Parce qu'il ne s'agissait que de nous

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Ils m'ont arraché ce qui était ma moitié. Ils ont tué mes parents et moi, pendant tout ce temps, je suis resté caché sous mon lit, derrière les coffres à jouets que l'on glisse en dessous. J'avais si peur, que je ne suis même pas sorti quand la police est arrivée. C'est néanmoins un de leurs agents qui m'a trouvé, quand leur chef a décidé de fouiller la maison. Quelques jours après, je me suis retrouvé dans un foyer, que je n'ai plus quitté jusqu'à mes dix-huit ans.

Je n'ai pas été adopté. J'avais huit ans quand l'incident s'est produit, j'étais trop vieux pour intéresser qui que ce soit. Et personne ne pouvait vouloir d'un gamin qui ne parlait pas et sur qui on ne savait rien. La seule chose que j'avais bien voulu dire, et que j'avais répété jusqu'à mes treize ans avant d'abandonner, c'était qu'ils avaient enlevé mon frère, Tom. Et eux n'ont cessé de me dire qu'ils le savaient et que la police le recherchait. Sauf qu'ils ne l'ont jamais retrouvé.

Aujourd'hui j'ai vingt-quatre ans. Je vis toujours dans un foyer, sauf que pour celui-ci, je dois payer chaque mois pour garder ma chambre. Elle est toute petite et la salle de bain est en piteux état, mais je ne peux pas me permettre d'aller ailleurs. Je n'ai pas l'argent pour déverser un loyer complet. Déjà que ce que je fais n'est pas glorieux, alors si en plus je dois travailler plus pour avoir un semblant d'appartement ...

J'ai une vie que personne n'envierait, ça c'est certain. Accro à la drogue avant même d'atteindre ma majorité, je ne sais même pas comment mon corps peut encore accepter tout ce que je lui injecte et ce que je lui fais avaler. Je travaille dans un supermarché, la nuit. Je remets les produits en rayon et je peux parfois récupérer pour moi les choses qui sont périmées depuis peu, ou qui vont l'être. Ça me permet d'avoir au moins un repas consistant dans la journée. Je ne suis pas anorexique, c'est juste que je n'aie pas le choix.

Ce soir, je me suis habillé festif. Je dois retrouver mes amis camés pour une petite soirée. Ce n'est pas parce que j'ai une vie de merde que je suis seul. J'ai des amis, à qui je n'ai rien à envier non plus. J'ai eu des copains, des aventures d'un soir mais au moins, je n'ai jamais eu de rapport non consentant comme ça a pu être le cas pour certains d'entre eux. Si j'avais besoin de vendre mon corps pour avoir de l'argent, je le faisais, mais j'étais consentant de cet acte. Et puis, c'était toujours des mecs désirables, de toute façon. Je choisissais ceux qui pouvaient être susceptibles de m'exciter un peu. Autant y prendre son pied, un minimum.

C'est à moi ce soir de ramener les doses. Hier, ils m'ont tous filé l'argent pour que chacun ait une dose. J'en ai donc six à acheter. J'ai donné rendez-vous à mon dealer habituel, dans ce parc abandonné. Personne n'y va, sauf les gens comme nous, et les putes. La ville entière est au courant, la police aussi, mais personne ne s'aventure ici. Je rentre en me faufilant par la grille rouillée, les yeux dans le vide. Je sais exactement où je suis attendu.

Pourtant, lorsque j'arrive, ce n'est pas Otto qui est là. C'est un autre mec, avec un chignon et une barbe. Il me regarde avancer vers lui, la démarche à présent incertaine. Serait-ce un piège ?

- Tu es Bill ? me demande t-il lorsque je suis en face de lui.

Quelque chose me trouble chez lui. Sans doute ses yeux, qui semblent être exactement de la même couleur que les miens lorsque je ne suis pas défoncé. Ils ont la même teinte.

- Ouais.

Il me tend un sachet de supermarché qui contient tout ce que j'ai commandé. Je range ça dans mon sac à dos et lui tend l'argent. Il compte. Il me regarde ensuite, fait un signe de tête, et commence à s'en aller.

- Attends !

Recueil d'One-ShotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant