Des mots, des maux et des sons (Part 1)

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Ils se rencontrèrent pour la première fois un mardi, à l'une des bibliothèques de Port-au-Prince. Elle y venait souvent, pour lire un peu et décompresser, dès qu'elle en avait le temps, son métier de chanteuse ne lui accordait pas beaucoup de temps libre. Là, elle s'asseyait pendant de longues heures, son bouquin à la main et n'y prenait une pause que lorsque ses yeux n'en pouvaient plus. Lui, c'était sa routine, la bibliothèque et les livres. Il était écrivain après tout. Ses journées se ressemblaient toutes : Tasse de café, lecture de romans, de nouvelles, discussions avec d'autres écrivains aussi bizarre que lui, dans leurs accoutrements et leurs façons de voir les choses, et l'écriture aussi. Il aimait sa vie, même si comme tout le monde il espérait beaucoup mieux. Elle aussi d'ailleurs se réjouissait de ce que lui offrait présentement la vie, avec l'espoir que les choses iraient beaucoup mieux pour elle.

Au moment où se firent leurs rencontres, Florian venait deux mois plus tôt de signer son second ouvrage et premier roman, Reste à terre, vile créature!, Ca l'avait propulsé au-devant de la scène et pendant plusieurs semaines, on l'avait appelé par ci et par là pour des conférences, des causeries et vente signatures, le garçon se faisait timidement un nom et ce n'était pas pour lui déplaire.

Ce mardi-là, Florian avait dû lutter contre lui-même pour ne pas rester chez lui. Il avait passé la nuit à boire avec quelques amis et il s'était réveillé avec une violente migraine qu'il s'était empressé de chasser avec une tasse de café et deux aspirines. Débauches et trucs malsains, c'était ça aussi la vie de cet écrivain. Avoir des amis avec qui se saouler un lundi soir était pour lui comme un rêve d'enfant ! Il ne dépendait quasiment de personne et il aimait cet élan de liberté... savoir qu'il n'avait de compte à rendre à personne et qu'il pouvait décider à n'importe quel moment de disparaitre sans que cela n'affecte le reste du monde. Qui était-il d'ailleurs, sinon qu'un simple passager...

Lorsque vers les Onze heures, il franchit le seuil de la bibliothèque, il fut particulièrement étonné de voir qu'elle était presque vide. Quelques personnes lisaient dans leur coin, silencieusement. La bibliothèque lui donnât l'aspect d'un cimetière abandonné. Il entra malgré lui, et, s'adressant aux bibliothécaires, dit :

- À ce rythme-là, bientôt le métier d'écrivain sera un métier inutile !

Ces derniers sourirent largement. Florian était connu de tout le monde ici, ainsi que son humour à toute épreuve. Il échangea avec eux quelques mots, puis ayant choisi son livre – Tout chemin mène à Homme de Darline Honoré – Il alla s'assoir au fond de la pièce, dans le plus parfait silence.

Elle, Dana, était l'une des quelques personnes qui ce matin-là avait décidé de venir lire un peu pour se changer les idées. Sa nuit avait été pénible, son manager lui avait crié dessus à deux reprises et Dieu seul sait comment elle déteste se sentir diminuée. Elle avait voulu lui dire ses sept vérités et tout casser sur le champ, mais elle s'était retenue, avait souri, monté la scène et chanté avec amour. Le public en était sorti heureux et satisfait, mais elle, après, elle avait pleuré tout son soul avec rage...

Elle tenait entre les mains Reste à Terre, Vile créature ! Elle en avait entendu parler dans son entourage et aujourd'hui, le titre l'interpella avec insistance. Peut-être était-ce dû au fait qu'elle se sentait à terre, piétinée et terriblement pitoyable ! Après avoir lu le résumé du livre, elle sentit une vague de dépression la gagner, mais résolut à l'ouvrir tout de même. Ce qu'elle lut à la page 7 la décontenança encore plus : Si vous êtes en quête de réconforts, ne lisez pas ce livre. Il est écrit exprès pour ceux qui souhaitent garder un état d'esprit déprimant et ceux qui s'y complaisent dans leurs neurasthénies...

- Ce n'est vraiment pas ce dont tu as besoin en ce moment, Dana, se dit-elle à voix basse.

Mais elle se mit à lire malgré tout. À mesure que les pages se défilaient devant ses yeux, elle avait l'impression de revivre sa vie, ses amours, ses espoirs, ses rêves, ses peurs, ses défauts, ses chutes et ses éternels doutes. Dana avait l'impression de se trouver dans une spirale déroutant dans lequel elle ne pouvait plus s'en sortir. Au bout d'une trentaine de minutes, les larmes embuèrent ses yeux et elle s'arrêta malgré elle pour effacer ses larmes et penser à sa vie qui définitivement n'allait pas comme elle le voulait.

À l'ombre d'une Pergola Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant