Men Papi Zoko

208 37 18
                                    

Il est probable que je finisse par me faire amputer la verge. Oui Mesdames et Messieurs. Aussi étonnant que cela puisse vous paraître, je vais sans doute finir par me faire *Chatré. Des verges, j'en vois au moins une quasiment partout à présent. Dans les pages de magazines, dans les films, sur le net et même dans un pub pour préservatif diffusé tard la nuit à l'abri des yeux adolescents. Ces milliers de verges m'observent. Ils guettent le moindre faux pas et Bamm!!! Me bondir dessus. Mon traumatisme du sexe masculin s'est déclenché le jour où j'ai pris la mauvaise décision de confier à Damballah l'accroissement de mon talent d'écrivain afin de me faire plus de blé et de popularité. On m'appelle Jean-Marie Fouchard, divorcé, 39 ans. Je suis actuellement l'un des plus célèbres écrivains contemporains du pays. Mon succès est dû à la possession d'un stylo en bois d'acajou, *monté par un bokòr de Boukan-Kare.

J'ai longtemps vécu au dépend du verbe, de l'encre versée avec artisterie sur un bout de papier. Voilà déjà 20 ans qu'en cours de littérature un certain bonhomme nous avait un jour scandé tout déterminé et tout fier "L'écriture est richesse, l'art est l'âme de l'expression humaine et blablabla...". Mais bon, Peut-être n'avait-il pas tout à fait tort, le pauvre. Après tout ne faisait-il pas qu'œuvrer à la quémande de son maigre pain quotidien? Cette pitance de misère que jette notre gouvernement dans la gamelle des gens d'un aussi noble métier qu'est l'enseignement. L'enseignant haïtien est salarialement martyrisé mais s'accroche héroïquement à la barre. On comprend alors le fait que le brave homme en nœud de cravate mal fait, avec sa chemise mangée par les mites, ait bien pu débiter sa litanie dans toutes les rues de la capitale s'il le fallait: "L'écriture est richesse et bidim badam à n'en plus finir...".

À l'époque je faisais, malgré moi, parti de ses jeunes poulains tous excités qui vouaient une passion acharnée pour le bricolage des mots. J'étais malade d'écriture, certes. Mais je restais rationnel au fait que je devais absolument en faire un métier économiquement fort rentable.

Cependant, vous conviendrez que les comptes en banques ne se remplissent guère de jolis mots francisés à la Bonaparte, ni non plus de vers multi-syllabiques au sens quasiment insaisissables dont ne cessent d'ailleurs de déplorer certains de mes lecteurs les plus proches. Non Monsieur! Non Madame! Les mots à eux seuls n'augmentent pas votre chiffre bancaire! La preuve? Connaissez-vous (à part moi bien entendu) d'écrivains haïtiens qui soient devenus riches après une ou plusieurs œuvres publiées? Moi non. Ou peut-être ne m'en suis-je pas assez informé. Écrire est commerce de rêves, d'espoirs, d'idéologies... Tant de concepts qui ont fini par se perdre dans les gargouillis dévastateurs du ventre nègre tenaillé par la faim. Me voilà donc, à 30 ans, confronté au défi de me démarquer du lot de ces infortunés riches en mots, pauvres en sous. Des écrivains-en-vain. Du coup j'entrepris donc à lancer ma carrière à ma propre façon. Et ça paya! Mais pour ce faire je devais rapidement comprendre qu'il fallait que *mwen mete pye anmwen nan dlo.

Pamanyen, ainsi qu'on l'appelait, le bokòr. Il m'avait été conseillé par un ami qui travaille actuellement au gouvernement.

-Ah mon cher, c'est moi qui te le dis! Fèm konfyans! Mwen Lafontan m pa nan koze kremòl ou konn sa byen. Pamanyen se bon grenn lan. Daprè ou, kòman fè son ekselans te deplase an pèson pou l' vin ofrim pòs la? Nonm lan pat konnenm ni an pent ni an penti! Humm! Koze granmoun se mistè gason!

Après quoi il se frappa trois fois la poitrine de son poing gauche, ce que fait l'haïtien pour te prouver sa bravoure et te convaincre de ses dires.

C'est ainsi que quelques jours plus tard je me retrouvai à Boukan-Kare, assis au milieu du péristyle du dénommé Pamanyen, sur une vielle tichèz-ba grouillé de punaises. L'homme en question n'avait rien de bien spécial hormis le fait que la membrane de son œil droit était légèrement atrophiée. Il devait faire dans les cinquantaines, pas plus. Le ton sec. Des mâchoires solides d'où tombaient des paroles abruptes telles le pan d'une falaise grec. Une simple tunique blanche lui faisait office de vêtement et il se trouvait caller alèzman sur une dodine à me dicter les dernières prescriptions. Le rituel avait été de courte durée. Pamanyen avait tout d'abord exigé que je dépose dans un kwi les 25000 gourdes et les cinquante centimes pour le sèvis. Après quoi il avait ingurgité une bonne lampée de rhum avant d'enchaîner avec tchatcha, ason, litanie et tout le tralala qui va avec. Le tout sur un air nasillard de "Danbala se lwa koulèv la héééé. Danbala se lwa koulèv la ba li siwo..." Le loa n'avait pas tardé à chevaucher Pamanyen.

À l'ombre d'une Pergola Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant