Je n'avais jamais été très bonne lorsqu'il s'agissait de trouver un déguisement. En règle générale, je cherchais des idées sur internet, et j'abandonnais en décidant de porter un mauvais assortiment de mes vêtements les plus affreux. C'était entièrement de la triche et je l'assumais. Ce n'était pas une question d'être radine, mais plutôt qu'aucun costume ne m'avait jamais tapé dans l'œil.
Ce soir-là, je participais à une énième soirée déguisée et, évidemment, je n'avais rien trouvé à me mettre. J'espérais débusquer la perle rare en arpentant tous les magasins de la ville, mais rien ne convenait. J'étais donc rentrée bredouille à la maison, avouant à mes amis que j'allais venir une fois de plus déguisée en clocharde en manque de goût. Ces derniers râlèrent mais déjà, j'avais posé mon téléphone sur la table de la cuisine pour me préparer un bol de chocolat chaud et réchauffer une gaufre pour me caler devant la télévision en attendant l'heure de départ.
Je n'eus pas le temps de faire fondre mon chocolat que l'on sonna à la porte. Je n'attendais personne mais n'aurais pas été surprise de voir Frank ou Johanna sur le perron avec un costume sous le bras. Pourtant, lorsque j'ouvris, personne ne patientait. A la place, seul un gros carton se présentait à moi. Je descendis malgré tout les quelques marches pour tenter d'apercevoir une silhouette mais la rue était déserte, et je rentrai alors au chaud avec ma trouvaille entre les mains.
Le coli était volumineux mais tout de même assez léger pour que je puisse le garder en appuis sur un avant-bras tout en me servant de ma main libre pour fermer la porte. Je le posai sur le canapé, oubliant momentanément ma pause goûter. Le scotch était facile à enlever, et j'ouvris alors le carton, qui ne contenait en fait qu'un masque en plastique en forme de tête de dinosaure. Il n'y avait pas de mot qui l'accompagnait, ni même un quelconque indice qui aurait pu me permettre de connaître l'expéditeur, qui sauvait ma soirée.
Pour une fois, j'avais un déguisement. Un masque que je n'allais pas pouvoir garder toute la soirée, mais quelque chose qui changeait de mes tenues dépareillées. Les traits du dinosaure étaient vraiment bien faits sans être effrayants ni trop amusants. Je le posai sur mon lit tout en triant les vêtements que j'allais pouvoir mettre avec. Trop curieuse de connaître mon mystérieux donateur, j'envoyai un message à tous mes amis qui participaient à la soirée pour savoir s'ils m'avaient déposé quelque chose devant la porte. Tous me répondirent par la négative.
« C'est quoi cette histoire ? » me demanda Lucie en m'appelant.
« Quelqu'un a sonné chez moi, et quand je suis sortie, il n'y avait qu'un gros carton. »
« Mais dis-moi ce qu'il y avait dedans, au moins ! »
« Surprise ! Tu verras ce soir ! Bon, bref, du coup, je pensais que c'était l'un d'entre vous » lui avouai-je en espérant qu'elle me mettrait sur une piste.
« J'avais vaguement pensé à t'emmener dans un magasin pour t'aider à choisir mais je sais que tu n'aurais rien trouvé... »
« Mauvaise langue, c'est juste qu'ils sont assez restreints sur les choix. On a toujours l'infirmière sexy, le pirate et le bagnard. Il n'y aucune originalité ! »
Lucie pouffa tandis que je sortais de mon placard la chemise à rayure qui irait parfaitement avec le masque. J'ajoutai rapidement une jupe droite, noire en fond et pleine de petites étoiles blanches aux formes indistinctes.
« C'est vrai que ce n'est pas la grande folie dans ce qu'ils proposent ... Mais, sérieusement, tu ne veux pas me dire ce que tu vas porter ? »
« Nop, tu verras quand tu viendras me chercher. Et toi, finalement, tu as choisi Lexa des 100 ou le Barbapapa ? »
« Surprise aussi, tiens donc ! »
Je raccrochai finalement quelques minutes plus tard pour pouvoir avaler rapidement quelque chose, et filer sous la douche. Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour me préparer, et je finis par me planter devant la télévision, mon sac et mon masque à côté. J'étais prête, je n'avais plus qu'à attendre l'appel du klaxon.
Plus j'observais l'heure, plus j'avais l'impression que le temps ralentissait. Mais Lucie arriva finalement, et je restai bouche bée devant le travail qu'elle avait fourni dans son costume.
- Lexa te va drôlement bien, tu sais, la complimentai-je en entrant dans la voiture.
- Merci ! Et toi alors, tu n'es pas déguisée, là.
- Si, regarde.
J'enfilai rapidement mon masque et poussai un rugissement qui lui fit faire un petit écart sur la route quand elle vit la tête de dinosaure si près d'elle.
- Mais c'est carrément génial comme truc ! s'exclama t-elle. Tu ne sais toujours pas qui te l'a envoyé ?
- Aucune idée. Je pensais vraiment que c'était toi ou Johanna mais là, je sèche totalement. Je n'ai vu personne dans la rue et il n'y a même pas un petit mot.
- Peut-être que la personne viendra te parler pendant la soirée en te voyant avec. J'en suis même carrément sûre.
Le trajet se passe vite, parce que la ville est petite et parce qu'il n'y a pas grand monde sur la route. A vrai dire, tous ceux qui sortent à ces heures là sont certainement déjà arrivés. Devant chez Theo, notre hôte pour la soirée, des dizaines de voitures étaient garées à cheval sur les trottoirs. On n'entendait la musique et les murmures par les portes et fenêtres ouvertes.
- Il fait quand même froid pour laisser tout ouvert ... commentai-je en sentant la fraicheur sur ma peau une fois sortie de la voiture.
Avec Lucie, on se dépêcha donc de rejoindre la maison déjà bruyante et salie par les invités. Johanna et Alexei avaient un gobelet dans chaque main et se dépêchèrent de nous en refourguer un à notre arrivée. Bien évidemment, je ne portai pas mon masque et je le gardais précieusement dans mon sac, pliée en quatre pour qu'il puisse rentrer. Mais je dus boire ma bière avec rapidité pour monter à mes amis de quoi j'avais l'air avec le masque. Je ne voyais même plus ce qui se tramait autour de moi car il n'y avait pas de trou pour les yeux, ni même pour respirer. En se mettant à l'écart de la foule, Alexei sortit son couteau de poche et fit trois encoches.
- Voilà, maintenant tu n'as plus d'excuse pour ne pas le garder. Sauf si tu veux boire, mais c'est toi qui conduis pour nous ramener. Tu as juré de faire SAM.
- Et je ne reviendrai pas sur ma promesse, le rassurai-je. Je n'ai bu qu'une bière et ce sera la seule de la soirée.
En moins d'une heure, je me retrouvai en compagnie des autres SAM. Les buveurs participaient à des jeux d'alcool, tandis que l'on jouait avec des cartes et du soda de notre côté. Les règles étaient sensiblement les mêmes. J'étais en train de lancer les dés quand quelqu'un tapota mon épaule.
- Les dinosaures, c'est par là !
Le garçon, habillé tel un majordome des années quatre-vingt, me montra un petit groupe du doigt. Quelqu'un portait un masque très ressemblant au mien, mais la race de l'animal n'était pas la même. Les autres étaient déguisés en divers animaux.
- Je dois rejoindre la basse-cour ? dis-je en plaisantant.
- Pour les photos de groupe, c'est mieux !
- Je passe mon tour les gars, je reviens après.
En me levant, je lissai mon chemisier ainsi que ma jupe, et m'avançait vers le groupe. Le majordome me plaça à l'opposé de l'autre dinosaure, on prit une pose sérieuse, puis une autre beaucoup plus amusante, et nous fûmes mis en file indienne pour être photographié l'un après l'autre. Je fis exprès de me placer après l'autre dinosaure, et posai ma main sur son bras.
- Alors, tu es un prédateur ou un herbivore ?
- Je suis pacifiste, alors c'est un herbivore. En revanche, tu es un sacré prédateur, de ton côté.
Sa voix était clairement masculine, mais la tonalité changeait à cause du masque. Il ne dévoila pas tout de suite, car il dut faire sa photo, mais il m'attendit et le leva finalement.
- Je m'appelle Tao, se présenta t-il.
- Emilie. C'est un peu indiscret, mais c'est toi qui a déposé le masque devant chez moi ?
Tao resta interdit face à ma question, mais je ne décelai chez lui aucune gêne. Il semblait plutôt surpris et, parce qu'il mettait du temps à me répondre, je me permis de l'observer. Il était grand et plutôt fin, même si ses biceps étaient parfaitement dessinés. Son costume laissait apercevoir un corps sculpté, et Tao m'apparut alors comme un garçon qui prenait soin de son apparence physique. Il devait avoir mon âge, ou un peut-être un an plus jeune. Ses traits étaient asiatiques, mais si peu prononcés qu'ils étaient difficiles à discerner lorsqu'il ne souriait pas.
- On me l'a apporté aussi. Je vis en colocation, du coup c'est Julian qui a ouvert, m'expliqua t-il en me montrant quelqu'un du doigt. Je pensais que c'était lui qui me faisait un cadeau, mais il m'a dit qu'il l'avait trouvé devant la porte après qu'on ait sonné, mais qu'il n'y avait personne.
- Pareil pour moi, dis-je avec entrain. En tout cas, la personne n'a pas l'air de me trouver pacifiste, si j'en conclu le féroce monstre que j'ai eu.
- Une mise en garde contre une fille qui peut briser tous les cœurs ? ajouta t-il.
Je m'empourprai. Pas parce que je comprenais le compliment caché, mais plutôt car j'avais l'impression que Tao connaissait mes précédentes relations. J'étais sortie avec trois garçons, et je les avais plaqué. Je ne m'étais jamais faite larguée, mais la réciproque n'était pas vraie. Je n'étais pas un bourreau des cœurs, mais j'avais besoin de sentiment pour évoluer dans une relation. Avec eux, même s'ils en ressentaient, ce n'était pas mon cas, et j'avais préféré mettre fin à mes histoires. Peut-être un peu brutalement, car ils en étaient tous ressortis avec des fêlures dans leur fierté et je n'étais jamais restée amie avec aucun d'eux.
- Un avertissement pour ne pas briser le sien, si pur et innocent ? continuai-je.
Tao se mit à rire et me proposa de continuer notre discussion dans un endroit moins bruyant. Les SAM grognèrent quand je vins m'excuser d'abandonner la partie, mais quelqu'un échangea mon jeu avec le sien, et ils se mêlèrent rapidement plus de ce cas de triche que de mon départ. Après un dernier coup d'œil vers Johanna, Lucie et Alexei, tous dans des groupes différents, je suivis Tao jusqu'au couloir qui menait à l'extérieur mais aussi à la cuisine.
La musique était moins forte et les gens qui s'y étaient réfugiés voulaient parler au calme, eux aussi. On s'installa au pied des escaliers, nos masques à la main, et Tao entama la conversation en me parlant de ses études. Classique. J'appris ainsi que c'était un littéraire, qu'il en était à sa troisième année de licence de lettres modernes, quelque chose dans ce style. Je n'avais pas vraiment compris le nom de sa licence, mais j'avais parfaitement retenu qu'il était bilingue français-chinois, qu'il apprenait également l'allemand et le russe, et qu'il se débrouillait à merveille en anglais. En vérité, il en était à sa seconde licence, car il avait déjà obtenu celle des lettres classiques. Ou un truc du genre. Peut-être que je m'étais emmêlée les pinceaux, je n'avais pas tout suivi.
- J'ai tenté médecine mais j'ai foiré le concours d'entrée. Du coup je suis partie en faculté de biologie dans l'espoir de faire quelque chose qui pouvait me faire rejoindre des voies qui me plaisaient, mais en fait non. Alors j'ai passé le concours d'infirmière et je suis entrée en première année en septembre.
Il semblait réellement intéressé par notre conversation, et au fil de la soirée, je me rendis compte que nous avions de nombreux points communs. Nous étions tous deux passionnés par l'histoire, à tel point qu'il fut étonné lorsque je lui annonçai ne jamais avoir envisagé d'en faire mon métier, on aimait les BD et les jeux-vidéos, nous n'étions jamais partis en vacances à l'étranger et on rêvait d'aller à Disneyland Paris.
Nous étions si enjoués par nos sujets que je ne vis pas le temps passer, et fus assez triste de voir mes trois compères me rejoindre, ivres, pour me demander de rentrer.
- Je me joindre à vous, Lucie va dormir à la maison, m'expliqua Mathilde. Elle a vomi tout à l'heure, et je doute qu'elle soit vraiment en forme pour rentrer chez elle, prendre sa douche et tout.
Tao s'était levé en même temps que moi. Je donnai les clés à Mathilde pour qu'elle installe Lucie, et elle fut suivie de près par Alexei et Johanna. Cette dernière se tourna face à moi en dessinant un cœur avec ses doigts, et je fus soulagée de constater que Tao n'avait rien vu.
- Alors, je semble toujours être l'affreux carnivore ?
- Et moi le frêle petit herbivore ?
On se mit à rire, et Tao inscrivit son numéro de téléphone dans mes contacts, avant de m'ajouter sur Facebook , Snapchat et Instagram.
- On n'a aucune raison de ne pas pouvoir continuer notre discussion, me dit-il.
Avec un sourire, je répondis à toutes ses demandes et lui envoyai un message dans la foulée pour qu'il puisse avoir mon numéro à son tour. Depuis le porche, je vis et entendis Alexei, assis sur le siège passager, klaxonner pour que je me dépêche. Je fis alors la bise à cette nouvelle connaissance, lui promettant de lui répondre s'il m'envoyait un message, ou de le faire si je n'avais pas de ses nouvelles. Je me glissai alors dans la voiture après un dernier signe de la main, et mis le chauffage avant d'attacher ma ceinture et de quitter la ruelle.
* Tapi dans l'ombre de ses rideaux, il avait observé, bien au chaud dans sa chambre, Tao et Emilie. Il n'avait rien raté de leur échange de numéro, ni de leur au revoir qui d'ailleurs promettait un futur rendez-vous. « Appelez-moi Cupidon, le sauveur des âmes perdues » pensa t-il très fort. *
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CC2017 : http://25worter.skyrock.com/3304603270-TEXTE-N-23-la-fete-des-dinosaures.html
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Recueil d'One-Shot
Historia CortaRecueil de tous les OS que j'ai pu écrire, pour des concours ou autre.