance d'en observer quelques facettes : dealeurs de drogues en tous genres, vendeurs à la sauvette étalant leurs marchandises dans la rue, malheureuses mères de familles et leurs enfants faisant la manche... Si elle n'avait pas déjà été aussi déprimée, cet endroit lui aurait foutu le cafard. « Enfin ! » songea Roxane en mordant dans sa crêpe toute chaude. « Au moins la nourriture est bonne. »
Non, vraiment, elle avait vu beaucoup d'aspects de Saint-Denis cette après-midi. Il fallait dire qu'elle tournait depuis un bon moment dans le coin. Elle avait bien senti des regards peser sur elle, de toutes sortes, mais elle s'en fichait pas mal. Plus grand-chose n'importait de toute façon.

Soudain, une sonnerie stridente retentit dans son dos. Elle se redressa du grillage contre lequel elle était appuyée depuis vingt minutes et se retourna. Derrière elle se tenait la cour d'une école primaire, vide encore, mais plus pour longtemps. Quelques instants plus tard, une foule de petits enfants remplit l'espace en un rien de temps. Les portes des salles de classe les vomissaient sans interruption ; les cris et les rires un peu haut perchés, aigus des enfants retentissaient. Roxanne plissa des yeux. Comment diable allait elle pouvoir retrouver Mia au milieu de tous ces nains de jardins ? Elle ne bougea pas du grillage pour autant : qui sait ce que ces petits monstres lui auraient fait si elle s'était approchée de trop près ?
« -Roxaaaaaaaane ! »
La rouquine reconnut cette petite voix qui l'appelait, sortie de nulle part. Mia, ses cheveux tressés aux perles multicolores, trottinait à sa rencontre. Roxane eut un sourire involontaire : elle était beaucoup trop mignonne ! Elle était sans doute la seule enfant que l'adolescente appréciait à ce jour. Quand la petite fit près d'elle, elle se pencha et dit :
« -Coucou Mi... »
Mais elle n'avait pas fini sa phrase que déjà la gamine se pendait à ses jambes, folle de joie. Roxane sentit son coeur fondre. Elle toussota pour reprendre un peu contenance et répéta :
« -Coucou Mia. Aujourd'hui c'est moi qui viens te ramener chez toi. Ça te va ?
-Ouiiiii ! »
Au moins, l'une des deux était enthousiaste. Le coeur plus léger, la jeune fille laissa l'enfant attraper sa main et ensemble, elles se mirent en route.

Tandis qu'elles marchaient, Roxane lui posait des questions sur sa journée : quelles matières avait-elle étudié, si elle s'était amusée, qui étaient ses amies... La petite finit par couper l'avalanche de questions pour en poser une à son tour :
« -Dis, pourquoi tu es toute pâle ? »
Roxane s'apprêta à répondre mais la petite renchérit :
« -Même tes cheveux sont tout pâles ! Il y a un problème. Ils sont roux mais ils ont l'air transparents. »
L'adolescente referma lentement la bouche. Mia voyait ce que beaucoup d'adultes ignoraient, sciemment ou non. Elle ferma les yeux et vit tous ses mauvais souvenirs défiler devant ses yeux, tout ce qu'elle avait subi. Après un moment de silence, Roxane se décida à dire :
« -On m'a volé mes couleurs. C'est pour ça que je suis... »
Elle pencha la tête pour croiser le regard de l'enfant et sourit.
« -...transparente. »
Mia hocha la tête de l'air le plus sérieux et fronça les sourcils. Elles marchèrent ainsi un petit moment, Mia semblant cogiter avec beaucoup d'intensité. Tout d'un coup elle s'exclama :
« -Alors tu dois les récupérer ! »
Roxane lui jeta un regard amusé. Qu'est-ce qu'elle racontait ?
« -Tu as une idée sur la manière de faire ?
-Oui ! »
Là, Roxane se sentait intriguée. Elle voyait bien que Mia ne plaisantait pas. Elle l'écouta donc attentivement quand celle-ci déclara :
« -Puisqu'on te les a volées, tu dois aller les reprendre aux voleurs !
-Les reprendre, hein..? »
Mia acquiesça, sûre d'elle. Roxane fixa le trottoir qui défilait sous ses pieds. Tous les sentiments, les éléments nouveaux qu'elle avait appris au cours des dernières semaines se mêlaient petit à petit : une idée, de plus en plus précise, se mit à germer dans son esprit.

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« -Je suis rentrée ! »
Silence. Une fois de plus, Roxane était la première arrivée chez elle. Elle envoya son sac dans un coin, près de l'escalier, délaça ses chaussures et pénétra dans le salon à pas lents. Elle réfléchissait quand un petit bout de papier fluorescent attira son attention : il s'agissait du post-it qu'elle avait collé sur la table basse ce matin-même. Elle le déchiffra en vitesse : le documentaire qu'elle voulait regarder allait commencer d'une minute à l'autre.
La rouquine alluma la télévision, tapa le numéro de la chaîne et attendit. L'émission démarra peu de temps après. Si elle le regardait d'un oeil distrait au début, son attention fut rapidement attirée par le décor présenté. Une savane, immense. Illuminé par les derniers rayons d'un soleil rouge sanglant, un lion, majestueux, flânait entre les hautes herbes.
Roxane était captivée. Même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pu décrocher son regard de la bête. Elle paraissait si royale, puissante...
Implacable...
Ce fut comme un déclic. Ses mâchoires se mirent à trembler alors que la réalisation transperçait son cerveau.
D'un bond elle se leva et saisit son téléphone. Elle fouilla avec anxiété la liste de ses contacts, en choisit un...
« -Allô ?
-Koffi, j'ai trouvé la réponse.
-La réponse ?
-Oui, à la question que tu m'as posée la dernière fois.
-Ah... et quelle est ta réponse ? »
Roxane déglutit avec un peu de difficulté. Elle avait la bouche sèche, était nerveuse : comme si elle se doutait de ce qui l'attendait si elle faisait ce choix. Elle marchait de long en large et s'arrêta soudain devant le miroir qui ornait le mur d'un des couloirs.
Il était trop tard pour faire machine arrière.
« -Je veux être un lion. »

L'esprit du lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant