De l'or dans la nuit

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Texte initialement publié pour le CC 2017 : http://25worter.skyrock.com/3302396710-TEXTE-N-06-de-l-or-dans-la-nuit.html

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C'était l'une de ces soirées où l'on ne savait pas s'il fallait venir déguisé ou bien habillé. Il n'avait reçu aucune indication et s'était donc planté devant son miroir, assis sur la chaise en plastique transparent dont il se servait pour se préparer face à son reflet. Tout en jouant distraitement avec les bracelets qui ornaient ses poignets, il se demandait comment Diable pouvait-il arriver chez son ami.

Bien sûr, il avait demandé aux invités qu'ils connaissaient comment ces derniers allaient être vêtus, mais chacun souhaitait conserver sa part de mystère, et le dénommé Bill restait donc sans réponse. Il soupira, consulta les notifications de son compte Instagram sans y porter une réelle attention, puis il lança sa playlist sous le mode aléatoire.

D'un pas las, il se rendit devant son placard bien trop rempli, la serviette tombant sur ses hanches, et commença à farfouiller en espérant tomber sur la pièce qui lui donnerait l'idée qu'il n'avait pas. Mais rien ne venait. Alors Bill s'allongea sur son lit et laissa la musique le porter dans cet entre-deux monde qu'il aimait tant. Il ferma les yeux tandis que la cigarette qu'il venait d'allumer laissait ses volutes de fumée se former tout autour de lui. Comme s'il était dans une bulle, il consumait sa substance et bougeait aléatoirement au rythme de la basse et de la voix ténue du chanteur.

Les paroles s'imprégnaient en lui de nouveau alors qu'il avait écouté cette mélodie des centaines de fois. C'était pourtant comme s'il la redécouvrait, et Bill arrêta de danser. Il écrasa le reste de sa cigarette dans le cendrier déjà plein et ouvrit un tiroir de la commode. Délicatement, il tira de sa chemise une magnifique tenue de plumes dorées. Les épaules étaient dénudées et l'avant était un bustier de la même couleur que les ailes. La robe se terminait irrégulièrement, et il se rappelait parfaitement de l'effet qu'elle rendait lorsque le corps qu'elle habillait se mouvait gracieusement.

Le jeune homme s'installa de nouveau face à son miroir et remit du début la musique qui le berçait. Il sélectionna la boucle, ne voulant que cette mélodie dans ses oreilles. Et enfin, il commença à se préparer. Il se rasa méticuleusement le visage avec cet air concentré qu'on lui voyait rarement. Ses cheveux encore humides de la douche furent plaqués en arrière, et Bill appliqua une quantité de gel bien trop généreuse.

Sa trousse de toilette trainait en plein centre de la coiffeuse. Il farfouilla à l'intérieur en sachant exactement ce qu'il désirait. Crème et autre fonds de teint furent appliqués avant qu'il ne se poudre le visage. Sa peau blanche de nature paraissait cristalline à présent, comme s'il n'était en fait qu'une poupée de porcelaine.

Muni d'un petit pinceau il traça ses sourcils et les fonça légèrement, changeant le piercing qu'il portait à l'arcade par la même occasion. Son choix se porta sur un anneau doré, en parfaite harmonie avec sa tenue du soir. Il laissa celui qu'il portait au téton, mais remplaça les autres par des éléments en métal de la couleur de l'or.

Enfin apprêté, Bill reprit là où il s'était arrêté. Il entama le maquillage de ses yeux par le fard à paupière discret qu'il tenait à la main. Une légère touche brillante, qu'il compléta par cet eye-liner noir. Un trait fluide digne d'un habitué, à droite, puis à gauche. Il observa son reflet et ajouta le mascara, qui doubla le volume de ses cils. Le coup de crayon en dessous, qui rejoignait celui de l'eye-liner était si sobre qu'il en était presque secret. Mais c'était justement cela qui rendait le regard de Bill si hypnotisant.

Il était presque prêt. Toujours avec un pinceau, il dessina le contour de ses lèvres et remplit ces dernières d'une couleur glamour et chargée d'électricité. Il se contempla quelques instants, la musique résonnant toujours en fond, et vérifia que ses cheveux étaient secs. Avec le gel, ils n'allaient pas bouger, mais Bill y ajouta un filet. Il ôta finalement la serviette de sa taille, enfila un boxer couleur chair, puis se para de cette tenue éclatante.

Malgré les années, elle lui allait toujours comme un gant. Il n'avait pas changé physiquement. Les kilos lui manquaient encore et ses traits restaient aussi fins que nécessaires pour l'androgyne qu'il était. Son long manteau était posé sur son lit, et les chaussures qu'il allait porter l'attendaient dans le placard.

Bill ne souriait pas. Il était concentré sur sa transformation, et pouvait bien attendre de rencontrer du monde pour laisser échapper son charme. Il ajusta le filet sur ses cheveux, et enfila finalement la perruque posée en évidence sur un mannequin. Blonde, pourvue de fines boucles, elle lui allait à ravir. Il la coiffa avec précaution et l'épingla pour qu'elle reste en place toute la nuit. Le voilà désormais prêt.

Son téléphone se tut, laissant un étouffant silence résonner dans la pièce. Le garçon le débrancha de sa prise, le rangeant dans le petit sac qu'il allait emporter avec lui. Carte d'identité, quelques billets et les clés de son appartement. Le check fut rapidement expédié et il s'assit délicatement sur le bord de son lit défait pour enfiler sa paire de chaussures. Des bottines qui s'ajustaient parfaitement à ses mollets recouverts de cette paire de collants fournie avec son costume.

Lorsqu'il se releva, il s'inspecta dans le grand miroir. Il allait être la reine de la soirée. Son manteau sur les épaules, il quitta finalement les lieux, hélant un taxi une fois sur l'avenue principale. Déjà là, on le regardait. Les hommes ne le quittaient pas des yeux, leur esprit se réduisant aux pensées les plus infâmes de ce qu'ils auraient pu lui faire s'ils n'étaient que des bêtes.

« Wo ... hm ... Bill ? »

Le maitre des lieux resta un instant dans le flou sans reconnaître son invité. Le blond releva la tête et se mit à sourire, révélant alors sa véritable identité. Le garçon, qui faisait une demi-tête de moins que lui, claqua son dos en le faisant entrer. La musique était déjà forte, la chaleur bien présente. Il y avait du monde, chez son ami Georg. Bill lui laissa son manteau, attrapa un verre au comptoir improvisé et s'immisça doucement sur la piste.

La foule ne dansait pas beaucoup, préférant consommer tout en discutant en petit groupe. Mais lui avait reconnu ses amis et les poussa à danser avec lui. Celui qui s'occupait de la sono changea alors de registre et Bill put se mouvoir à volonté. Les lumières reflétaient sa tenue. Il était le seul si exposé, les autres postant des masques ou de larges costumes. Quelques infirmières, des militaires, un professeur et plusieurs pompiers ... Peu d'originalité au goût de l'androgyne.

« Hé, c'est quoi ton nom ? »

Bill se mit à sourire. Le garçon venu lui parler était en cow-boy, un choix de déguisement aussi peu intéressant que le reste. Il avala le reste de son verre d'une traite et continua à danser sans répondre. Qu'importe le lieu, si l'on ne répond pas, c'est que l'on ne veut pas discuter. Mais le garçon insistait, et Bill montra alors les dents.

« Je ne suis pas ici pour me faire des amis. Arrête de me coller. »
« C'est que t'es grognon, j'aime ça. »

C'était-il rendu compte que cette fée de chair et d'or était un homme dans toute sa splendeur ? Sans doute pas. Il leva les yeux au ciel, lui tourna le dos et se sentit partir en arrière quand l'autre attrapa son épaule.

« Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans mes mots ? Fous moi la paix. »

Il restait correct, s'étant douté à l'avance qu'il aurait droit à quelques lourds de ce genre. Son regard lançait des éclairs, et il s'éloigna avec hâte. Son groupe d'amis avait éclaté, à chacun était quelque part dans le salon aménagé. Bill s'arrêta prendre un autre verre, et suivit Georg lorsque ce dernier lui proposa un rail d'amusement.

Sans pudeur il se mit à genoux, attrapa le tube en métal et inspira la poudre blanche bien alignée sur la table. En se relevant, il se pinça le nez, attrapa l'un des comprimés roses qu'on lui tendait et retourna sur la piste. Il lui fallut un moment pour que les substances fassent effet. Mais les lumières eurent bientôt d'avantage d'énergie. Son corps leur appartenait, et il dansait avec frénésie. Il jouait avec ceux qui venaient le voir, ses amis en priorité, et quelques nouvelles têtes qui se demandaient très certainement s'il y avait moyen de partager ses draps.

Mais Bill était bien clair. Il ne voulait rien, et savait se montrer persuasif même envers ceux qui étaient un peu trop entreprenants. On ne le touchait pas sans permission, et ce n'était pas un regard qui voulait dire oui. Le premier lourd de la soirée l'avait lâché bien vite, au profit d'autres ringards bien plus indélicats.

« Ne crois que j'ai besoin d'une nourrice pour me surveiller. Tu ne sais pas qui je suis, je suis pleinement capable d'assurer ma propre sécurité. Dégage tes mains de là et cherche-toi de la compagnie ailleurs. »

Généralement, il suffisait qu'il parle pour que ces prédateurs s'en aillent. Il avait une voix masculine qui ne trompait pas. On le regardait alors avec une espèce de peur, comme s'il n'avait rien de naturel, comme s'il venait d'une autre planète. Puis l'on marmonnait, mais il était plutôt facile de pouvoir lire sur les lèvres.

« Un putain de travelo ! »

C'était ce qu'il entendait le plus fréquemment quand ils finissaient par déguerpir. Mais Bill s'en moquait. Il planait, s'amusait, et c'était tout ce qui comptait. De toute façon, il n'était pas le seul ainsi, ce soir-là. Anja était devenue un homme le temps d'une nuit, Otto, une autre femme. Chacun avec sa particularité, sa touche de mystère et ses propres raisons. On ne demandait pas à un prétendu policier pourquoi il avait choisi ce costume, pas plus qu'à ceux qui se cachaient derrière des masques de chevaux ou dans des fausses fourrures jaune canari. Alors pourquoi fallait-il qu'ils se justifient, eux ?

« C'est tous des cons » marmonna Anja en accompagnant ses amis à l'extérieur.

L'androgyne avait récupéré son manteau et s'était empressé de s'y emmitoufler. Puis il s'était assis entre Anja et Otto, avait sorti son paquet de cigarettes, et les trois compères s'enfermèrent dans une sphère de fumée et de paroles incomprises. Bien vite, d'autres têtes connues vinrent les rejoindre. Georg devait surveiller la maison et faisait alors des allers retours. Iris ôta son chapeau de sorcière en s'asseyant à même le sol. Janis ramena quelques bouteilles encore pleines. Hans embrassait goulûment sa partenaire.

Le groupe s'agrandissait à mesure que les lieux se vidaient. Le soleil tentait difficilement de prendre possession du ciel, la lune luttant encore tant qu'elle le pouvait. Le sang de Bill était toujours aussi rapide dans son passage, son cœur battait à plein régime. Il redescendait trop doucement de son voyage, mais ça lui plaisait. Quand enfin, il se sentit prêt à se lever, il annonça son départ.

« Je prends la ligne 4, si jamais quelqu'un passe par là aussi. »

Il se fichait d'être seul ou accompagné. Il avait l'habitude d'errer un peu partout sans compagnie aucune. Il n'avait pas peur de tomber sur quelqu'un de mal intentionné. A dire vrai, tout cela lui passait un peu par dessus la tête. Bill était l'ombre de lui-même depuis quelques temps, ne voulant rien d'autre que planer chaque soir. Il observait ses amis d'un yeux vide, mais fut quelque part heureux de les voir se lever pour le suivre. Les fêtards marchèrent bruyamment jusqu'à la station de métro. Tous s'y engouffrèrent, se séparant dans les tunnels selon leur destination. Janis et Anja prenaient la même ligne, mais s'arrêtaient à des stations différentes. Quand Bill arriva à la sienne, il les serra dans ses bras comme la procédure l'exigeait.

« Envoyez moi un message quand vous êtes chez vous. »
« Toi aussi. Tu n'as peut-être que quelques mètres à faire, je préfère que tu nous le dises aussi. »

Il hocha la tête, sortit de la rame et grimpa péniblement les escaliers menant à l'air frais. Il respira à plein poumon, puis sortit ses clés et rentra chez lui. Un texto bref, comme convenu, puis il laissa tomber son cellulaire dans ses draps. Doucement, il se dénuda de cette carapace qu'il avait portée toute la soirée, abandonnant cette peau au milieu du couloir qui menait à la salle de bain.

L'eau emporta son maquillage et son odeur, mais les souvenirs restaient et la sensation d'engourdissement aussi. Il était temps d'aller se coucher. La routine reprenait. Six heures étaient affichées sur le réveil. Dans deux heures, il devrait être en classe, à écouter le débit de parole d'un vieil anarchiste invité par son professeur. Tant pis. Il ne serait jamais levé. Ses études n'étaient plus sa priorité depuis trop longtemps pour que quelqu'un s'en étonne.

Bill s'observa une dernière fois, les cheveux en désordre sur sa tête et son visage au naturel. Il était un homme et ne voulait pas en changer. Pourquoi Diable fallait-on alors qu'on lui pose encore la question lorsqu'il décidait d'être quelque d'autre pour une nuit seulement ? Il souffla avant de s'allonger dans les draps dénués de chaleur humaine. Peut-être aurait-il dû emmener quelqu'un avec lui. Peut-être après tout que c'était sa seule solution pour reprendre goût à la vie qui lui tendait les bras. Celle-là même qui l'avait fait sourire, rêver, aimer, s'amuser ... et qui l'avait finalement quitté en même temps que le garçon à qui il s'était donné corps et âme. Sans s'en rendre compte, les larmes s'étaient mises à couler. L'androgyne se tourna pour attraper son téléphone, et composa automatiquement le numéro de celui qui hantait ses nuits et qui était encré sur sa peau.

« Et si j'étais une femme, une vraie, voudrais-tu enfin de moi ? »

Recueil d'One-ShotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant